Face à la montée des LGBTphobies à l’Est, Clément Beaune, le secrétaire d’État aux Affaires européennes, reste confiant dans les capacités de l’UE à protéger les droit.
Si certains membres du gouvernement Castex pataugent, Clément Beaune, lui, sait tirer son épingle du jeu. En à peine trois mois passés à la tête du secrétariat d’État aux Affaires européennes, ce presque quadra, énarque, ancien membre du cabinet de Jean-Marc Ayrault à Matignon et de celui d’Emmanuel Macron à Bercy, a su imposer sa marque. Covid-19, crise économique, Brexit... Sur son bureau, son parapheur manque d’exploser. À toutes ces urgences s’ajoute la brûlante question de l’État de droit et de l’homophobie d’État en Pologne et en Hongrie.
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Après des mois de silences embarrassés du ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et quelques semaines après avoir été nommé, il a dénoncé l’existence de zones “sans LGBT”, comme ont décidé de se qualifier une centaine de municipalités polonaises. Selon certains, son habileté et son ambition contenue ferait de lui un porte-parole tout désigné du futur candidat Macron. Dans une interview à TÊTU,
il dit son optimisme sur la capacité de l’Europe à soutenir les personnes LGBT+ mais aussi à combler les manques institutionnels. Et en profite pour faire son coming-out.
La parole de la France était-elle claire sur les sujets LGBT+ en Europe avant votre nomination ?
Juste après ma prise de fonctions, j’ai évoqué clairement les zones “sans LGBT” en Pologne. Je n’avais pas le sentiment d’être iconoclaste, j’ai d’ailleurs été surpris qu’il y ait tant d’échos. Seulement je suis obsédé par l’idée que le projet européen ait du sens. Ce serait dysfonctionnel que l’on ne fasse rien alors que la Pologne ou la Hongrie ne respectent pas les valeurs européennes mais profitent de l’argent de l’Union. Il est sain que le débat soit ouvert sur ces sujets. Et c’est la première fois qu’il est aussi clair. La Pologne et la Hongrie assument de bloquer le budget européen par refus d’un dispositif qui protège l’Etat de droit. [la veille de l’entretien, les deux pays ont menacé d’apposer leur veto sur le budget de relance économique, les autres pays voulant conditionner les subventions au respect de l’État de droit].
Vos homologues polonais ont-ils critiqué votre prise de position ?
J’ai une bonne relation de travail avec eux, et nous ne sommes pas dans une confrontation politique directe. Ils savent ce que je pense, et on ne lâchera pas sur ce sujet. Mais, pour gagner ce combat, il ne faut pas faire d’amalgames ou de simplifications. Les zones “sans LGBT” ne sont pas des décisions gouvernementales. Que des membres du parti au pouvoir les encouragent, les mettent en œuvre, les financent, c’est vrai. Mais leur création ne relève pas d’une politique du gouvernement polonais qui serait explicite, volontaire et assumée à la face de l’Europe. Il y a toujours une ambiguïté.
Selon vous, la crise du Covid-19 commande-t-elle de mettre un bémol sur les questions des droits humains ?
On aurait pu faire le choix de mettre la poussière sous le tapis. Y aurait-il des manifestations parce qu’on enlève le mécanisme de conditionnalité à l’État de droit ? Je ne le pense pas. Qu’on mette de l’énergie politique sur ce sujet, c’est nouveau. C’est bien que l’Europe soit un lieu de confrontation politique. Soutenir des manifestants sur le droit à l’avortement ou dénoncer les zones “sans LGBT” ne m’empêche pas de parler avec mes homologues hongrois et polonais. Je ne suis pas dans l’ostracisation, mais j’assume de porter ce débat dans l’arène politique. On a construit l’Europe en pensant que les valeurs étaient une évidence telle qu’on n’aurait pas besoin d’en parler. Ce n’est désormais plus le cas. Le socle des droits évolue, et je suis sûr que le droit à l’avortement sera un jour intégré dans les valeurs fondamentales, et protégé par les traités européens .
"Au début de l’année prochaine, j’irai en Pologne dans une zone “sans LGBT”. J’irai soutenir des associations qui défendent le droit à l’avortement."
Les dénonciations de la France ou de la Commission européenne suffisent-elles à endiguer les zones “sans LGBT” ?
Ce n’est pas suffisant. Mais il ne faut pas négliger l’importance des paroles politiques. La reconduction du président polonais [l’ultra-conservateur Andrzej Duda] est un choix démocratique, mais des gens se battent pour des droits en ayant un discours alternatif. Ce serait une erreur d’y voir une opposition Est/Ouest. Tous les pays, y compris la France, peuvent être exposés à des forces politiques qui font reculer les libertés. Je suis frappé de voir que, dans les manifestations pour le droit à l’avortement, il y ait autant de drapeaux européens. Une large majorité de la jeunesse est ouverte sur les questions LGBT+. Le parti au pouvoir a lui-même été surpris de la mobilisation. Ces manifestants voient dans l’Europe la protection des valeurs de la démocratie.
