Oubliez les blockbusters imbéciles : le plus beau film de l'été est signé François Ozon. Avec Eté 85, le cinéaste nous livre un très beau long-métrage sur l'adolescence, concentré de ses obsessions. L'occasion pour TÊTU de demander au réalisateur de 8 Femmes et Potiche si les acteurs sont des actrices comme les autres.
Cet article est issu du nouveau numéro du magazine TÊTU, disponible dans tous les kiosques ! Pour le recevoir directement chez vous, abonnez-vous.
Dans Été 85, François Ozon filme les grandes extases et la petite mort de deux adolescents, l’histoire d’un premier amour, insouciant et frondeur dans la France des pulls marins et des glaces en bord de mer. Un film solaire à la sensualité contagieuse qu’Ozon filme comme un requiem. Sur les mélodies synthétiques et caverneuses de la cold wave de l’époque, il sublime l’amour à mort et donne du cœur (et un corps) à cette jeunesse des années 1980, celle d’avant le sida. Et signe son retour, après la force grave de Grâce à Dieu, à un cinéma plus joueur, plus romanesque – traversé de clins d’œil et de douleur – à la fois pudique et sexy. Un portrait de garçon(s) dont le feu pose de nombreuses questions.
Été 85 est un projet qui vous suit depuis longtemps. À 18 ans, vous aviez déjà écrit un scénario adapté du roman La Danse du coucou...
Pour moi, cette histoire de garçons [tirée du roman] devait être tournée en anglais, la langue du texte. Il y avait quelque chose qui ne collait pas, dans ma tête, avec un décor à la française. Ça ne collait pas avec ce que je vivais au quotidien. Je manquais de maturité, je pense. J’espérais que quelqu’un d’autre allait faire ce film dont je rêvais. J’imaginais que Gus Van Sant ou Pedro Almodóvar le feraient bien mieux que moi. C’est l’époque où j’ai découvert River Phoenix dans Stand By Me. C’était ça les acteurs qui me plaisaient à l’époque. Ce corps d’adolescent pataud, cette façon de jouer, ça me parlait. Et puis, évidemment, My Own Private Idaho. C’était un acteur douloureux. Et il était très beau. J’ai du mal à retrouver ça en France. On n’a pas la tradition chez nous du “bel acteur”. Il y a Delon, Gérard Philipe, un peu, mais on aime plutôt les gueules. La beauté, le sex-appeal, surtout chez les hommes, je crois que ça nous fait un peu peur. Le cinéma américain ne s’embarrasse pas de cette pudeur-là.
En 1996, avec votre court-métrage Une robe d’été, vous alliez à l’encontre de cette “pudeur” en filmant longuement deux beaux garçons. C’était une provocation ?
Ce film, ça a surtout été un cauchemar à tourner. On avait très peu d’argent, et en plein milieu la caméra a cramé la pellicule. On a donc tout tourné deux fois. En plus, le jeune acteur principal pleurait parce qu’il avait l’impression de faire un film porno, l’actrice n’était pas contente non plus... Même la météo faisait la gueule ! (Rires.) Je pensais que le film était une catastrophe. Et puis il est sorti. Le côté très sexy, très libre, a pris le dessus. Tout à coup, les gens voyaient deux hommes beaux, heureux, qui faisaient l’amour. Dans les années 1990, l’homosexualité était très souvent associée à des choses très douloureuses. Faire l’amour c’était prendre un risque, pour beaucoup. Le sida était dans tous les esprits. Soudain, le film revenait à un truc joyeux où faire l’amour était associé à l’été, au plaisir – avec quand même un plan très important sur un préservatif. Il disait soudain, à tout le monde, que c’était toujours possible de faire l’amour avec qui on veut, quand on veut.
A LIRE AUSSI : Félix Lefebvre et Benjamin Voisin nous racontent les coulisses du tournage d’Été 85
Dans Été 85, vous jouez de nouveau avec une robe sur la déconstruction de la virilité. Un jeu autour du travestissement, du trouble masculin/ féminin, qui était déjà présent dans Une robe d’été et Une nouvelle amie...
Oui, c’est exactement la même robe. Je voulais que ce soit un clin d’œil. À l’époque d’Une robe d’été, j’avais déjà dans l’idée de faire Une nouvelle amie. Ces trois films sont des films d’apprentissage, des films dans lesquels des garçons apprennent à devenir des garçons, à devenir pleinement qui ils sont. Et pour ça, ils doivent déconstruire l’idée qu’on leur a inculquée de la virilité. Ils font l’expérience d’une autre façon d’appréhender leur corps par le vêtement féminin. Comme une sorte de rite de passage... Et ça passe à travers le regard d’un personnage féminin qui les aide à se découvrir. Nous vivons dans une société patriarcale. On nous a élevés dans le culte du masculin. Dès que vous remettez ça en cause, vous sentez bien que le système se raidit. Tant mieux. Plus les choses sont immuables, intouchables, plus j’ai envie de les déranger. C’est l’ambiguïté qui m’intéresse, qui me touche, que je ressens en moi. Quand La Manif pour tous a débarqué dans la rue et exposé partout sa vision du monde complètement binaire, les garçons d’un côté, les filles de l’autre, je réponds avec Une nouvelle amie. Les films dialoguent avec leur époque.
Dans Sitcom et Les Amants criminels, les personnages masculins se retrouvent humiliés, dominés – Stéphane Rideau, dans Sitcom, finit à quatre pattes en tenue SM – et y trouvent une forme étrange de plaisir... Qu’est-ce que ces premiers films racontent de l’époque, et de vous ?
Que ces films ne pourraient clairement pas être faits aujourd’hui ! (Rires.) Je me rends bien compte de la liberté un peu folle que j’avais à l’époque. On avait une forme d’insouciance, et le cinéma était un vrai terrain de jeu pour tout le monde. J’étais jeune, j’avais envie de provoquer, d’aller là où personne n’allait. En fait, ça peut vous paraître une excuse, mais je ne me rendais pas vraiment compte de ce que je filmais. C’était drôle – j’espère que ça l’est toujours –, mais il n’y avait pas vraiment de discours. Si ce n’est l’envie de filmer de beaux garçons et de s’amuser avec l’image du gendre idéal... Les corps étaient plus ludiques, peut-être moins évidemment politiques. Dans Sitcom, tout le monde baise avec tout le monde et tout le monde est plus content !
"Quand on dit “il faut arrêter d’objectifier les corps au cinéma”, c’est complètement idiot."...