[Une interview à retrouver dans le magazine de l'été] On l'a aimé à presque 20 ans dans Les Roseaux sauvages et Presque rien. À 47, l'acteur Stéphane Rideau est toujours une muse du cinéma gay.
Photographie : Audoin Desforges pour têtu·
Tour à tour objet de désir ou amant éperdu, Stephane Rideau et sa bouille de rugbyman angélique, son accent du Sud-Ouest et son profil de dieu grec, est un acteur mythique du cinéma gay. Révélé en 1994 par André Téchiné dans Les Roseaux sauvages – il est d’ailleurs à l’affiche de son dernier film, Les Gens d’à côté –, il apparaît rapidement chez François Ozon et surtout Gaël Morel avant d’interpréter des rôles gays dans Les Passagers, de Jean-Claude Guiguet, où il forme un couple improbable et savoureux avec Bruno Putzulu, et Presque rien, film phare des années 2000 réalisé par Sébastien Lifshitz. Après s’être consacré à sa famille et au rugby sur sa terre natale, où il a passé dix-sept ans avant de finalement revenir à Paris, Stéphane Rideau, 47 ans, qui s’est depuis fait une place à la télévision en plus de son implication au cinéma, s’entretient avec nous de ces années fondatrices et de ses désirs d’aujourd’hui.
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- Je t’ai découvert par hasard en couple avec Bruno Putzulu dans Les Passagers…
Oui ! C’est mon premier rôle gay au cinéma… à moins que ce ne soit Presque rien, de Sébastien Lifshitz, je ne sais plus lequel a été tourné en premier. J’aimais beaucoup Jean-Claude Guiguet. C’était un type adorable. Il me touchait beaucoup. Avant il y avait eu Le Banquet [il incarne Alcibiade, l’amant de Socrate], tourné peu de temps après Les Roseaux sauvages. J’avais 17 ans à cette époque.
- Presque rien a marqué une génération de mecs gays. On ne t’a pas trop pris pour un pédé, après ?
À Paris, les gens étaient très bienveillants. Il y avait déjà une communauté gay vivante, déclarée et assumée. Mais quand j’ai un peu décroché avec le cinéma et que je suis retourné vivre dans le Sud-Ouest, au début des années 2000, j’ai subi beaucoup de formes de harcèlement, même de la part de gens que je connaissais. Pour certains, c’était sur le ton de la plaisanterie, mais c’était un peu récurrent et fatigant. Et il y avait aussi le côté agressif : “Moi je ne parle pas à un mec qui joue des pédés…”
- Comment tu réagissais ?
Je ne me suis jamais senti obligé de me justifier sur ma sexualité. Je considère qu’on s’en fout, que les gens font ce qu’ils veulent. Ce n’est même pas une histoire de tolérance, c’est juste que ça appartient à chacun, donc je n’ai jamais voulu rendre de comptes à ceux qui me disaient : “Mais toi, t’es pédé ou pas ?”
"Comme j’ai fait des rôles gays marquants, ça m’a un peu étiqueté, mais est-ce que ça a nui à ma carrière, je ne sais pas."
- Ça veut dire que tu n’as jamais hésité à accepter des rôles gays ?
J’ai pu en refuser certains car ils étaient proches de ce que j’avais fait auparavant, mais je n’ai jamais fait de distinction. Dans Presque rien, la nouveauté c’était que ce n’était pas moi l’objet du désir. Mon personnage était plutôt en demande de sexualité, d’amour.
- Tu ne penses pas que ça a pu nuire à ta carrière par la suite ?
Comme j’ai fait des rôles gays marquants, ça m’a un peu étiqueté, mais est-ce que ça a nui à ma carrière, je ne sais pas. J’ai surtout fait une longue pause qui m’a éloigné des plateaux de cinéma. Certainement que ça a dérangé certains réalisateurs, mais ça a aussi pu en attirer d’autres. Après, je connais des acteurs gays dans le placard qui ont refusé ce genre de rôles pour ne pas être mal vus de leur public. Il y a des gens qui n’assument pas cette exposition. Je comprends que les acteurs ne fassent pas tous leur coming out public. Ça les regarde.
- Tu comprends les critiques sur les hétéros qui interprètent des personnages gays ?
Je ne vois pas pourquoi les hétéros ne pourraient pas jouer des rôles gays. Il y a des filles qui jouent des garçons, des garçons qui jouent des filles, et heureusement. Le cinéma, ça doit rester du désir, des rencontres entre des gens qui veulent travailler ensemble. Pour moi, on est gay dans sa sexualité, dans sa vie, et ce qu’on interprète c’est une autre histoire. Et puis tu sais, la frontière entre gay, pas gay, bi… Je pense que les gens ont toujours été très libres, et peut-être que maintenant ça se dit un peu plus. Au milieu de tout ça, il y a plein de gens qui existent, qui vivent, qui se déplacent, qui se rencontrent, qui s’aiment, qui se retrouvent, et c’est ça qui est beau. C’est ça qu’il faut défendre surtout, cette liberté-là de ne pas forcément être dans une case ou une autre – enfin je crois. On vit, quoi.
- Aurélien Wiik a récemment lancé le MeTooGarçon dans le cinéma. Toi qui as commencé jeune, tu as eu des problèmes ?
Je n’ai pas eu affaire à toutes ces espèces de renards des surfaces qui essaient de démarcher des petits jeunes – peut-être parce qu’après Les Roseaux sauvages [récompensé par quatre Césars en 1995], personne ne pouvait me vendre du rêve. L’emprise que peuvent avoir certaines personnes sur des gens qui rêvent de faire ce métier est absolument dégueulasse, et bien sûr qu'ils doivent être punis à la hauteur de leurs actes. Je suis solidaire du mouvement contre ces rapaces, bien entendu, je soutiens toutes les victimes d’abus et de harcèlement. Mais c’est aux personnes concernées de dire les choses, je ne peux pas parler à leur place. En trente ans de métier, évidemment que j’ai vu des choses. Ça arrive aussi que des comédiens tentent le coup pour réussir, j’en ai vu draguer et jouer le jeu de la séduction. Certains ont d’ailleurs réussi comme ça et ne disent rien. Pour moi, ce n’est pas une bonne façon d’y arriver. Quoi qu’il en soit, le pouvoir sur les gens qu’ont certains n’a pas lieu d’être.
- En plus de Gaël Morel, avec lequel tu travailles régulièrement, avec qui aimerais-tu collaborer ?
J’aime beaucoup Mikhaël Hers, en particulier Amanda, et Yann Gonzales – j’ai beaucoup aimé Un couteau dans le cœur. C’est du cinéma racé, qui m’intéresse, avec une vraie couleur. J’avais rencontré Alain Guiraudie, mais j’ai refusé L’Inconnu du lac, car je venais de faire Notre paradis, qui était déjà un film assez sombre. J’adore son cinéma. J’aimerais beaucoup travailler avec lui, il a un talent incroyable, et puis il est du Sud-Ouest !
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