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coming outJe suis gay, lesbienne... et mon frère ou ma soeur aussi !

Par Tom Umbdenstock le 08/09/2020
Fratrie

Parfois, plusieurs membres d’une fratrie sont gays ou lesbiennes. Si cela semble plus facile à vivre pour certains, pour d'autres, c'est une pression supplémentaire. Notamment sur la question des enfants... 

Dans sa famille, être lesbienne ou gay est une chose qu’on vit souvent seul. Mais parfois, il arrive que plusieurs membres d'une même fratrie soient gays ou lesbiennes. Des nouvelles questions se posent : “Est-ce que tu es comme ton grand-frère ?” avait demandé sa mère à Adrien encore adolescent. “Elle ne m’aurait pas posé cette question-là si mon frère n’avait pas fait son coming out avant. Elle a été mise devant le fait accompli par lui. Elle voulait savoir pour moi aussi.”, se souvient-il. La réponse d’Adrien ne fut pas moins pudique : “Peut-être que je suis un peu comme mon frère.” Il se souvient que passer en deuxième, “ça retire la peur de la réaction, puisqu’elle l’a déjà vécu. Quelqu’un d’autre a commencé à faire le travail avant.

Le premier qui l'a dit

Dans un autre foyer, Julien avait aussi dégagé la voie en faisant son coming out à 16 ans. Charlotte sa soeur cadette 28 ans, raconte que “A 12 ans, j’apprends que mon frère est gay et pourtant il n’a pas plus changé que ça, donc ça doit être normal ! Ca existait déjà, ça s’était déjà presque formé dans la famille nucléaire.” Au final pour elle, “il a un peu ramené le LGBT à la maison”.

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Lorsqu’elle réalise qu’elle est aussi attirée par les personnes du même sexe, son cheminement est ainsi plus simple : “Je me le suis avoué vachement plus facilement.” Même chose pour Eugénie, 29 ans, qui avait levé le voile sur son homosexualité plus tard qu’Anatole : “Dans mon acceptation, j’étais admirative du fait qu’il soit au clair avec ce qu’il est. Je me suis toujours dit ‘s’il a réussi je vois pas pourquoi moi aussi’”.

Remise en question des parents

Dans une fratrie à plusieurs personnes LGBT+, le premier sert ainsi de modèle tandis le suivant sait à peu près à quoi s’attendre, surtout lorsque les choses se passent moins bien que prévu. Quand le grand frère d’Eugénie a fait son coming out, “nos grands-parents paternels l’ont très très mal reçu. Ils ne veulent pas du tout en parler, ils ne prennent pas de nouvelles de sa vie sentimentale donc moi j’ai même pas tenté de le faire. Mais ils habitent loin et on ne les voit pas souvent donc j’ai préféré ne rien dire.”, raconte la petit soeur.

Pire encore, elle avait peur que sa mère culpabilise inutilement : “Est-ce qu’elle va se dire ‘qu’est-ce que j’ai fait de mal ?’”. Si la crainte n’a duré qu’un temps, “je n'ai jamais eu peur qu’elle me renie. Ce qui m'embêtait c’est qu’elle se remette en question.” Ce que confirme Anatole, qui ajoute que “elle avait peur d’en parler à notre mère du fait que moi je sois déjà out.

Mais pour leur mère Laurence, responsabilité ou culpabilité, “c’est une fausse question”. Elle se souvient qu’Eugénie avait voulu la préserver, lui disant d’abord que « voilà je suis avec une fille. Par contre moi je suis pas homo, ça s’est présenté comme ça. » Dans tous les cas « pour moi mes enfants sont normaux. C’est comme ma fille qui est gauchère. » Même chose pour Sylvie, la mère de Sylvain et Charlotte : « Je ne me suis pas posé la question. C’était comme ça et point barre. Ils assumaient. Je me suis pas plus étonnée que si j’avais eu deux enfants hétéros. » Fabienne, la mère de Guillaume et Romain tous deux gay, rapporte que « Du côté de mon mari ca a été plus difficile. » Une question avait effleuré leur père : « J’aurais pas du le laisser aimer le rose. ». Et pour cause, « la famille de mon mari avait peur du qu’en-dira-t-on.»

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Risque de rejet multiplié

Le risque de rejet peut-être en effet multiplié par le nombre de coming outs, comme dans la famille bien moins compréhensive de Claire 24 ans et Manon, 27 ans, toutes deux bisexuelles. Même si Claire “n’aime pas ce mot”. Elle explique que “nos parents sont chrétiens, et pas chrétiens du dimanche. Mon père c’est un ancien musulman converti, et ma mère est fille de pasteur.” Elles avaient fait le choix de ne rien dire, mais en 2017, une fille de la paroisse révèle leur secret.

Leur mère accepte bon gré mal gré, mais le père est intransigeant. “Ma mère n'est pas d’accord avec ça, explique Claire, mais on reste ses filles et elle va pas nous rejeter. Mon père je l’ai croisé le lendemain et à partir de là il ne m’a plus parlé jusqu’à ce qu’il apprenne que je n’étais plus avec ma copine. Il m’a demandé ‘est-ce que c’est permanent ?’”. Depuis, la relation des deux soeurs avec leur père évolue en fonction des rencontres de Manon et Claire, “à chaque fois qu’on est avec une fille, c’est un coming out. Parce que entre temps, pour lui, c’est fini.”, raconte cette dernière. 

