A l'occasion de la Journée Mondiale du Handicap, Paule*, 23 ans, autiste, nous parle de son expérience pour éveiller les consciences et mettre fin au validisme et à la psychophobie dans la communauté LGBT+.
Queer ou pas, quand on est handicapé, on prend vite conscience qu'on est pas comme les autres. Quand j’étais enfant, je subissais de la psychophobie, alors même que je n'avais pas été diagnostiqué. J’étais perçu·e comme un enfant « trop bizarre », « fou ». À force qu’on te dise que tu n’es « pas net·te », tu te dis que ça doit être vrai. C’est assez compliqué de rentrer dans cette case, d’être considéré·e comme « fou ». C’est un terme que j’ai choisi de me réapproprier à titre personnel. Mais dans la société actuelle, la folie est associée à la violence et à l’instabilité. Ça pèse sur la tête des personnes psychotiques, des personnes qui font des crises.
À 19 ans, j’ai fait un premier coming out de mec trans. Au bout d’un an, je me suis rendu·e compte que ça ne me correspondait pas du tout et j’ai fait un second coming out non-binaire. Pour être plus précis, je suis neurogenre. C’est à dire que ma vision du monde et mon genre sont influencés par mon autisme et par le fait que je fais des crises psychotiques. Comprendre la distinction « fille-garçon », c’est difficile pour moi. Quand je pense à moi, je pense surtout que je suis personne autiste. Parce que ça résume bien mes intérêts, ce que j’aime porter, ce que j’aime faire, la manière dont je sociabilise. Donc à mes yeux, le mot « neurogenre » définit beaucoup mieux mon genre que « fille », « garçon » ou même des termes comme « agenre » ou « genderfluid ».
Le handicap fait peur
Dans notre propre communauté, censée être inclusive, en cas de fait divers, les gens qualifient les agresseurs LGBTIphobes de « fou », de « débile » ou d’« attardé ». Ça part d’une bonne intention, celle de dénoncer des violences. Mais ces termes renvoient à la psychiatrie. Alors que ce ne sont pas des personnes malades mentales, bipolaires, schizophrènes, autistes qui vont nous agresser dans la rue. Ce sont des personnes LGBTIphobes. Malheureusement, ce vocabulaire psychophobe crée une peur. Les gens ont peur des gens « fous ». Ils ont peur de se faire agresser. Cette peur est présente dans la société et donc également dans la communauté queer. On n’échappe pas à ça.
À la Pride 2020, je suis venu·e avec une pancarte anti-psychophobie et anti-validisme [cf photo, ndlr]. J’avais écrit : « Nous, malades mentaux, ne sommes pas vos agresseurs. La communauté est à nous comme à vous. » J’ai reçu beaucoup de regards méchants. Certaines personnes m’ont dit qu’elles ne comprenaient pas ma pancarte et que, si, nos agresseurs étaient bien fous.
"Ce n’est pas comme si c’était une marche pour les handicapés"
À cette manifestation, de nombreuses personnes tenaient des affiches de l’association Acceptess-T, qui a fait un très bon travail. C’était des pancartes avec écrit : « Pas de fierté sans les lesbiennes / sans les TDS / sans les trans, etc. ». Très peu de gens prenaient celles où était inscrit « Pas de fierté sans les handis ». J’ai même vu une personne récupérer une de ces pancartes au sujet du handicap. Elle l’a lue, a rigolé et l’a jetée par terre. C’est hyper irrespectueux. À un moment, une dame nous a donné un micro pour qu’on puisse crier des slogans anti-validisme et anti-psychophobie. Il y a eu des rires et des moqueries. Personne ne reprenait les slogans qui nous concernaient, nous, les handicapés LGBTQI+.
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À l’ExisTransInter de 2019, c’était pareil. Je devais faire un discours car je faisais partie de l’association HandiQueer. Quand j’ai demandé mon heure de passage, on m’a répondu en me riant au nez : « Tu ne passes pas tout de suite, ce n’est pas comme si c’était une marche pour les handicapés. » Et avant mon discours, je "stimais". C’est à dire que je faisais des gestes autistiques qui ne sont pas socialement acceptables, comme agiter les mains ou jouer avec des petits objets. On m’a mal regardé·e, on m’a dit que si ça continuait j’allais devoir descendre.
Je suis exclu·e, de fait, du milieu queer, sans que les gens pensent à mal
Le problème de l'accessibilité
L’autre problème, quand on est handicapé·e et LGBTQI+, c’est l’accessibilité des lieux queer. La communauté est surtout centrée sur les bars et la vie nocturne. Or, je ne peux pas sortir dans ce genre de moments car je suis trop fatiguée. Actuellement je ne peux plus marcher, ou très peu. Je n’ai ni fauteuil ni aide, donc c’est encore plus compliqué. Alors les rassemblements nocturne, avec du bruit, beaucoup de lumière, du monde… C’est compliqué. Les lieux qui me restent, ce sont des groupes de paroles. Il n’y a quasiment pas d’espaces comme des salons de thé par exemple. Alors je suis exclu·e, de fait, du milieu queer, sans que les gens pensent à mal.
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"On n'a pas pensé à ça"
Quand je suis intéressé·e par des événements, que ce soit des shows de drag, des soirées à La Mutinerie, c’est toujours compliqué. Je suis toujours obligé·e de contacter l’organisation pour demander « Est-ce que c'est accessibles ? » Rien que ça, le fait que l’information ne soit pas disponible, c’est un problème : des personnes anxieuses ne pourront pas demander.
En plus, très souvent, on me dit : « Il y a une rampe, tu peux rentrer dans le bar ». Mais quand je demande s’il y aura beaucoup de bruit, de lumière, de monde ou de la place pour m’assoir… On me répond : « On n'a pas pensé à ça ». Donc je me dis que je ne vais pas prendre le risque, et très souvent, je n’y vais pas. Je voudrais des adaptations, des aménagements, des manifestations accessibles. Il y a des moyens, mais ils ne sont pas mis en oeuvre.
On ne demande pas du tout à ce que les bars soient fermés. On voudrait que d’autres endroits, adaptés à nos handicaps, soient ouverts
Handicap physique, handicap psy, même combat
La plupart du temps quand on commence à en parler, on nous répond : « Ce n’est pas dans la culture queer, c’est comme ça ». Alors qu'on ne demande pas du tout à ce que les bars soient fermés. On voudrait que d’autres endroits, adaptés à nos handicaps, soient ouverts. Quand j’ai commencé à militer dans la communauté pour l’intégration des personnes handi-psy, je me suis heurtée à bcp de levée de boucliers.
On m’a dit que ce n’était pas le plus urgent, pas la priorité. Et que ce n’était pas comme si on était en fauteuil. Bizarrement, ce genre de remarques ne viennent jamais de personnes en fauteuil. Surtout, c’est très hypocrite, car le reste du temps, les gens qui tiennent ce discours ne font rien pour les handicapé·es en fauteuil.
Donner la parole à tout le monde
La situation est paradoxale. La communauté LGBTQI+ avance sur de nombreux points : les personnes racisées prennent plus la parole et sont écoutées, tout comme les personnes religieuses, les femmes trans etc. On est de moins en moins une communauté de mecs cis blancs gays. On est de plus en plus une communauté qui donne la parole à des minorités dans la minorité. Mais à nous, personnes handicapées, on ne nous donne pas la parole.
On peut et on doit donner la parole à tout le monde. Les problèmes des handicapé·es sont vus comme des problèmes individuels, des cas isolés, donc pas importants par rapport à des problèmes qu’on va juger « systémiques ». Mais nos soucis ne sont pas moins graves.