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sexoPlongée dans le monde des kiffeurs, ces gays qui raffolent des baskets

Par Nicolas Scheffer le 07/11/2020
kiffeurs

Ils adorent sentir des chaussures, les chaussettes sales ou lécher des pieds. Mais qui connaît vraiment le monde des "kiffeurs", ses codes et ses rites ? En jogging, ils nous font pénétrer leur univers, fait de sueur, de fantasmes et de nylon.

À l'âge de 14 ou 15 ans, Bryan a volé la basket d'un ami de son grand frère. Alors que les hormones de cet ado sont en ébullition, il se met à sentir les chaussures, à les imaginer portées, et se masturbe avec. Dans un premier temps, il ne comprend pas ce qui lui arrive. "C'est exactement le même sentiment que j'ai éprouvé quand j'ai compris que je suis attiré par les garçons. D'un côté, je me dis que c'est étrange, de l'autre, ça me procure énormément de plaisir", confie-t-il. Pendant plusieurs années, il est en couple avec une fille. Il s'interdit de regarder les baskets et puis... "je me suis rendu compte que c'était tout à fait naturel, c'est un fantasme comme un autre. Si on fait un sujet tabou des kiffeurs, c'est parce que l'on porte un regard connoté dessus."

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Les préjugés sont nombreux. Les fans de "skets" seraient sales, véhiculeraient des stéréotypes sur les banlieues. Nécessairement, ils seraient mal dans leur peau : il faut être un peu dérangé pour se branler dans une chaussure. Encore plus lorsqu'on aime lécher des pieds ou qu'on apprécie le "jus de chaussette"... Mais c'est faux. Lorsqu'on prend le temps d'écouter ce que les "kiffeurs" ont à dire, on constate que derrière ces fantasmes se cache une véritable culture.

Vie privée, vie publique

Nicolas préfère parler sur la messagerie d'Instagram plutôt que par téléphone. À 24 ans, il a choisi de se reconfiner chez ses parents et ils sont loin de s'imaginer de ce qu'il peut faire avec ses Nike Air Max Plus TN Chargers. C'est la même chose pour Martin qui n'aimerait pas que ses parents entendent la conversation. Theo, lui, jongle entre le compte où il se montre en survêt et son profil "public". Clairement, c'est deux salles, deux ambiances. Côté pile, on peut le voir dans la pénombre, ganté, le nez plongé dans des Nike. Côté face, ce juriste d'une grande entreprise, tient un énorme bouquet de fleurs. La localisation ? Versailles. On a connu plus contestataire.

Certains weekend, Theo est bénévole pour la Croix Rouge. D'autres, il met son survêtement, sa veste de sport et remonte ses chaussettes blanches. "C'est mon copain qui m'a initié à ce kiff. J'ai toujours eu une attirance pour le look sans passer le pas, raconte-t-il. C'est venu par paliers. On a commencé à avoir des rapports un peu SM pendant le sexe, une fois, il m'a un peu étranglé et un jour, on a acheté une tenue de sport pour la porter lorsqu'on baise". Depuis, le blondinet à la mèche impeccablement peignée a testé l'uro, mais ce n'est pas ce qui l'excite le plus.

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"Il n'y a plus aucune limite"

Trentenaire, Bryan n'a pas grandi à Versailles, mais dans une banlieue de Lille. "Là bas, tout le monde portait des skets. Je regardais plus les chaussures que les garçons", s'amuse ce responsable chez Celio qui n'y a jamais vécu d'homophobie. Lui est dominateur, il aime surjouer la virilité quand il soumet une "lope". "Quand t'es domi (dominateur, ndlr), tu es dans l'affirmation de toi-même. Celui qui est avec toi, c'est plus qu'un partenaire, il t'appartient. Tant que tu respectes le consentement, tu sais que tout peut se passer : il n'y a plus aucune limite, aucune barrière sociale. C'est hyper grisant comme sentiment !".

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Côté soumis, Nicolas aime voir que son partenaire est "dans la maîtrise de la situation et tire beaucoup de satisfaction personnelle de lui donner du plaisir". Ce qui le fait bander par dessus tout, c'est sentir les chaussures. "Les odeurs de mâles me procurent de la jouissance. Le plus kiffant, ce sont les paires d'autres mecs et leurs phéromones. On imagine ce qu'ils ont fait avec, on fantasme..."

"Au delà de l'humiliation d'être aux pieds de quelqu'un, c'est une partie du corps qui est cachée. On ne voit jamais la plante des pieds de quelqu'un, c'est quelque chose de très personnel", analyse Martin, originaire de Nancy. Tous les garçons avec qui on a discuté son d'accord sur une chose : chez les kiffeurs, pas besoin de montrer des bites ou des culs en gros plan pour être excité.

