Pour nombre de jeunes homos, le coming out génère deux moments cruciaux : comment le faire, puis plus tard comment renouer avec ses parents quand ils ont mal réagi ? Témoignages de jeunes gays, lesbiennes, trans qui ont eu à gérer des parents homophobes.
Le 1er juin est la Journée mondiale des parents, organisée par l'ONU. L'occasion de réfléchir sur nos rapports à eux et, pour eux, à leur réaction face par exemple au coming out de leur enfant homo…
"Lorsque je suis revenu chez mes parents pour la première fois après leur avoir fait mon coming out, un silence planait, se souvient Raphaël, 26 ans. C’est comme si quelqu’un était mort." Alors que le jeune gay pensait que l'opération sortie du placard s’était plutôt bien passée, il a donc vite déchanté.
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« J’ai eu l’impression qu’ils m’avaient d’abord menti en me disant que tout allait bien et qu'ils étaient là pour moi. Et là, rentrer et les voir se comporter comme si leur fils était mort, c'était trop pour moi…" Et encore, souligne-t-il, "le pire c'est que j'ai de la chance", comparé aux jeunes qui se font par exemple bannir de la maison familiale. "Dans mon cas, l'homophobie n'a pas été violente physiquement."
Le coming out, "deuil" pour beaucoup de parents
L'expérience de Raphaël illustre bien l'imprévisibilité des émotions des parents, leur multiplicité et parfois leur ambivalence face à leur enfant LGBTQI et dans le processus qui s’engage dès lors qu’ils « savent » explicitement. "Après le coming out de son enfant, il se joue quelque chose qui s’apparente à un processus de deuil, décrypte Gabrielle Richard, sociologue du genre et spécialiste des questions LGBT à l'école. Il y a souvent un choc initial avec un déni, parfois un rejet et, dans le meilleur des cas, une acceptation." Sébastien Chauvin, sociologue et co-directeur du Centre en études genre de l’UNIL à Lausann, utilise la même image : "Les parents ont généralement éduqué leur enfant dans l’idée qu’il serait hétéro, en les projetant dans l'avenir qui va avec. Quand cet avenir disparaît, c’est parfois vécu comme un deuil, d'ailleurs le terme est parfois prononcé par les acteurs."
A partir de là, certains parents vont "faire du coming out un non-événement et agir comme si on n'avait rien dit, poursuit le chercheur. Cela peut être du déni ou bien simplement que l’on en parle pas. Cela peut être bien intentionné de la part des parents, dans l’idée que ça ne change rien mais pour l’enfant, il y a quand même des choses qui changent et ce n’est pas pris en compte. Alors, cela redevient un tabou." Fabien, jeune homme gay de 23 ans, a vécu cela avec sa mère, après des débuts plus qu’houleux. "Au fil du temps, elle s'est calmée. Elle a accepté ensuite le fait que j'aie un copain mais elle ne veut pas en parler. Elle me demande souvent d'essayer avec des femmes car selon elle, si on essaye pas, on peut pas savoir…"
Le nouveau placard du déni
En face, l'enfant va parfois jouer le jeu, préférant finalement se taire pour éviter la houle et ne pas risquer de couper les liens avec ses parents. C'est le cas de Marie, qui a fait son coming out lesbien il y a 8 ans. "Aujourd’hui, ils ne savent plus rien de ma vie amoureuse, mon psy appelle ça la politique du 'don’t ask don’t tell' [Ne rien demander, ne rien dire, ndlr], en référence à celle de l’armée américaine pour 'accepter' les homosexuels à partir des années 60." Le désir de ne pas couper les ponts vient parfois des parents malgré leur rejet, comme dans l’histoire de Julia, jeune femme trans qui a fait son coming out en 2012. "Mes parents, qui habitent dans une petite ville de province, m’ont demandé de ne plus venir les voir, de ne plus voir le reste de la famille au prétexte qu’eux ne sauraient pas gérer les questions des autres. À ce moment-là, j’ai cessé de leur parler. Mais eux maintenaient un lien en continuant de me verser une petite somme tous les mois comme ils le faisaient auparavant". Un nouveau placard, de déni cette fois, dans lequel les parents peuvent rester coincés des années.
