Abo

TinderPourquoi les femmes lesbiennes et bi en ont un peu marre des couples sur les apps de rencontres

Par Léa Fournier le 05/06/2020
unicorn hunters

Sur les applications de rencontres, les couples sont nombreux à chercher une femme pour les rejoindre dans les draps, à l’occasion d’un plan un trois. Une pratique d'objectivation qui constitue une vraie pollution pour nombre de femmes lesbiennes et bi qui cherchent l'amour.

« Couple amoureux, on aimerait tenter une nouvelle expérience avec une fille… » Ce type d’annonces pullule sur les applications de rencontres. Les « chasseurs de licornes », (« unicorn hunters », comme ils ont été baptisés en anglais), parcourent Tinder, Meetic, OkCupid ou encore Happn à la recherche d’une femme « à la sexualité totalement libérée » pour « pimenter leur relation ». 

La licorne, c’est cette femme lesbienne ou bi qui acceptera de se joindre à eux pour une nuit ou plusieurs. Ces annonces posent toutefois problème à certaines d'entre elles, qui voient leurs recherches parasitées par les chasseurs de licornes, de plus en plus nombreux. 

 « Troisième » roue du carrosse

Certains l’indiquent directement sur leur profil. En swipant, vous pourrez donc tomber sur Valentine* et Mathéo*, posant amoureusement en photo. Lui blotti dans son cou, l’entourant, elle, de ses bras. Dans leur bio, ils précisent d’emblée « nous aimerions rencontrer une fille avec qui s’amuser. » On ne peut pas s’y tromper. 

D’autres profils laissent le doute planer au premier abord. Nora* pose devant son miroir, seule. Décolleté plongeant et bouche en coeur, comme si elle allait vous embrasser. Dans la description qui accompagne ses photos, elle indique « moi et mon homme, on cherche une fille pour une soirée sympa ». Pas de photo de ce dernier, mieux vaut être attentive et lire la description avant de matcher. 

Pour certains couples, plus pernicieux, non seulement seule la photo de la femme du couple est affichée, mais en plus, il n’est pas stipulé qu’elle n’est ni disponible, ni à la recherche d’une relation (sexuelle) classique. 

Des profils de femmes comme «appâts»

Emeline*, 18 ans, est lesbienne et vit à Namur, en Belgique. Début 2020, elle matche avec Laurine*, 22 ans. Pendant quatre à cinq mois, elles discutent très régulièrement. « On parlait de nous, de nos centres d’intérêt. On flirtait, on parlait de se voir. Je m’imaginais bien en couple avec elle, je m’étais attachée à elle. » Quand elles évoquent une fois de plus un potentiel rendez-vous, Laurine annonce à Emeline que la première fois qu’elles se verront, ce sera avec son copain, pour faire un plan à trois. Un choc pour Emeline. « Elle a dit ça en mode « normal », comme si c’était prévu depuis le début. Alors que pas du tout. » L’étudiante quitte la conversation, déçue. « J’ai eu un sentiment de trahison. On avait créé de la confiance, de la communication. Finalement, elle a fait tout ça pour m’appâter. Elle s’attendait peut-être à ce que je dise oui car je m’étais attachée à elle. » Cette stratégie, qui constitue un véritable manque de respect, n’est malheureusement pas isolée.

Alice, 29 ans, bisexuelle, a elle aussi été la proie d’un couple de chasseurs de licornes. Elle a utilisé des applications de rencontre pendant un an, à Paris. À l’époque, en 2017, elle y cherche « des plans cul, et pourquoi pas une relation, avec un homme ou une femme ». Au gré de ses « matchs » sur Tinder, elle tombe « trois ou quatre fois » sur des couples à la recherche d’une femme. « Plusieurs fois, c’était un mec qui utilisait la photo de sa copine… Les profils de nanas sont souvent des appâts. Dans la bio, la « fille » ne précise pas qu’elle cherche un plan à trois. Alors tu tombes dans le panneau. » 

« À leurs yeux, t’es un sextoy »

