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Nos vies queersTel père, tel fils : mon père aussi a fait son coming out

Par Hugo Wintrebert le 22/09/2020
coming out

Et si, lors de votre coming out, votre père vous avait répondu "moi aussi" ? Autour de la table familiale se noue parfois une nouvelle complicité, et de nombreuses questions ne manquent pas de se poser.

C’était sur la route des vacances, à l’été 2003. La voiture filait tranquillement sur les chemins de l’Espagne, dans une moiteur et une promiscuité propices à la confidence. Johann, 14 ans à l’époque, était assis sur la banquette arrière. Il a senti que c’était le moment : “Papa, j’ai quelque chose à te dire. J’aime les garçons.” Bartolomé a gardé le silence, le temps de regarder son fils dans le rétroviseur. Sans coup de volant ni perte de vitesse, il a rétorqué : “Moi aussi.”

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Johann imaginait que son coming out allait l’apaiser, mais voilà qu’il lui revient en pleine figure comme un boomerang. À l’aune de la révélation de son père, il revoit sa courte vie défiler : “Soudain, plein de choses faisaient sens.” Il a mieux compris le divorce de ses parents quand il avait 4 ans. Mais aussi la présence de cassettes VHS érotiques aux boîtiers recouverts de messieurs sur lesquelles il était tombé, petit. Il s’est souvenu de “l’ami” de son père, qui passait de temps en temps à la maison quand Johann s’y installait un week-end sur deux. Puis l’adolescent a été assailli de questions plus vertigineuses encore : “Pourquoi suis-je là ? Pourquoi j’existe ? Comment un père homo peut-il faire un enfant ?”

Divorce libérateur

Son père a fini par lui expliquer qu’il s’était toujours senti gay, mais qu’il n’était pas parvenu à l’assumer durant sa jeunesse. L’homophobie ambiante, la pression sociale et la honte l’ont forcé à fricoter avec des filles pour faire comme tout le monde. Puis il a rencontré Valérie, la mère de Johann. Tout est allé très vite avec elle : emménagement à deux dans un appartement lyonnais, mariage, enfant. Puis, avec le temps, Bartolomé a compris : “Ce que je croyais être de l’amour était juste du bien-être" explique-t-il. Le divorce a été douloureux mais libérateur. Il a enfin pu “se lâcher”, s’assumer. Comme s’il faisait “sa crise d’adolescence” à 30 ans passés. Il a fréquenté les bars aux couleurs arc-en- ciel, multiplié les coups d’un soir, aimé tout entier et sans se cacher.

Mais il restait un point délicat à aborder. Comment révéler à Valérie que, tout comme son ex-mari, son fils aussi était homosexuel ? Johann va attendre un an avant de le lui annoncer. “Lorsque je l’ai fait, il y a eu un silence qui m’a semblé durer trois minutes, se souvient-il du haut de ses 31 ans. Puis elle m’a répondu qu’elle s’en doutait. Elle avait remarqué la complicité que j’avais avec mon père. Surtout quand on parlait garçons, même si on essayait d’être discrets, s’amuse-t-il. En fait, avec mon père on parle de mecs comme un papa pourrait parler de filles avec son fils hétéro.”

Déchirements familiaux

La scène du double coming out prête à sourire. Quand Bartolomé, 61 ans aujourd’hui, explique sa situation familiale singulière, ses proches réagissent souvent toutes dents dehors, avec la même réplique : “Ah bah vous n’avez vraiment pas de chance!” Comme si être homosexuel était une tache, une erreur.

Pourtant, les histoires d’homosexualité s’étirant sur deux générations sont moins exceptionnelles qu’il n’y paraît. Même la fiction commence à s’en emparer. Dans la série How to Get Away with Murder, l’un des personnages principaux, le délicieux Connor Walsh, décrit son coming out à 12 ans, une semaine avant que son père ne fasse de même.

Dans la réalité, la situation est toutefois moins cocasse et provoque souvent des déchirements familiaux. Antoine* avait 11 ans quand son père a révélé son homosexualité. “Il m’emmenait au parc en voiture. Avant de me déposer, il m’a dit qu’il préférait les hommes. Je m’en fichais un peu, moi je voulais juste aller jouer”, se rappelle le jeune homme de 24 ans.