"C’est aussi la famille qui doit ensuite faire son coming out"
Sébastien Chauvin explique assez bien l’ostracisme dont Julia a fait les frais : "S’il y a des questions de valeurs associées au capital culturel des parents qui entrent en jeu dans l’acceptation de leur enfant, il ne faut pas voir les choses uniquement par le prisme du capital culturel. Il faut croiser ces éléments avec l’importance du voisinage et/ou de la communauté." Car en effet, souligne le sociologue, "c’est aussi la famille qui doit ensuite faire son coming out. Dans une petite communauté, un village, à niveau de tolérance égal ou à valeurs égales, avoir un enfant LGBT peut être plus coûteux pour une famille qui vit dans un contrôle social important ou un milieu d’interconnaissance important. Il peut tout aussi bien s’agir de la grande bourgeoisie, d’habitants de petites communes ou de communautés ethniques ou religieuses. »
Regard des autres et injonction à la descendance
Ce poids de la communauté peut amener au rejet pur et simple. C’est ce qui est arrivé à Aiden : "D’après mes sœurs, ma mère ne veut pas me parler car elle ne veut pas que je pense qu’elle cautionne ce que je fais, ça la dégoûte". Son témoignage montre combien le culturel est intimement lié avec l’importance du contrôle social dont parle Sébastien Chauvin: « Je pense que c’est surtout culturel. On ne l’avouera jamais mais les cultures du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord sont homophobes de par la religion mais aussi du fait qu’il y a un grand souci du regard des autres et de l’honneur de la famille".
Dans le cas de l'homosexualité masculine, un autre aspect entre en jeu : le stigmate qui suggère qu’il n’y aura pas de descendance. C’est un vécu partagé par Raphaël, qui vient d’une famille assez aisée et bourgeoise : « Ma mère avait le giga seum parce que mon homosexualité met des bâtons dans les roues de son projet d'avoir des petits-enfants. Il y a une vrai injonction à la descendance dans ma famille." Un grand classique du coming out gay : la mère – souvent – qui fond en larmes en réalisant que son fils ne lui donnera peut-être pas de petits-enfants.
Éduquer les parents
Comment, ensuite, renouer le contact avec des parents qui nous ont profondément blessé·e, plus ou moins consciemment ? "Après deux ans, nous avons repris contact et ils venaient me voir à Paris, raconte Julia. C’était une espèce de paix des braves, des moments assez épuisants où ils continuaient de me mégenrer et de m’appeler par mon deadname. Mais c’était important pour moi de garder le lien". En particulier quand, l'âge venant, d'autres enjeux viennent se poser à l'enfant dans sa relation avec ses parents : "Il y a deux ans, on a diagnostiqué un cancer à ma mère. La seule chose à laquelle on pense alors, c’est de profiter au mieux du temps qui reste…" Alors c'est Julia qui a fait le chemin vers ses parents : "Je suis retournée chez eux. Ils essaient de faire des efforts même s’il subsiste quelque chose de l’ordre du 'on ne veut pas voir'…"
"Je n’ai pas envie de couper les ponts avec eux, mais je ferai quand même ma vie comme je l’entends"
Ce sont bien souvent les enfants qui prennent sur eux et font la part du chemin que leurs parents refusent de faire. Une chemin chaotique. Marie raconte : "Mon psy préconise la pédagogie mais je ne sais même pas ce que pensent mes parents, ils évitent le sujet. J’ai été très étonnée il y a deux semaines que mes parents likent les photos de la marche lesbienne que j’avais postées sur Insta. Alors, il y a peut-être de l’espoir. Je n’ai pas envie de couper les ponts avec eux, mais je ferai quand même ma vie comme je l’entends, ils verront bien si ils veulent ou non en faire partie. »
Ryan, jeune homme trans dont le père avait particulièrement mal réagi au coming out, vit également une situation ambiguë : "Maintenant, je suis en 'bons termes' avec lui, du moins j'essaye. Je cache encore plus mes véritables émotions. Il ne m'a toujours pas encore accepté dans mon genre masculin, alors je fais comme si de rien n'était". Il y a en effet un prix à payer à cette zone grise : "À force de me taire, j’ai développé une forme de phobie sociale. Désormais, je pars du principe où si ma famille m’accepte, c'est tant mieux mais que si elle ne m'accepte pas, je finirai par partir de chez mes parents en étant heureux avec des personnes qui m'acceptent réellement pour qui je suis."
