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coming out"Maintenant, je peux vivre pour moi" : ils ont fait leur coming out après 40 ans

Par Camille Lamblaut le 09/11/2020
"Maintenant, je peux vivre pour moi" : ils ont fait leur coming out après 40 ans

Ils avaient 40, 41, 46 et 51 ans lorsqu’ils ont fait leur coming out. Miren, Serge, Mahalia et Laurent racontent pourquoi et comment ils se sont assumés… sur le tard. Trop tard ? Pas forcément. Mais il était temps.

Faire son coming out après 40 ans, c’est toute une épopée. C’est commencer un nouveau chapitre avec déjà toute une vie derrière soi, une vie d’hétérosexuel. Est-ce plus difficile qu’à 20 ans ? Chaque expérience est différente. Mais les témoignages de Serge, Miren, Mahalia et Laurent le montrent bien : faire son coming out passé un certain âge n’a rien de facile. Peut-être mariés depuis presque 20 ans, parfois parents voire même grands-parents, le chemin vers le coming out a été, pour certains, long et tortueux, pour d’autres une évidence, mais pour tous une libération. 

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Pour Serge, c’est la grossesse de sa fille aînée qui lui a fait l’effet d’un déclic. "J’ai éclaté de joie, je me suis dit que j’avais fait ce que j’avais à faire et que maintenant je pouvais vivre pour moi", raconte le retraité de 63 ans. Pour lui, la règle avait toujours été claire : pas de coming out avant que ses enfants soient grands. Il avait 40 ans et s’apprêtait à divorcer après vingt ans de mariage. "J’ai toujours su qu’il se passerait quelque chose vers cet âge-là", dit-il. Si le coming out est arrivé dans la vie de Serge comme une suite logique, pour d’autres, il s’est imposé comme une nécessité, une question de survie. 

S’assumer pour survivre

"Je n’arrivais pas à recevoir l’affection des autres et j’avais perdu toute affection pour moi-même. Ce manque d’estime personnelle me gâchait la vie", se souvient Laurent, 56 ans. Pour ce professeur de français, le coming out est apparu comme la promesse de jours meilleurs. "J’étais convaincu qu’en m’assumant j’irais mieux, car je retrouverais confiance en moi et que mon épanouissement ne pouvait que contribuer à l’épanouissement des autres." Les autres, ce sont ses trois enfants, alors âgés de 28, 23 et 18 ans.

Alors qu’il s’épanouit dans ses nouvelles fonctions d’élu municipal, il réalise que "la vie ce n’est pas que de la souffrance où il faut tout supporter comme un poids. On peut être acteur de sa vie et ne pas se soumettre aux injonctions." Cet épanouissement professionnel additionné à plusieurs années de psychanalyse finissent par lever le voile sur l’homosexualité que Laurent refoulait depuis l’enfance. Il a alors 51 ans et est marié depuis 28 ans quand il décide de faire son coming out, "sans avoir jamais connu un homme"

"C'est devenu évident"

Une question de survie. C’est aussi pour cette raison que Miren a fait son coming out il y a trois ans, à 46 ans. "Je ne vivais plus, raconte-t-elle. J’ai fait une dépression à force de me mentir et de mentir aux autres. J’ai attendu d'être tout au fond du trou et quand j’ai touché le fond, j’ai mis un petit coup de pied et j’ai dit ça y est !" L’élément déclencheur ? Le départ de sa fille aux Etats-Unis pour un an, qui l’inspire et lui donne le courage de se lancer, elle aussi.

"Est-ce le poids de mon éducation et de la société qui m’a empêché de le faire avant ? Ou le fait qu’en tant que mère active, la charge mentale avait fait de mon orientation sexuelle le cadet de mes soucis ? Dans tous les cas, pendant 20 ans, j’ai eu d’autres chats à fouetter que de me préoccuper de ce que je pouvais ressentir. Et puis plus les enfants  grandissaient, plus j'avais le temps de penser à moi. Et c'est devenu évident", explique Miren.  

S'assumer auprès de ses enfants...

