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PrideUne petite histoire de l'homosexualité dans les jeux vidéo

Par Samy Laurent le 01/10/2019
jeux vidéo

Depuis plusieurs années, un jeu vidéo plus inclusif pointe le bout de son nez, et les personnages queer gagnent de plus en plus de pouvoir dans le monde des pixels. Mais au regard de l'histoire des personnages LGBT dans les jeux vidéo... il était temps !

Avant la démocratisation des consoles de salon Sega, Playstation ou Xbox, on allait jouer aux jeux vidéo dans des salles d'arcades. Un temps béni par quelques fans nostalgiques, qui s'arrachent désormais les bornes mythiques, mais moins pour les personnes LGBT... Car à l'époque, le peu de cas de représentation des minorités de genre et des minorités sexuelles était particulièrement offensants.

Un des exemples les plus anciens, et surtout les plus dégradants, est probablement le personnage de Poison dans la série de jeux de combat, "Final Fight" (1989) et "Street Fighter" (1995). Créée par le studio japonais Capcom, Poison était une femme au départ. Une femme qu’il fallait frapper. Craignant alors que l’idée ne soit pas bien accueillie outre-mer, la combattante est devenue un combattant sans rien modifier à sa plastique. Une normalisation de la violence faite aux femmes trans... en plus de ne pas reconnaître leur statut de femme.

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Autre exemple avec la série de jeux d'arcades "World Heroes", paru en 1992. Le personnage Raspoutine, censé s’inspirer du personnage historique russe, Grigori Raspoutine, est représenté comme étant un sorcier qui entretient les plus gros clichés : quand il gagne, il mime la subway dress de Marilyn Monroe ou attrape sa tunique de chaque côté pour faire une révérence de jeune fille. 

Pire, son coup spécial consiste à violer l’adversaire. Un coup qui ne fonctionne qu’avec les personnages masculins, de toute évidence. Erwan Cario, auteur de "Start ! La grande histoire des jeux vidéo", explique qu'il existe une "frilosité à vouloir représenter le réel, la diversité". Selon lui, la "vision très genrée et hétéro-centrée du public de la part d'éditeurs et de créateurs qui pensent ne parler qu'à des jeunes hommes hétéro, explique peut-être que dès qu'un personnage LGBT est représenté, c'est sous une forme caricaturale et offensante."

Les Sims ou le libre arbitre

Il faut attendre presque dix ans pour qu'un nouvel espoir naisse sur la représentation des personnes LGBT dans les jeux vidéo, avec la sortie du - maintenant célèbre - jeu de simulation de vie, "Les Sims". Dans ce nouveau jeu, il est désormais possible de créer des relations homosexuelles et de les gérer comme on le souhaite. Pourtant, c’était mal parti. A la base, il avait été décidé d’exclure du code du jeu les relations entre personnages du même sexe.

Mais un nouveau développeur, Patrick J. Barrett III, rejoint l’équipe au milieu de la création du jeu et se voit confier “un document qui définit la manière dont les interactions sociales fonctionneraient dans le jeu», comme il le racontait en 2014 pour le New Yorker. Sauf que ce document était antérieur à la décision de ne pas intégrer des relations homosexuelles. Patrick J. Barrett, n’étant pas au courant, fit ainsi son travail et coda le jeu de façon à ce que toute sorte de relations amoureuses soient possibles. 

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Lors de l’Electronic Entertainment Expo (ou “E3”, la grande messe annuelle du jeu-vidéo se tenant en juin à Los Angeles) de 1999, les premières images des Sims sont révélées. Parmi elles, un baiser passionné entre deux femmes. Le succès a été immédiat et a peut-être même sauvé le jeu qui n’était pas dans les favoris d’Electronic Arts. Pour Erwan Cario, Les Sims est également le premier jeu incluant les relations de même sexe naturellement, sans avoir à en expliquer un quelconque sens. "Ce qui est marquant, c'est autant l'apparition de la possibilité de relations amoureuses entre personnes de même sexe, que le naturel absolu avec lequel c'est intégré au jeu.", déclare t-il "Il est possible pour un personnage adulte de tomber amoureux d'un autre personnage adulte. Point. Aucun autre débat. C'est un fait, c'est comme ça."