Quand elle rencontre le profil de Nour, Alice est donc « séduite ». Jusqu’au moment où, au détour d’une conversation, son crush lui annonce qu’elle n’est « pas toute seule ». Elle explique à Alice qu’elle est en couple avec un homme. « Je me suis sentie flouée, manipulée. Ce n’était pas le deal », se remémore Alice. « Je n’aurais probablement pas liké son profil si j’avais su. En plus, je n’ai vu aucune photo du mec, je ne le connais pas. »

 

La fétichisation du sexe entre femmes 

La méthode est malhonnête, mais révèle surtout la fétichisation des femmes bi pour Alice. « Ils ne sont jamais clairs et honnêtes sur leurs recherches. Pour eux, les bi sont tellement chaudes et disponibles. Elles aiment tellement le cul, que c’est normal qu’elles puissent dire oui sans avoir vu les deux personnes. » En clair, « à leurs yeux, t’es un sextoy ». 

Aurore, 23 ans, lesbienne et utilisatrice de Tinder, a elle aussi l’impression que les chasseurs de licornes prennent les filles pour des « accessoires ».  À Lille, elle tombe sur ces profils « une fois sur quatre ». « Le fait que ces profils existent me pose pas de problème. C’est de l’ouverture d’esprit, je ne suis pas contre des plans à trois dans l’absolu, je ne juge pas les gens que ça intéresse. »

Elle déplore en revanche l’objectivation des lesbiennes et des bisexuelles qui se reflètent dans ses profils. « Parfois, la meuf écrit dans sa bio : ‘je voudrais faire un cadeau à mon mec’. » Sauf qu’Aurore n’a pas l’intention de s’emballer dans du papier kraft pour faire un présent au petit-ami d’une inconnue… 

« C’est un fantasme porno, de croire que deux lesbiennes attendent juste qu’un mec arrive pour les prendre. » 

D’ailleurs, pour elle, même si certains profils, où la couleur est annoncée d’emblée, sont honnêtes, ils reflètent une image « stigmatisante et fausse » de la sexualité entre femmes. « Je pense que les unicorn hunters ont des sacrés clichés sur les lesbiennes. C’est un fantasme porno, de croire que deux lesbiennes attendent juste qu’un mec arrive pour les prendre. » C’est également le sentiment d’Ilona*, 20 ans. « C’est le reflet d’une société phallocentrée qui invisibilise le sexe entre femmes. S’il n’y a pas de pénis, ce n’est pas du sexe. »

A LIRE AUSSI : Le mot "lesbienne" ne renvoie plus tout de suite vers des contenus pornographiques sur Google 

Des rencontres plus difficiles

Pour Ilona, ces couples empiètent sur « le seul espace qui nous reste, à nous, les queers ». Lesbienne, elle habite à Perpignan, et trouve très difficile de rencontrer d’autres femmes en province. « Il n’y a pas de bars dédiés par exemple. Les réseaux sociaux c’est tout ce qu’il nous reste. »

À ses yeux, les couples et les applications sont les deux responsables du problème. Les couples, parce qu’ils ne prennent même pas la peine de lire les profils qu’ils likent. Alors qu’elle, elle prend les devants, en spécifiant bien sur son profil qu’elle n’est pas intéressée par les demandes de plans à trois. Les applications, parce que, comme toutes les filles qui ont témoigné dans cet article, Ilona estime que l’algorithme n’est pas assez précis. Elle voudrait pouvoir mieux filtrer les profils qui lui sont proposés. Sur la plupart des applications, on peut déjà choisir si l’on veut discuter avec des hommes, des femmes, des personnes cis ou transgenres. On peut même parfois préciser si l’on cherche une relation à long terme ou juste un coup d’un soir.

Pour Ilona, en l’état actuel des choses, sans la possibilité de filtrer ces profils, ceux qui cherchent un plan à trois auraient plutôt leur place sur des sites libertins, dédiés à ce type de demande. Ou alors, elle suggère qu’ils se retrouvent entre couples… Pour que tout le monde gagne du temps.

 

* Les prénoms ont été modifiés.