Chercher des explications

À l’époque, il ne voit pas de différence, ses deux parents continuant de vivre ensemble pour le bien de leur fils. Deux ans plus tard, ce fragile équilibre se rompt net. “Ma mère en voulait beaucoup à mon père, c’était violent, se souvient-il. Elle m’a monté contre lui, et j’ai subi toute sa colère.” Un jour, elle lance à son fils, pleine de rage : “Tu finiras comme ton père!” Le jeune Antoine ne sait alors même pas ce qu’être gay signifie. Il cherche à comprendre sur internet et découvre à son tour son goût pour les corps masculins.

L’année de ses 17 ans, alors qu’ils dînent ensemble au restaurant, son père lui demande sans prévenir : “Alors, tu es plus filles ou garçons?” Le sourire d’Antoine lui suffit pour comprendre. “Il m’a demandé : « Mais ce n’est pas à cause de moi quand même, si? » J’ai répondu que non, raconte-t-il. Même s’il avait été hétéro, j’aurais été gay.”

La réaction du père d’Antoine correspond à celles de nombre de parents homosexuels qui découvrent partager la même orientation que leur enfant. Ils oscillent entre sentiment de culpabilité et envie de trouver des explications. Car au-delà d’un coming out dans une famille, qui plus est dans la même lignée, les esprits interrogent le hasard... Il doit forcément y avoir une raison, pensent-ils.

Après la révélation de son fils, Bartolomé s’est inquiété : “Ta mère va croire que c’est ma faute”, répétait-il. “Beaucoup de gens me disaient que c’était héréditaire, se souvient-il. Ou que j’avais influencé mon fils en le laissant faire de la danse. Sur le moment, on ne peut s’empêcher de s’interroger.”

Une homosexualité génétique ?

Ces questionnements sont partagés par des familles au sein desquelles deux enfants sont homosexuels. Ludovic, 26 ans, a fait son coming out à 14 ans, quatre ans après celui de sa sœur. Il n’en a jamais vraiment reparlé avec sa mère, mais il se rappelle l’avoir surprise en pleine conversation téléphonique quelque temps après sa révélation : “Elle disait « qu’est-ce j’ai fait de mal, qu’est-ce que j’ai fait pendant leur enfance pour mériter ça ? » Heureusement, elle a vite arrêté de chercher des réponses. Maintenant elle voit bien que ses enfants sont heureux.”

Ce double coming out pose des questions dont certaines sont sans avenir : l’homosexualité se transmet-elle ? Pourquoi certains d’entre nous sont- ils homos ? Est-ce inné ou acquis ? Est-ce d’ordre génétique ou culturel ? L’éducation donnée à un enfant influence-t-elle son orientation sexuelle ? Autant de questions vertigineuses sur lesquelles les sciences naturelles comme les sciences sociales se sont beaucoup penchées, sans parvenir à trouver de réponses.

En 2019, une analyse publiée dans la très respectée revue scientifique à comité de lecture Science a répondu à la question. Elle réfute les résultats d’une précédente étude publiée dans les années 1990 qui prétendait avoir trouvé un “gène gay”.  Cette nouvelle étude, menée sur un demi-million de profils ADN, est sans appel : il n’y a pas de gène gay, mais de nombreux petits effets génétiques répartis dans le génome joueraient un léger rôle dans l’orientation sexuelle d’une personne. Elle conclut que le facteur essentiel reste l’environnement dans lequel chacun grandit et évolue par la suite. Être gay ou lesbienne est parfaitement naturel et fait partie de la vie.

Déculpabiliser les parents

“Un parent trouve toujours une grille de lecture pour expliquer l’homosexualité de son enfant, prévient Antony Debard, membre de Contact, une association de dialogue entre les personnes LGBT+ et leur famille. Lors de nos groupes de parole, certaines explications reviennent tout le temps : « Mon fils est homo parce que j’ai divorcé quand il était petit », « mon fils était majoritairement avec des filles dans sa classe », « j’aurais dû être moins présente » – ça c’est pour les mères –, « j’aurais dû être plus présent » – ça c’est pour les pères. On essaye de montrer qu’il n’y a pas d’explication. Cela permet de déculpabiliser les parents.”