"L'importance des représentations culturelles pour l'évolution des mentalités"

Lors de sa sortie en 2000, de jeunes joueurs du monde entier ont pu expérimenter, dans l'intimité de leur chambre d'ado, des combinaisons à mille lieux de leur quotidien. Sur Reddit, il existe un forum où des joueurs des Sims racontent leurs premières expérimentations sur le jeu et à quel point cela les a aidé à explorer leur sexualité. 

Je me souviens du premier couple de même sexe que j’ai eu dans le jeu. Je vérifiais toujours autour de moi pour être sûr que mes parents ne regardaient pas”, raconte un internaute. “Quand j’y repense, c’était ma toute première manière d’explorer ma sexualité. Je pouvais être le genre que je voulais, et pouvais entretenir une relation avec le genre que je souhaitais. C’était parfait.” 

Je me suis revu en tant qu’un jeune anxieux en prise à une homophobie intériorisée et une attraction envers les hommes. Je me souviens avoir vu des trucs de ce genre (Les Sims, ndlr) et penser qu’être gay ne pouvais pas être si mal si les grosses entreprises l’approuve”, en écrit un autre.  

Une évolution non négligeable sur un monde encore bien trop imperméable à la représentation d'une société dans son entièreté,  comme le reconnaît Erwan Cario : "On connait l'importance des représentations culturelles pour l'évolution des mentalités. C'est aussi important pour les jeunes LGBT d'avoir la possibilité d’interagir avec des personnages qui leur ressemblent."

L’homosexualité enfin dans les trames

Avec les années 2010, les trames des jeux-vidéos se font plus minutieuses. L’homosexualité ne devient plus un choix du joueur mais est ancrée dans le jeu. Le studio Bioware est bien connu pour la bonne visibilité de ses personnages LGBT+. En 2014, “Dragon Age : Inquisition” introduit Cremisius Aclassi, un personnage transgenre, un guerrier FtoM dont la transidentité est connue, mais quasi-anecdotique au regard de ses qualités de militaire. 

 Les jeux “Mass Effect” sont également bien connus pour leurs romances homosexuelles à travers les histoires secondaires proposées au-delà de l'histoire principale. Une réelle liberté pour la communauté gaming LGBT+. "Là aussi, ce n'est absolument pas présenté comme une option extra-ordinaire, c'est juste possible, naturel, au choix du joueur", explique Erwan Cario. 

Mais il faut attendre 2015, avec la sortie de “Life Is Strange” pour voir apparaître la première héroïne LGBT de l'histoire du jeu vidéo. Le jeu présente une expérience narrative mettant en vedette une protagoniste bisexuelle, Max, et une trame amoureuse avec le personnage de Chloé, qui est également attirée par un autre personnage lesbien du jeu, Rachel. 

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En 2013, Ellie, le personnage principal du blockbuster “The Last of Us” avait fait couler beaucoup d’encre. Un an plus tard, l’extension "Left Behind", vient lever le voile en montrant une scène où elle donnait un baiser à l’une de ses amie. Lors de l’E3 2018, la démo de "The Last of Us 2" avait également grandement été célébrée. Ellie, l'héroïne, a grandi et son attirance pour les femmes est confirmée. Dans la bande-annonce que Sony présente, Ellie est montrée embrassant une femme sans se soucier des personnes les entourant. Ainsi, c’est imposé, Ellie est lesbienne, et c’est très bien comme ça. 

Si ces dernières années, les personnages LGBT se multiplient, des progrès restent encore à faire en terme de représentation. Mais Erwan Cario est confiant  : il est certain de voir davantage de personnages LGBT dans les années à venir notamment "sous l'impulsion de la scène indépendante qui a pris beaucoup d'importance ces dernières années et qui a montré qu'il était tout à fait possible d'incarner d'autres personnages dans un jeu vidéo et parler aussi de thème plus profonds (par exemple avec Gone Home). Il faut espérer que cette tendance se confirme". 

Et les personnes LGBT sont de plus en plus friandes d'aventures virtuelles. Preuve en est le succès de l'association Next Gaymers. Selon son président, Alex Dobro, l'association compte désormais plus de 12.000 membres. Rien que l'an dernier, elle en a gagné 3.000... Les studios auraient donc probablement tout à gagner à se remuer un peu plus pour représenter la société dans toute sa diversité.

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Crédit photo : Capture d'écran YouTube