Un fantasme Instagram-compatible

"C'est un look où montrer ta teub (bite) à travers son survet et peut-être plus excitant que de la montrer. J'irai même plus loin, pour certains, il n'y a pas pas besoin de sexe. Beaucoup de kiffeurs font des plans sans même se toucher, juste une branlette pour se finir", selon Martin. D'ailleurs, quand il s'amuse avec la paire d'un ami, ce qu'il aime, ce n'est pas tant de s'amuser avec que de se projeter "dans l'acte sexuel qu'il a pu y avoir autour de la sket, que d'autres personne ont également pu juter ou sniffer". "Une paire de basket avec du sperme, ça peut exciter beaucoup plus qu'une bite", confirme Bryan. C'est un fantasme bien habillé.

Résultat, aussi étonnant que cela puisse paraître, c'est un fantasme Instagram-compatible. Alors que le réseau social est régulièrement accusé de pudibonderie, la plupart des kiffeurs respectent les conditions d'utilisation et pour les autres photos, il y a les messages privés. En fin de compte, c'est sur ce réseau social que s'est construite une partie de la communauté. "Du coup, tu trouves plus facilement un plan cul sur insta que sur Grindr", conseille Theo. Et dans la rue, pour reconnaître quelqu'un qui porte ce look par fantasme d'un autre qui l'utilise par confort, il n'y a pas 36 solutions. Il faut regarder la marque des chaussettes. Si c'est Sk8ter boy, Addiction berlin ou Aasssox, c'est dans la poche.

"Heureusement qu'il y a Vinted"

D'ailleurs, kiffer ce look, c'est un budget. Comptez 100 à 150 euros minimum pour une tenue. D'autant qu'il y a un effet de collection. Nicolas doit recevoir sa 27ème paire de Nike Tunned, TN (la TN se caractérise par la bulle d'air dans la semelle qui promet une foulée parfaite). "Quand une nouvelle belle paire sort, je n’arrive pas à résister à l’envie de l’acheter", s'amuse-t-il. "Heureusement, il y a Vinted", souffle Theo. Et une belle basket, c'est quoi ? "Quelques traces d'usure, mais pas trop. Personnellement, je préfère les couleurs flash et fluo comme le rouge ou le bleu. Il ne faut pas que le modèle soit trop classique", dit Martin.

Des marques

Bryan vend parfois des chaussettes qu'il a portées plusieurs jours, voire même plusieurs semaines, selon les demandes de ses "clients". "J'ai vendu une paire 70 euros, alors qu'au départ, elle m'en avait coûté 10. Pour qu'elles sentent fort, le client m'avait demandé de la porter pendant deux semaines. D'autres veulent que je pisse dessus ou que je les floppe (qu'il éjacule dessus, ndlr)", souligne-t-il.

Au-delà du prix, il y a ceux qui préfèrent Nike, Adidas ou Lacoste. Chaque marque a ses aficionados et ses détracteurs. "Lacoste, je déteste. Ça ne fait pas survêt, ça fait bourgeois qui joue au tennis", explique Theo, le Versaillais. Il préfère Adidas, "avec des tailles plus petites et plus ajustée" et se trouve sexy dedans.

Et c'est à ce moment qu'il faut dire que ce n'est pas parce qu'ils fantasment sur des tenues de sport que les kiffeurs bandent sur les gros muscles. "Les muscles sont vraiment superflus dans toute cette histoire, alors que pour beaucoup, c'est un aspect de virilité", indique Martin qui se met à rire. "Pour moi et pour beaucoup de kiffeurs, ce n'est pas ce qui donne un attrait. Le look fait la virilité à lui seul. Après, bien sûr, pendant l'acte, il y a une façon de se comporter comme un dominant : être directif, sûr de soi, voire un peu violent", assure-t-il.

Une forme de contestation de la norme sociale

Derrière la tenue, il y a un regard. "C'est un stéréotype, bien-sûr, mais le look dont on parle est associé aux racailles, à un badboy. Il y a une manière d'adopter un look et à ignorer ce que la société voudrait, une forme de contestation de la norme sociale", analyse Nicolas. Il penche plutôt pour les pieds et les cho7 (chaussettes). Contrairement à d'autres garçons, le jeune lillois déteste qu'ils soient trop sales. Il aime lécher des baskets, mais uniquement lorsqu'elles sont propres.

Côté odeur, "il faut qu'elle soit naturelle, pas trop forte", confie-t-il. Avec son mec, il a dû trouver un terrain d'entente parce qu'il est loin de partager son fantasme et que pendant longtemps, ça a posé problème entre les deux. Heureusement, "on s'est adapté". En l'occurence, son copain le laisse lécher ses pieds de temps en temps, garde ses chaussettes deux jours pour "que l'odeur soit sympa", et "ça me suffit comme ça".

 

Crédit photo : Capture d'écran @tnandskets