En faisant un réel effort d'inclusivité, Katy Keene, le spin-off méconnu et fleur bleue de Riverdale, marque à sa manière l'histoire des séries. Focus.
Avec ses imbroglios amoureux incessants et ses intrigues capillotractées dignes d'un soap opera, Riverdale s'est érigée comme une franche héritière de Gossip Girl, devenant saison après saison un must-see pour de nombreux adolescents. Lancée en 2017, la série a vite proliféré, donnant naissance à deux spin-offs : le premier, Les Nouvelles Aventures de Sabrina, produit par Netflix, opte pour une approche radicalement différente en appartenant au genre fantastique. L'autre, dont beaucoup ignorent l'existence, c'est Katy Keene et il est temps d'en parler.
Inaugurée à l'aube de cette nouvelle année, cette série dérivée n'a aussi pas grand-chose à voir avec son aînée. Là où les ados précoces de Riverdale doivent jongler entre trafics de drogues, serial-killers et la réussite de leurs examens, les vingtenaires terriblement candides de Katy Keene vivent presque dans un conte de fées. Son héroïne, ladite Katy, est une styliste en herbe, déterminée à profiter un max de New York et de toutes les opportunités qui s'offrent à elle dans la ville qui ne dort jamais. Pour l'épauler dans ses tracas du quotidien, elle peut compter sur ses colocataires, parmi lesquels se trouve l'excentrique Jorge.
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À première vue, Jorge coche toutes les cases du "gay best friend" : il est efféminé, s'habille avec style, bosse dans le milieu artistique... Jusqu'ici, rien de nouveau sous le soleil. Sauf que le personnage a une petite singularité qui le fait sortir du lot : la nuit tombée, Jorge répond au doux nom de Ginger Lopez, son alias de drag-queen, et s'adonne à des sessions de playback endiablées, vêtu de ses tenues les plus affriolantes et clinquantes. Une première historique.
Du jamais vu dans une série ado
Historique, parce que c'est bien la toute première fois qu'une drag-queen est un personnage principal dans une série ciblant un public adolescent, qui plus est à une heure de grande écoute – aux États-Unis, Katy Keene est diffusée en prime time chaque jeudi sur la chaîne CW. Alors oui, il y a bien eu AJ and the Queen, avec RuPaul sous les traits d'une drag-queen en galère, mais cette série de Netflix (fraîchement annulée par ailleurs) est restée bien trop confidentielle et peut difficilement être qualifiée de mainstream. Ici, le spin-off de Riverdale change la donne.
Bien qu'elle ne soit pas exempte de défauts, avec une tonalité un peu trop sirupeuse et des recours scénaristiques souvent faciles, Katy Keene peut se targuer de dresser le portrait d'une drag-queen lorsqu'elle ne se déhanche pas sur scène. Entre deux auditions pour percer à Broadway, Jorge est un jeune homosexuel lambda : comme bien d'autres, il peine à se dégoter un boyfriend et entretient une relation houleuse avec ses parents, lesquels ont du mal à digérer son orientation amoureuse et ne se doutent pas de l'existence de la pétulante Ginger Lopez.
Enfin ça, c'est au début de la série. Puisqu'au gré des épisodes, les choses évoluent. Après avoir dit adieu à un "plan cul amélioré" qui refusait d'assumer sa sexualité (et, de fait, leur relation), Jorge débute une idylle touchante avec Bernardo, un pompier à la virilité exacerbée qui, ô miracle, l'accepte tel qu'il est. Mais si tout semble rouler dans un premier temps, Jorge manque de tout faire capoter en laissant son manque de confiance en soi prendre le dessus.
Une critique de la masculinité toxique
Alors qu'ils sont en boîte de nuit, Bernardo se fait dévisager par de nombreux gars. Le barman, lui, semble incrédule quand il comprend que le sauveteur est en couple avec Jorge. Il n'en faut pas plus pour que ce dernier vrille, se mettant à douter de sa légitimité à être avec Bernardo. Cette remise en question est irrémédiablement liée à sa féminité prononcée, une caractéristique souvent dépréciée au sein de la communauté gay et pouvant conduire à de réelles discriminations.
Très pertinente, cette dimension-là est aussi abordée par le biais de ses auditions. Celles-ci résultent généralement en fiascos, pour une raison bien trop récurrente : les metteurs en scènes lui reprochent son physique de twink, ses manières... grosso modo, ils abhorrent son côté féminin et présentent ça comme un frein à sa carrière. Mais après avoir tenté de se plier à leurs règles, se forçant à adopter une gestuelle plus typiquement masculine, Jorge abandonne, avec le sourire. Car s'il ne peut pas réussir à en étant lui-même, à quoi bon s'acharner ? C'est là que Katy Keene vise juste, soulignant que c'est à la société de s'adapter aux minorités, et non l'inverse.
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Un personnage imparfait
Au-delà de ça, Jorge n'est pas un personnage unidimensionnel qu'il faut prendre en pitié. Car si l'on éprouve de l'empathie pour lui quand il essuie divers échecs, il nous irrite à d'autres moments, faisant preuve d'un égoïsme déroutant dans sa relation avec Katy, la star de la série. Mais en même temps, avoir droit à un personnage imparfait, doté de qualités comme de défauts, c'est aussi ça une bonne représentation sur le petit écran.
Si la série est aussi forte dans le soin qu'elle porte à Jorge, c'est sans doute parce que c'est un homme ouvertement gay, Roberto Aguirre-Sacasa, que l'on retrouve aux commandes de Katy Keene. Son implication se ressent jusque dans les références incorporées à l'écran, que ce soit à travers les artistes que Ginger Lopez chante en lip sync (Madonna, Carly Rae Jepsen... louées par les LGBT+) ou encore le nom du bar où elle donne ses prestations, le Molly's Crisis – un clin d’œil bien senti au Marie's Crisis, piano bar new-yorkais réputé pour être LGBT-friendly.
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On a rarement vu une série tout public faire une proposition aussi audacieuse. Si le résultat final demeure perfectible (Jonny Beauchamp, l'interprète de Jorge, cabotine dans son jeu), Katy Keene mérite qu'on s'attarde sur elle. Il n'y a plus qu'à espérer qu'un diffuseur français s'en empare et, surtout, que la CW passe commande d'une deuxième saison fissa.
Crédit photos : The CW