Ils demandent surtout aux institutions européennes de les aider davantage... J’aimerais parfois qu’on passe plus vite à l’action. On a enclenché une procédure politique. D’abord l’article 7 [qui permet de sanctionner un pays ne respectant pas les valeurs fondamentales de l’UE] a été engagé concernant la Pologne et la Hongrie. Ensuite la Cour de justice a condamné la Hongrie pour la fermeture d’une université. La Commission européenne a également suspendu des financements de jumelage avec des villes s’étant déclarées “sans LGBT”. Les autorités polonaises ne s’y attendaient pas. Il faut plusieurs années pour faire constater les atteintes à l’État de droit. On avance trop doucement, mais ça change la donne.
L’activiste Margot a été emprisonnée après avoir saccagé un van qui lançait des slogans homophobes dans les rues de Varsovie. Le réalisateur Bart Staszewski documente les zones “sans LGBT”. Ils vous appellent à l’aide. Êtes- vous prêt à les soutenir publiquement ?
C’est ce que je fais en faisant état de leurs difficultés. Mais je ne voudrais pas en faire un combat d’individus, alors que c’est un combat politique. Au début de l’année prochaine, j’irai en Pologne dans une zone “sans LGBT”. J’irai soutenir des associations qui défendent le droit à l’avortement. Mais ça ne m’empêche pas de m’entretenir également avec mon homologue polonais. Je tiens à souligner que je ne l’ai jamais entendu prononcer le moindre propos qui me mettrait mal à l’aise.
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Si demain on constate des actes de discrimination ou de violence au sein de l’Europe, sera-t-on prêt à accueillir ceux qui demanderaient un asile politique ?
J’espère qu’on ne sera pas dans cette situation. Il n’y a pas besoin de convoquer le droit d’asile, puisque la libre circulation permet de venir en France. Si quelqu’un se sent atteint dans ses droits, physiquement ou verbalement, et si cette personne pense qu’en venant en France non seulement elle sera protégée juridiquement mais qu’en plus elle se sentira à l’aise, alors je serai fier. En revanche, ce serait un échec pour l’Europe que des personnes soient obligées de vivre dans un autre pays que le leur pour cette raison.
En Pologne, l’épiscopat a annoncé vouloir mettre en place des cliniques pour “convertir” les personnes LGBT+ à l’hétérosexualité. En France, ces “thérapies de conversion” sont toujours autorisées. L’Europe doit-elle garantir la liberté des minorités face aux religions ?
Aucune religion n’est intrinsèquement incompatible avec la conquête de nouveaux droits. Parfois, l’emprise d’une religion la rend plus difficile, mais, si on essentialise, on fait un cadeau à nos opposants.
"Les jeunes n’ont pas besoin de moi pour avoir des modèles ! Je ne ferai jamais de mon orientation sexuelle un argument."
Pourquoi la situation des personnes LGBT+ en Pologne vous touche-t-elle ?
Je n’aime pas l’idée que, parce que je suis gay et que je l’assume, cela deviendrait un combat communautaire au sens étroit du terme. Je viens d’une famille dans laquelle des personnes ont été déportées parce que juives, il y a seulement deux générations. Cela fait écho en moi. Pour autant, je n’aimerais pas qu’on dise que je me démène contre les zones “sans LGBT” parce que je suis gay. Ce serait insultant de dire que je mène ce combat pour moi-même. C’est beaucoup plus global. J’ai eu la chance de n’avoir jamais été victime de discriminations directes ou de violences physiques, et, sur le plan verbal, de façon très marginale. En revanche, en tant que secrétaire d’État aux Affaires européennes, j’ai une responsabilité supplémentaire. Je dois me battre pour ces valeurs et ces droits. Défendre une catégorie de droit, c’est un combat pour l’ensemble des droits.
Pour la première fois, vous parlez de votre orientation sexuelle. Est-ce une façon pour vous de dire à la jeunesse française que l’on peut arriver à votre niveau de responsabilité en étant gay ?
Les jeunes n’ont pas besoin de moi pour avoir des modèles ! Je ne ferai jamais de mon orientation sexuelle un argument. Ce que je veux montrer, c’est que ce n’est pas un obstacle. Aujourd’hui cela paraît banal de le dire, mais ce n’est pas une évidence. Les coups, la violence, le rejet, ça existe en 2020. Dire aujourd’hui mon orientation sexuelle, ce n’est pas de l’indécence ou de la mise en scène de l’intimité. Je n’ai jamais été attaché à l’idée que, lors d’événements de représentation, on soit accompagné de son conjoint ou de sa conjointe. Mais si cela devenait un sujet de droits, j’aimerais inviter mon compagnon lors de réceptions avec des dirigeants ouvertement homophobes. Ce serait une manière d’illustrer un combat.
Il faut sauver l’Europe ?
Regardez le chemin parcouru ! Ce n’est pas parce qu’il y a des reculs que l’Europe se délite. Je ne crois pas au déclin. Il y a vingt ans, s’il y avait une action homophobe à Varsovie ou ailleurs, est-ce que ça faisait réagir ? Le paradoxe, c’est que ce recul sur l’avortement pourrait conduire, d’ici quelques années, à davantage de droits grâce à une prise de conscience que nos droits ne sont jamais acquis. Quand j’ai vécu en Irlande en 2001, il n’y avait pas de droit à l’avortement. Et, en 2012, le pays a voté le mariage pour tous par référendum.
Photographie: Samuel Kirszenbaum pour TÊTU