Serge a toujours su qu’il était gay. Il le savait déjà en primaire et encore au collège lorsqu’il gardait secrète sa relation avec un garçon. Il le savait aussi lorsqu’il se rendait à des "boums spéciales", et plus tard, dans les années 70, quand il se "planquait sous une porte cochère parce qu’une voiture passait alors qu’il tenait la main d’un jeune homme". Une façon d’éviter de finir la nuit au poste de police, car l’homosexualité était encore condamnée. Il le savait jusqu’à son enterrement de vie de garçon, qu’il a fêté… entre garçons. Et pourtant, il lui aura fallu huit jours de retraite spirituelle dans une abbaye, pour se décider à faire son coming out. "Je voulais savoir si je voulais vraiment divorcer et tout plaquer, si c’était la bonne décision", explique Serge.

De retour de son séjour monacal, il annonce à son épouse qu’il veut divorcer, sans lui dire qu’il est gay. Une fois la procédure de divorce engagée, il fait son coming out auprès de ses enfants. Sa fille avait alors 19 ans et son fils 16. "Pas évident", se souvient-il, mais sans que cela ne semble affecter leur relation. Pourtant, sept ans plus tard, le mari de sa fille l’appelle. Il n’accepte pas l’homosexualité de son beau-père et souhaite en "préserver ses enfants". "Depuis, je n’ai plus de relation avec aucun membre de ma famille, conclut Serge. Je n’attends plus d’explications de la part de ma fille, ni de mon fils. Et s’ils reprennent contact avec moi un jour, je ne sais pas si je répondrai tout de suite." 

Si l’expérience de Serge est malheureuse, faire son coming out à ses enfants n’implique pas forcément de les perdre. Pour Mahalia, qui a décidé d’assumer son homosexualité à 41 ans, cinq ans après son divorce, "c’est passé comme une lettre à la poste." Sa fille avait 15 ans et son fils 13. "J’étais fébrile, j’avais très peur, se souvient la bordelaise. J’étais tellement grave dans ma façon d’amener le sujet que ma fille a cru que j’étais malade. En fait, ils se fichaient que je sorte avec une femme."

Même réaction chez Miren, qui cite ses enfants : "Ah c’est que ça !" Pour Laurent, leur compréhension a même touché à la compassion. "Ma fille a discuté avec moi de façon très posée, mon fils cadet m’a félicité et le dernier a pleuré en me disant : "tu n’as pas de chance parce qu’être homosexuel ce n’est pas un cadeau"". 

... et de ses parents

Faire son coming out après 40 ans, c’est aussi passer par l’exercice difficile de l’annoncer à ses parents. Des parents qui sont alors âgés, et qui ont, en plus, parfois contribué à ce que ce coming out soit tardif. On pourrait alors redouter le pire, et pourtant, pour Miren et Laurent les réactions de leurs parents ont été bienveillantes, parfois même au-delà des espérances.

Quand Laurent a annoncé à ses parents qu’il était homosexuel, ils avaient déjà 81 et 84 ans, et vivaient en maison de retraite. "J’appréhendais de le faire car la sexualité n’avait jamais eu aucune place chez nous, explique-t-il. Ma mère était très croyante et pratiquante. Elle a eu 10 enfants, et ne séparait pas l’acte sexuel de la procréation." Mais Laurent l’admet, "ça a été plus difficile pour moi que pour eux. Ils ont été très calmes et tolérants."

Miren, de son côté, est encore émue quand elle décrit la réaction de ses parents. "Ils ont été adorables, dit-elle. Mon père a fait des recherches sur la place des homosexuels dans la société, car il était inquiet pour moi. Et ma mère s’est excusée d’être peut-être responsable que je ne me sois pas assumée plus tôt. Cette preuve d’amour me prend encore aux tripes."  

