Maxime Journiac en a vu des choses depuis son entrée dans le militantisme, dans les années 1970. Pour TÊTU, il raconte l'ambiance des premières marches des fiertés françaises, auxquelles il a participé.
"Le 1er mai 1972, mon frère est rentré à la maison en nous disant : 'Les mecs du FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire) sont fantastiques ! Drôles, plein d’humour et magnifiques'. J’avais 18 ans, je n’avais pas encore fait mon coming-out, et, clairement, je buvais du petit lait en l’écoutant." 47 ans plus tard, Maxime Journiac a toujours un sourire malicieux quand il raconte cette histoire. Ce militant de 65 ans, passé lui même par le Front homosexuel d'action révolutionnaire et le Groupe de libération homosexuelle (GLH), est un militant de longue date des droits LGBT+. Nous l'avons rencontré dans un café du XVIIe arrondissement où il nous a raconté les premières Prides françaises auxquelles il a participé, quelques photos à l’appui.
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A l'époque où son frère admire les militants du FHAR, c'est la deuxième fois que le groupe défile, accompagné de membres du MLF (Mouvement de libération des femmes), aux côtés des syndicats lors du 1er mai. Comme le rappelle Le Monde Diplomatique, ils avaient déjà marché le 1er mai 1971 sous une vaste banderole appelant à mettre "A bas la dictature des 'normaux' !". "Habillés en travestis et avec leur maquillage criard, certains d’entre eux bousculent les codes des mobilisations politiques et dérangent les services d’ordre", écrit le journal.
"On a réussi à ramasser 100 ou 150 personnes"
Maxime, lui, s'est mêlé à la fête du travail pour la première fois en 1973. C'est là qu'il voit pour la première fois les "gazolines"*, "hurlantes et complètement folles". "Elles couraient et dansaient en montrant leurs bites entourées de boas." Il retourne marcher en 1974, mais cette fois-ci il est accompagné de ses "copines" rencontrées au FHAR l'année précédente.
"Il ne se passait rien de particulier cette année-là, se souvient-il en remuant sa cuillère dans son café. Alors avec Alain, Gerard et Alfred on a fait des pancartes et on est parti les rejoindre, comme beaucoup de gens de gauche et d'extrême gauche le faisait à l'époque. On a commencé à quatre et au fil du parcours, on a réussi à ramasser 100 ou 150 personnes, des pédés qui trouvaient que nos pancartes étaient très drôles." Aucun de ces slogans ne lui est malheureusement revenu en tête.
Quelques années s'écoulent et le jeune militant se rapproche du Groupe de libération homosexuelle à l'hiver 1975. "C'est marrant d'ailleurs, j'ai retrouvé les statuts déposés en préfecture en rangeant mes papiers et je me suis rendu compte que j'étais président (il rit)". Comme nous le confirme Maxime, aucune marche n'a lieu jusqu'au 25 juin 1977, date historique dans la lutte des droits LGBT+ en France.
La marche autonome, qui a réuni environ 300 personnes, est organisée par un groupe de lesbiennes du MLF. Elle a pour but de protester contre la politique américaine contre la communauté LGBT+. A la télévision, la chanteuse américaine Anita Bryant, à la tête d'une organisation appelé "Sauvons nos enfants", appelle notamment au meurtre des homosexuel.lle.s. Maxime, qui se trouvait en fin de cortège de la manif avec ses amis, se souvient d'une marche "festive, mais politique".
"Les gens nous regardaient comme si on était des extraterrestres"
« Les gens nous regardaient comme si on était des extraterrestres ou des bêtes de foire, nous raconte Maxime dans un éclat de rire. Ils n’avaient jamais vu des énergumènes comme nous. Regarde comment on était fringués (il nous montre la photo ci-dessous), c’était le Magic Circus. J’avais envie de leur dire qu’on était pas comme ça tous les jours (il réfléchit) Bon… on était souvent habillé comme ça quand même. Du coup, pour leur répondre, j’avais lancé ce slogan : ‘des cacahuètes pour les tapettes’. Ça a fait rire les gens, du coup tout le monde l’a repris."
Pour ce militant, qui aimait à se définir comme un 'gouin', être présent ce jour-là était avant surtout une façon d'être visible et entendu. "On partageait tous et toutes ce même vécu d’invisibilité et d’humiliation. On était venus pour crier : 'We’re here, we’re queer, get used to it'. C’était ça la grande force de ces mouvements des années 70 : on prenait le pouvoir sur nos vies."
Il n'y a pas de marche en 1978, mais on en retrouve deux l'années suivante à Paris. La première, pour dénoncer l'intolérance religieuse, se tient en mars 1979. La seconde, en juin, a pour mot d'ordre : "Pédés, lesbiennes, prenons la rue et vivons nos amours." Maxime nous raconte avoir co-organisé cette marche, entre Jussieu et Saint-Germain des Prés. Une manifestation qu'il considère être la première gay pride française.
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"On ne faisait pas la course au nombre de manifestants"
"Je me souviens de cette espèce d’excitation la veille de la marche, se remémore-t-il avec nostalgie. On se demandait combien on serait et comment ça allait se passer. Finalement, il devait y avoir 1.000 ou 2.000 personnes, je ne me souviens plus très bien". Il s'interrompt un instant, pensif, et ajoute précipitamment : "Mais bon, on s'en foutait du nombre finalement. Le nombre et la masse c’était hétérosexuel".
Il continue : "En tout cas c'était la première vraie 'gay pride', avec seulement des pédés. C'était une marche très spontanée, il n'y avait pas beaucoup de pancartes ou de slogans, mais c’était ultra festif."
"On était dans le moment, on avait pas un but à atteindre. On ne faisait pas la course au nombre de manifestants. L’important c’était de se retrouver, de montrer qu’on était là et de dire à tout le monde : 'vous nous faites chier avec votre société straight qui emmerde tout le monde. Fichez nous la paix'. Et de conclure : "C’était un truc collectif et individuel avec ce désir profond de changer les choses pour les autres et pour soi."
"Je suis folle pour ne pas être fou"
Une critique à peine voilée aux Marches des fiertés d'aujourd'hui. "Au moment du mariage pour tous, je me suis dit : 'putain, c’est notre génération qui a ouvert la porte à ça ? Qu’on devienne complètement 'straight'**, à vouloir faire des enfants."
Avant de se raviser : "Mais ce ne sont plus les années 70 et on vit dans une société où l’égalité des droits est nécessaire. Tout le monde n’est pas une espèce de folle comme moi, qui vit à Paris, n’en a rien à foutre de rien et n’a aucun problème avec sa famille. Comme je l'ai toujours dit, je suis folle pour ne pas être fou".
*"Les Gazolines" est un mouvement informel, qui évoluait en marge du FHAR, composé de 'folles' et autres personnages défiant les catégories de genre.
**Straight veut dire hétérosexuel en anglais
Crédit photo : Maxime Journiac/DR.