Parfois, il faut rompre avec ses parents
Reste que parfois, les parents ne dépassent le stade du déni que pour la remplacer par la colère, la haine et le rejet. C‘est ce qu'a vécu Allan, garçon trans, pour qui raconter son histoire reste très douloureux. C'est qu'il a subi un lourd harcèlement transphobe de la part de ses parents. "Ils ont tout fait pour m’empêcher d’avancer dans ma transition. ils annulaient mes opérations de réassignations dans mon dos, téléphonaient à mon endocrinologue qui refusera mes demande de rendez-vous pendant trois ans, durant lesquels j’ai donc subi un dosage inadapté. J’ai dû déménager huit fois pour qu'ils arrêtent de retrouver ma trace et de me mettre des bâtons dans les roues. Ils téléphonaient aussi à mes employeurs pour tout leur dire, par exemple. Lorsque j'ai finalement trouvé des chirurgiens pour une torsoplastie et une hysterectomie, j'ai failli mourir sur la table a cause d'une hémorragie. Bien sûr personne n'est venu, et je suis reparti tel quel chez eux en convalescence. Ils m'ont forcé à me 'bouger' et à travailler avec mon père parce que 'je suis un homme, maintenant hein !'." Evidemment, le traumatisme est fort : "Cette violence est ancrée en moi. À force de déménager, mes parents ont perdu ma trace alors maintenant, ils m'envoient des mails d'insultes de menaces. »
"Quand l’homosexualité ou la transidentité brisent ce lien fort et symbolique, les dommages sont d’une grande ampleur"
Dans ces cas-là, pour Allan comme pour de nombreuses personnes LGBTQI+, pas d'autre solution que l'éloignement, pour se sauver et se reconstruire loin du nid familial. Mais la blessure ne fait pas moins mal avec la distance. "On parle trop rarement des dommages que peuvent causer ces situations de non acceptation parentale sur les jeunes concerné.e.s, déplore Gabrielle Richard. Ils et elles ont besoin de leur parents pour leur estime d’eux-mêmes, pour cheminer en société. Quand l’homosexualité ou la transidentité brisent ce lien fort et symbolique, les dommages sont d’une grande ampleur."
Il ya aussi des happy end !
Heureusement, il y a aussi des histoires qui finissent bien, après un cheminement plus ou moins long. Pour Louise, c’est allé assez vite après son coming out lesbien : "Un soir, la discussion est venue sur le fait d’avoir des enfants. Alors que mon père me demande si je veux fonder une famille et, si oui, si je voudrais porter un enfant, ma mère lui rétorque : 'Peu importe de qui il ou elle sortira, tu seras bien content d'être papi et puis c'est tout, non ?' La discussion s’est arrêtée là, avec mon père bafouillant un 'oui oui, je serai content'."
Un souvenir réconfortant pour Louise : "J'ai souri, si fort. Pour la première fois depuis mon coming out, l'esprit de famille et de soutien dans lequel j'ai toujours baignée s’est fait sentir. À partir de là, tout est allé pour le mieux. Lorsque ma copine est venue à la maison pour les vacances post-confinement, mon père lui a dit : 'Tu es ici chez toi et je te traiterai comme l'une de mes filles'. Depuis, nous avons beaucoup parlé et aujourd’hui, ma sexualité n'a pas d'importance si ce n'est qu'ils ont plus peur pour moi si je sors publiquement avec une copine ou si je me rends à une pride. Ils me soutiennent à 100%."
Comme s’il s’agissait, en fin de compte, pour ces parents d’apprivoiser l’homosexualité, la bisexualité ou la transidentité de leur enfant. Timothée témoigne d’une histoire similaire, après un coming out pourtant difficile : "Mon père m’avait demandé de ne plus le contacter. Mais six mois plus tard, il est arrivé à mon appartement alors que je faisais une soirée avec une dizaine d’amis, pour me ' faire une surprise' et me dire qu’il m’acceptait. C’était assez froid sur le moment, je n’avais pas du tout apprécié ce mouvement à l’improviste chez moi alors que je recevais des invités. Mais cinq ans plus tard, la situation a totalement évolué ! Aujourd'hui il adore mon copain et me demande régulièrement des nouvelles, nous sommes même allés chez lui en vacances, à sa demande, et tout se passe très bien. S’il devait se positionner dans son quotidien, je sais qu’à présent, il défendrait la cause LGBT." Et quand ça ne se passe décidément pas bien, il reste la communauté, et la philosophie. Aiden hausse les épaules : "Ma mère a coupé tout lien avec moi donc à partir de là, ça ne peut que évoluer dans le positif…".
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