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Pression à la parentalité

Si les aînés essuyent souvent les plâtres, Guillaume, 28 ans, est une exception. "C’est moi qui ai fait le coming out en premier” raconte-t-il, quelques mois avant son frère plus âgé de quatre ans. Des coming out dans le désordre, qui l'ont fait culpabiliser d’avoir laissé son grand frère fermer la marche et annoncer à leurs parents qu’ils n’auront pas un destin familial classique. Le frère jumeau d’Adrien a été le troisième et dernier de la fratrie à faire part de son homosexualité à ses parents.

Pour lui ça a été moins facile. J’imagine une forme de pression d’être le troisième et dernier de la famille, et d'être gay aussi. Celui qui fermera la boucle et qui dira : ‘il n’y aura pas le cliché du couple hétéro parmi les enfants. La famille sera intégralement différente.’” C'était aussi signaler aux parents qu’ils devaient changer leurs plans pour l’avenir : “On vient d’une famille italienne avec des valeurs familiales hétéronormées. Même s’ils sont très aimants et ouverts. Donc on bouscule l’image et la vision du quotidien et la vie de famille.” Quand toute la fratrie est LGBT c’est en effet tout un modèle familial qu’il faut revoir. 

"Il y a toujours mon frère"

Guillaume avait d’ailleurs compté sur son grand-frère pour prendre en charge le volet généalogique. Au départ il se disait "au pire pour le regard des autres et sur plan de la descendance, il y toujours mon frère. Julien le frère de Charlotte, avait aussi eu peur d’empêcher ses parents de devenir grand-parents : “il y a peut-être eu la déception pour les petits enfants, un sentiment que moi-même je pourrais comprendre.

Ses parents les ont fort heureusement rassuré en précisant que “on n’a pas fait d’enfants pour avoir des petits enfants.” Leur mère Sylvie, revient sur cet épisode : « Moi mon choix c’était d’être mère. Mais que je ne sois pas grand-mère, c’est pas une question pour moi. » Son seul souci reste la difficulté pour ses enfants d’en avoir : "la gestion actuelle de la GPA et de la loi française, ça pose encore des soucis".

Car, Romain le grand-frère de Guillaume, et son mari, sont aujourd’hui dans l'attente d'une mère porteuse au Canada, dans le cadre d’une GPA. « On sera des grands-parents enthousiastes si ce petit bébé arrive un jour mais si c’est pas le cas c’est pas grave. Le plus important c’est que mes enfants soient heureux. », rassure leur mère. Laurence reste optimiste sur la question concernant sont fils : « pourquoi il devrait laisser tomber sa projection de devenir  papa ? », considérant pour ses deux enfants que « je n'y voyais pas un obstacle à être grand-mère. »

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"Jamais seuls"

Face à une famille plus que réticente, être deux signifie aussi moins de solitude et plus de soutien pour Manon qui confie à sa soeur que “si t’étais pas sortie avec des filles et que t'étais à fond dans la religion, j’aurais fait le choix de ne pas le vivre.Soit je l’auras pas vécu soit j’aurais coupé avec la famille” conclut-elle, sans sa soeur. On retrouve ce soutien chez Adrien et ses frères : “Il y a une solidarité supérieure. On n’a pas toujours des vies faciles. On peut être sujets de discriminations et ce qui donne des liens c’est qu’on est ensemble dans certaines situations de la vie.

Il a trouvé une oreille bienveillante auprès de ses frères lorsqu’il a subi une discrimination pendant une recherche d’appartement avec son copain. Sur ce type de questions il peut “rassurer, échanger, partager son vécu, avoir des conseils.” Considérant qu"il faut être gay pour comprendre. Je me suis jamais senti seul en tant que LGBT et je ne sais pas si je pourrais dire la même chose s’ils avaient été hétéros.

Complicité

Dans les repas de famille où Guillaume et son frère se retrouvent, les convives sont désormais “plus libres” de parler sexualité, mariage, enfants, à la sauce queer, en incluant désormais oncles et tantes. On y aborde “ce qu’on peut faire entre couple. Comment organiser le mariage, etc”.  Rien n’interdit non plus de se retrouver sur des sujets plus légers. “Le fait d’être tous les deux gays c’est aussi soulageant pour parler de choses, par exemple de sexualité, quand on a rencontré des garçons, et comment ça s’est passé. Même s’il y a une part de mystère que je voudrais garder.

Au fil des années, victoire du quotidien, le sujet est devenu banal chez Anatole et Eugénie, qui explique, sereine, que “on ne parle pas de notre homosexualité.” Être tous deux gay ou lesbienne ne suffit pas, fort heureusement, à faire des frères et soeurs des complices indéboulonnables. Charlotte à propos de son frère Julien, nous apprend d’ailleurs que : “C’est arrivé que je le croise à un bar gay à Lyon, on ne s’est même pas dit bonjour.”