La communauté LGBT+ turque utilise de plus en plus du Lubunca, un langage utilisé par les travailleurs du sexe trans sous l'empire Ottoman. Au point que cette langue perdrait son rôle protecteur.
En Turquie, être une personne LGBT+ signifie encore trop souvent risquer sa vie. 44 personnes transgenres ont été tuées en 10 ans, selon Transgender Europe cité par la BBC. Et les LGBTphobies sont de mise, même au plus haut niveau de l'Etat. Le gouvernement turc a récemment exigé la suppression d'un personnage gay d'une série Netflix. Dans ce contexte hostile, le Lubunca, un langage secret utilisé par les travailleurs du sexe et la communauté LGBT+ refait son apparition, comme le note le magazine britannique Attitude. Cette langue de quelque 400 mots créé sous l'empire Ottoman a été principalement utilisée par des travailleur.se.s du sexe.
Au delà d'un effet de mode, c'est une nécessité, assure le journal. "Il y a quelques similitudes avec l'argot de RuPaul qui tient ses origines de la culture du Ball. Lubunca a été créé par des travailleurs du sexe transgenres dans les hammams. Certains mots que personne d'autre ne comprenaient leurs permettaient de se protéger, c'est pourquoi ces mots sont principalement de nature pornographiques", explique Debonair Detsuki, un militant queer et drag queen, cité par Attitude. Par exemple, "koli" signifie une boîte en carton en turc mais en Lubunca, cela signifie "partenaire sexuel". "On peut entendre des gens dire 'j'ai vidé ma boîte en carton' ou 'j'ai rangé des choses dans ma boîte en carton ce matin'. Il faut vraiment connaître le contexte. On n'a peut-être pas de mot pour 'travail', mais trois mots différents pour parler de la taille d'un pénis", s'amuse Hakan Özkan, un militant d'Istanbul.
Plusieurs mots pour dire "police"
Depuis un siècle et le déplacement de la prostitution vers la rue, ce langage est devenu un mécanisme de défense pour les travailleurs du sexe trans. Ancienne travailleuse du sexe, Zelal Demir utilisait le Lubunca il y a 15 ans pour se protéger des machistes mais aussi des clients et de la police. "On en est venu à avoir plusieurs mots pour dire 'police' parce que les forces de l'ordre ont commencé à le repérer".
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Il y a 20 ans, la plupart des gay cis ne comprenaient pas le Lubunca. Zelal Demir avance que les travailleurs du sexe étaient largement discriminés à Istanbul, y compris par des membres de la communauté LGBT+. "Dans la plupart des lieux communautaires, j'ai été insultée parce que j'utilisais le Lubunca, c'était une sorte de révélateur que j'étais une prostituée et de ce fait, pauvre. Tu n'étais pas considéré comme gay mais comme "ibne", comme une "pédale", y compris par les membres de la communauté".
Une langue intégrée dans la communauté LGBT+
Désormais, "une grande partie de la communauté LGBT+ a adopté le Lubunca après la mort de la chanteuse Zeki Müren. Après les protestations du parc Gezi en 2013 et la plus grande Fierté jamais connue, tout le monde s'y est mis", avance Hakan Ozkan. Debonair Detsuki croit savoir que le Lubunca fait partie de la culture LGBT+ : les slogans de manifestations, les noms de soirées, l'art et la musique s'en inspirent largement.
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Les militants regrettent que le Lubunca devienne mainstream au point d'être utilisé par les alliés hétéros, perdant de fait son rôle protecteur. Il y a deux ans, Debonair Detsuki a été visée par un tir de la police lors d'une Pride à Istanbul. "Beaucoup de jeunes urbains comprennent ce que l'on fait et nous acceptent plus facilement, mais d'une manière générale, il reste beaucoup de transphobie et d'homophobie sous le régime de Erdoğan qui nous rend la vie très compliquée. C'est ça la Turquie", dit-il.
Pour en savoir plus : Attitude (en anglais)
Crédit photo : Wikimedia commons / Jordy91