transidentitésJournée du souvenir trans : souvenons-nous pour nous révolter !

Par Acceptess-T le 20/11/2019
journée du souvenir trans

Chaque année, le 20 novembre, a lieu la journée internationale du souvenir trans. Une journée de mémoire, en hommage aux victimes de transphobie. L'association Acceptess-T rappelle pourquoi c'est important, et pourquoi ce n'est pas suffisant...

Il est délicat de prendre la parole au moment même où nous devons nous recueillir, ensemble et dans un silence presque religieux, en cette journée du Souvenir Trans. Car que venons-nous honorer, pour la vingt-et-unième fois cette année, à Paris comme dans des centaines de villes au monde où des crimes haineux ont été commis, des crimes transphobes, mais contre quelles personnes trans ? Lesquelles de nos sœurs ont été tuées cette année encore ? On dira leur nom ce soir sur la place publique, mais parlera-t-on des lieux et des circonstances de leur assassinat ? Que dira-t-on de leur genre, de la couleur de leur peau, de leurs conditions de vie ?

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Des chiffres loin de la réalité

C’est à la suite de l’assassinat de Rita Hester, une femme trans afro-américaine à Allston, dans le Massachusetts, le 28 novembre 1998, qu’une journée mondiale du souvenir trans a commencé à s’organiser. Cette année-là, on a répertorié 13 meurtres de personnes trans dans le monde, et les chiffres évolueront peu avant la création de l’Observatoire des Meurtres Trans (Trans Murder Monitoring) qui enregistre 148 meurtres dès sa création pour 2008. Ce chiffre passera la barre des 300 en 2012, et même des 350 en 2017.

Il s’agit évidemment d’un décompte des meurtres de personnes trans signalés et enregistrés en tant que tels, et l’on imagine bien que l’on est loin des chiffres réels, notamment dans les pays où il est difficile voire impossible de lutter pour nos droits fondamentaux.

Ce qu’il faut comprendre, donc, ce n’est pas simplement l’augmentation des assassinats, mais plutôt celle de leur signalement : si la violence transphobe a gagné en visibilité internationale, cela ne permet toujours pas de traduire avec exactitude la réalité de ces crimes à l’échelle mondiale. Difficile d’avoir un chiffre précis dans un contexte global d’homophobie et de transphobie !

Renforcer la connaissance des violences transphobes

Cela démontre à quel point l’implication des Ministères de la Justice dans chaque pays est fondamentale, à la fois dans la manière dont ces meurtres sont traités, car il y va de la dignité des personnes, de leurs familles et de leur proches, mais aussi tout simplement afin de les enregistrer pour ce qu’ils sont, pour ce qu’ils disent objectivement de notre situation, ce qui en définitive renvoie au sens même de cette commémoration : il faut renforcer la connaissance des violences transphobes pour mieux analyser les conditions qui la produisent.

Comment le faire quand, la plupart du temps, les personnes sont rejetées par leur famille ou par la société, et si personne n’est là pour plaider et établir qu’il s’agit bien d’un crime transphobe ? On peut dire qu’en vingt ans, peu de choses ont changé de ce point de vue-là : souvent, on ne connait même pas le nom ou l’âge des personnes assassinées.

"Sommes-nous donc condamnées chaque année à être les comptables abasourdis et macabres de cette violence ?"

Une espérance de vie alarmante

Ce qui reste constant toutefois, sur les 2982 meurtres enregistrés par l’Observatoire ces dix dernières années, c’est la jeunesse des victimes : 57% ont moins de 30 ans. Cela en dit long sur l’espérance de vie des personnes trans comparée à la moyenne en population générale…  et sur ce qui décidément ne semble pas vouloir changer malgré notre visibilité et notre émancipation  récentes.

Pas plus d’ailleurs que les déterminants systémique de la violence de genre, de race et de classe qui ont continué de peser, tout au long de cette période, sur nos vies, et qui ressortent si manifestement encore aujourd’hui du décompte de nos mortes : le nombre de travailleuses du sexe, et parmi elles, de femmes trans noires et latinos, est écrasant !

Leur assassinat s’accompagne d’actes de barbarie, viols en réunion et mutilations des parties génitales, et cette horreur, soudainement relayée à la rubrique « Fait divers » de la presse à scandale, renvoie à leur statut d’invisibles, de reléguées tout en bas de l’échelle sociale. Sommes-nous donc condamnées chaque année à être les comptables abasourdis et macabres de cette violence ? Que nous dit cette cérémonie de notre capacité à faire face toutes et tous ensemble et à engager des responsabilités ? Cela vaut y compris sur le plan international, à une époque où Trump et Bolsonaro, entre autre, mettent en œuvre des politiques ouvertement transphobes !

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Une partie des activistes a bien compris que nous ne pouvons pas nous contenter de l’hommage et du souvenir, de ce rassemblement annuel où nous serions simplement conviées à n’être que les témoins de la transphobie, et de sa perpétuelle recrudescence pour les plus vulnérables d’entre nous, les plus exposées, les plus précaires.

L'affaire Vanesa Campos

Le meurtre de Vanesa Campos au Bois de Boulogne, dans la nuit du 16 au 17 août 2018, alors qu’elle venait en aide à un client en train d’être agressé par une bande organisée, a donné lieu à une mobilisation inédite où l’association Acceptess-T a dénoncé dans les médias la responsabilité politique des réformes législative en matière de prostitution tout en organisant un hommage à la victime et le soutien à sa famille. Grâce à cette mobilisation, notamment, Paris Match a été condamné pour avoir utilisé des photos d’elle nue et mourante. 

Cet évènement dramatique a été l’occasion d’une sociopolitisation communautaire importante et d’un renouvellement de notre plaidoyer sur la situation des travailleuses du sexe transgenres et migrantes à Paris. Les familles des victimes sont aujourd’hui de plus en plus présentes aux côtés des associations - et lors des procès - jusqu’à la condamnation des auteurs de ces meurtres.

Et c’est pourquoi il faut aller plus loin dans la prise de conscience et le désir d’obtenir justice. Il faut aller plus loin en dénonçant aussi les réformes législatives qui aggravent les risques et nous exposent quotidiennement aux violences : la loi de pénalisation des clients des travailleuses du sexe, la limitation du droit à l’asile et au séjour des LGBT, la restriction de l'accès à l’Aide Médicale d’Etat pour les sans-papiers... Autant de violences d'Etat dont certaines d'entre nous continuent à payer le prix fort.

Mort sociale

Dans l’attente que la société prenne plus amplement conscience de cette situation, une association comme la nôtre ne peut pas s’empêcher de dénoncer non seulement la mort physique des personnes trans dont nous nous souvenons ensemble aujourd’hui,  mais aussi la mort sociale qui fait malheureusement encore partie du quotidien des plus vulnérables d’entre nous. En l’écrivant, je pense ici en particulier à une femme trans brésilienne suivie par notre association, et que nous avions perdue de vue après qu’elle ait reçu une Obligation de Quitter le Territoire Français.

Passée dans nos locaux après une longue période d’errance et de galère sur le trottoir, exténuée par le cumul de telles violences systémiques légalement organisées, elle a tenté de mettre fin à ses jours en se jetant dans la Seine il y a tout juste un mois. Assumant à demi-mot et à peine sortie du coma la portée politique de son geste et de son désespoir, elle nous engage aussi collectivement à exprimer notre colère dans le recueillement organisé ce soir à Paris.

Giovanna Rincon, Acceptess-T.