Les couples homosexuels qui entament des démarches pour adopter se posent aussi beaucoup de questions sur l’orientation de leur futur enfant et sur leur influence là-dessus. “Certains sont inquiets que leur enfant ait à subir des discriminations, dont ils ont pu eux-mêmes être victimes, si celui-ci se révélait homo. Mais je n’ai pour autant jamais rencontré de parents qui faisaient tout pour que cela n’arrive pas”, souligne Jérôme Courduriès, anthropologue et auteur d’Homoparentalités, la famille en question.

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Plein de questions

Nicolas Faget, responsable à l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), spécialisée dans l’accompagnement des familles homoparentales, constate l’importance que certains parents accordent à l’éducation de leurs enfants. “Tout part souvent de questions sur les jouets : ils se disent que ça peut amener à enfermer un enfant dans un genre qui ne lui convient pas et donc potentiellement dans une orientation sexuelle, explique-t-il. Nos membres, qui sont plutôt des militants, essaient vraiment d’éduquer leurs enfants autrement qu’eux-mêmes l’ont été.”

Tous les couples homoparentaux ne sont pas forcément très libéraux sur le plan des mœurs, précise Jérôme Courduriès. Mais je suis convaincu que le fait de vivre dans une famille homoparentale apporte une plus grande souplesse dans les normes de genre et de sexualité. Cela ne va pas faire apparaître de l’homosexualité là où elle n’aurait pas émergé, simplement cet enfant pourra vivre avec plus d’aisance la découverte de son homosexualité, s’il y est confronté bien sûr.” La grande majorité des études sur le sujet tend à prouver que la probabilité d’avoir un enfant homosexuel n’est pas supérieure pour un couple de même sexe.

Dans quelle mesure le coming out du fils “ouvre la voie” à son père ou, au contraire, l’inhibe ? Inversement, dans quelle proportion les parents homosexuels vont-ils permettre à leur enfant d’assumer plus facilement leur homosexualité ? Robert a dû attendre ses 50 ans, dont trente de mariage avec sa femme, pour “ne plus être effrayé” par son homosexualité. Sa famille a très mal accueilli son coming out, perçu comme “une trahison”, et lui a reproché de ne pas avoir été sincère dans ses sentiments, quand bien même il assurait avoir réellement aimé son ex-compagne.

Un nouvel affront

L’un de ses trois enfants lui en voulait particulièrement. Gaultier, âgé de 20 ans à ce moment-là, avait compris qu’il était lui-même gay un an auparavant et comptait bien l’annoncer à sa famille. Enfin, c’était avant que son père ne lui “vole” ce moment. “C’est déjà assez difficile de faire un coming out, mais là, en plus d’assumer mon homosexualité, je devais assumer celle de mon père, déplore- t-il. J’ai surtout eu mal pour ma mère. Elle a vécu son coming out comme une sorte d’humiliation. Dire dans la foulée que j’étais moi-même gay, ça aurait représenté un nouvel affront.” Il a donc préféré attendre, quatre ans exactement, durant lesquels il a tourné le dos à son père. "Notre homosexualité commune nous a plus séparés qu'elle nous a rapprochés, regrette ce dernier. Pendant tout ce temps, on ne s'est pas parlés ni vus. Même si aujourd'hui ça va mieux entre nous, ces années me manqueront toujours."

Gaultier s’est posé beaucoup de questions sur la transmission supposée de l’orientation sexuelle, jusqu’à lire plusieurs livres sur le sujet, comme Biologie de l’homosexualité, de Jacques Balthazart, avant de se faire une raison : il ne trouvera jamais d’explication irréfutable. Aujourd’hui, il arrive même à en rire : “Avec mon copain, on envisage d’avoir un enfant. Mon mec aime bien plaisanter en disant que, vu ma famille, il y a de fortes chances que notre futur fils soit gay lui aussi.”

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