La vie après le coming out

Des aventures, puis une rencontre, dix-huit ans de pacs avec un homme qu’il finit par épouser, un divorce, et aujourd'hui une autre histoire d’amour qui dure maintenant depuis six ans. Il y a encore toute une vie à vivre après un coming out tardif, Serge en est la preuve. "Une nouvelle vie, comme une forme de libération", c’est aussi ce qu’a ressenti Laurent. Son coming out a même influencé son travail. Il continue d’enseigner dans un établissement privé catholique, où plusieurs de ses collègues sont également homosexuels, mais sa façon d’enseigner a changé. "Je suis beaucoup plus à l’aise qu’avant face à mes élèves, explique le professeur. Presque tous les ans, un ou deux élèves viennent se confier à moi à propos de leur sexualité." Peu de temps après son coming out, l’un de ses fils a lui aussi confié son homosexualité. "Je pense que mon propre coming out l’a aidé", dit-il modestement. 

En faisant son coming out, Miren aussi a encouragé l’un de ses proches à s’assumer : son mari, dont elle est depuis divorcée. "Nous sommes restés ensemble vingt ans et inconsciemment j’ai toujours su qu’il n’était pas hétéro, affirme-t-elle. S’il l’avait été, il se serait barré depuis longtemps." Mais surtout, c’est elle-même que Miren a aidé à trouver. "Quand Simone de Beauvoir dit qu’on ne naît pas femme mais qu’on le devient, elle a raison, dit-elle en citant la célèbre autrice. Je suis devenue femme quand j’ai fait mon coming-out, à 46 ans. J’ai été plus mère que femme pendant 20 ans, mais c’est aussi ce qui m’a sauvé." 

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Se reconstruire

Les coming out tardifs, aussi libérateurs qu’ils soient, ne font pas toujours l’effet d’une renaissance. Pour Mahalia par exemple, tout n’est pas encore réglé. "J’ai été à ma place tout de suite dans cette sexualité, la sensation d’être en terrain connu, explique-t-elle. Mais je remets constamment en question le fait d’être vraiment lesbienne. Je suis toujours en thérapie, notamment car j’en veux beaucoup à mes parents."

Elle raconte comment, à 16 ans, son père lui a "tabassé la gueule", car il la soupçonnait de fréquenter une fille. "Ma mère est sénégalaise et marocaine et mon père togolais. J’ai été élevée dans une famille catholique, protestante musulmane, donc il était inenvisageable que je sois homo", précise-t-elle. Pourtant en couple avec une femme depuis quatre ans, c’est encore une épreuve pour elle d’apparaître ensemble en public. Mais elle l’affirme, "progressivement je lâche prise." 

"J'aurais eu une autre vie"

Regrettent-ils de ne pas avoir fait leur coming out plus tôt ? Les réponses sont partagées. Du côté de Mahalia, le oui est franc. "J’adore mes enfants, mais j’aurais eu une toute autre vie, lâche-t-elle. Les larmes montent quand j’y pense." "Je rêverais de refaire ma vie, dit aussi Laurent. Mais j’ai fait comme je pouvais vu les circonstances à l’époque. Si c’était à refaire, je l’annoncerais quand même moins brusquement à ma femme." Pour le quinquagénaire, il est important de ne pas faire son coming out trop tard.

C'est-à-dire ? "Quand on n’a plus l’énergie de recommencer sa vie". "Ceux qui hésitent doivent se demander ce qui est le plus important pour eux, en sachant bien une chose : ils ne pourront jamais vaincre l’attirance qu’ils ressentent pour les hommes ou les femmes. J’ai essayé de toutes mes forces, je n’ai pas réussi et je ne le conseille pas." Et il insiste : "il ne faut pas que les enfants soient une raison de ne pas le faire". 

Serge, lui, n’a aucun regret. "Me marier avec ma femme n’était pas une erreur, affirme-t-il. Il fallait que je passe par là pour mieux assumer ce que j’étais par la suite." Mais il reconnaît que s’il n’avait pas été autant accaparé par son métier de restaurateur, il aurait peut-être eu une relation extra-conjugale avec un homme à l’époque. "Quand j’échangeais un regard avec un homme, je me disais que ça aurait été bien de pouvoir faire davantage connaissance", confie-t-il. Miren non plus ne regrette rien. "J’ai fait les choix que j’ai fait et je ne vais pas faire une croix dessus, dit-elle. Mes trois enfants sont ma raison de vivre."  

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