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Marche des fiertésMargot, symbole de la lutte pour les droits LGBT+ en Pologne : "On n'a plus le temps pour la manière douce"

Par Nicolas Scheffer le 18/09/2020
Pologne

EXCLUSIF - Devenue symbole de la lutte pour les droits des personnes LGBT+, l'activiste non binaire Margot raconte à TÊTU l'alarmante homophobie d'État en Pologne. Et s'inquiète de la surveillance des militants polonais.

À 25 ans, Margot est devenue le visage de la contestation des personnes LGBT+ en Pologne. Le 7 août, l'activiste non-binaire, est arrêtée brutalement par la police après avoir dégradé un van "pro-vie" qui envoie des messages LGBTphobes dans les rues de Varsovie. Avec elle, une cinquantaine de membres de son collectif, Stop Bzdurom (Stop à l'absurdité) sont placés en détention provisoire.

Leur arrestation a provoqué des manifestations et contre-manifestations dans le pays. Depuis, la commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a demandé sa libération. Tout comme des dizaines d'intellectuels qui remarquent, dans Le Monde, que "les agressions homophobes se multiplient en Pologne parce qu’elles sont tolérées par le parti au pouvoir". Elle est finalement libre le 26 août.

À l'heure de notre rendez-vous sur Skype, Margot est retenue par la police pour une formalité. Quelques heures plus tard, elle peut enfin répondre aux questions de TÊTU. Interview avec la militante radicale qui réveille la Pologne.

Comment allez-vous depuis la fin de votre détention fin août ? 

Le moral des activistes LGBT+ est au plus bas parce qu'ici, rien ne change. Les militants LGBT+ ne sont pas en sécurité, certains gays se tournent même vers l'extrême droite pensant qu'ils n'ont plus rien à perdre. Dans un texte sur les réseaux sociaux, un homme s'est déclaré comme un "gay normal" et n'a pas arrêté d'écrire des horreurs sur l'activisme LGBT+. Les partis d'extrême droite recrutent des gays pour en faire des chevaux de Troie. À la télévision publique, on est présenté comme des activistes venus de l'ouest pour détruire les familles polonaises, violer les enfants, leur apprendre la sexualité et l'identité de genre à l'école.

Au quotidien, à quoi ressemble le quotidien d'une personne LGBT+ en Pologne ? 

Les situations sont très disparates. Je suis anarchiste et cela fait partie de mon identité. De base, ma vie est assez différente de celle des autres Polonais. Et en plus, il se trouve que je suis LGBT+, ce qui fait de moi une extraterrestre pour les gens que je rencontre !

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Quand tu as fait ton coming out et que tu es rejeté par ta famille et tes amis, tu peux toujours trouver refuge au sein de la communauté. C'est un soutien que les personnes qui sont dans le placard n'ont pas nécessairement. Nos recherches montrent que 70% des Polonais LGBT+ ont des pensées suicidaires. C'est énorme !

Mon collectif Stop Bdzudom cherche à venir en aide aux jeunes qui fuient leur famille. Il y a trois jours, une fille de 17 ans a voulu quitter la Poméranie (au nord de la Pologne, ndlr) pour Varsovie. Elle préférait être sans domicile plutôt qu'auprès de sa famille qui la bat. Elle n'était pas seulement discriminée par les mots, mais on la bat physiquement simplement parce qu'elle est LGBT+. Cette adolescente se sent très seule. On a cherché un endroit où elle pourrait être en sécurité. La police l'a retrouvée et la ramenée chez ses parents. Et maintenant, si elle s'enfuit à nouveau, elle risque la prison. Cette situation est malheureusement courante. On est dans la merde...

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J'ai tellement d'amis qui ont été envoyés à l'hôpital psychiatrique... C'est très facile de les enfermer à partir du moment où ils appartiennent à une communauté où 70% des personnes ont des pensées suicidaires. Pour les familles, envoyer leur enfant LGBT+ dans un asile, c'est aussi un moyen de s'en débarrasser. La vie dans les asiles est d'autant plus compliquée qu'il y a eu des coupes budgétaires dans le financements des hôpitaux.

Vous avez été placée en détention pendant plusieurs semaines après avoir dégradé un van "pro-vie" qui lançait des discours homophobes dans Varsovie. Quelles étaient les conditions de votre détention ? 

(Elle réfléchit). On savait qu'un jour on allait être arrêté. On pensait qu'on aurait plusieurs mois, plusieurs années avant que cela devienne très compliqué de militer pour les droits des personnes LGBT+. J'ai vu ce camion qui circule dans Varsovie et qui balance des slogans du style "les gays violent vos enfants". Les fascistes, on ne peut pas simplement leur répondre "vous êtes méchant, il faut vous arrêter". Lorsqu'on a appelé la police pour leur demander de les arrêter, c'est nous qu'ils ont mis en garde à vue.

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Plusieurs policiers m'ont mégenrée, mais ce n'est pas bien grave. Après mon arrestation, le policier qui m'a interpellée m'a frappé. Cela l'amusait de frapper au visage une personne LGBT+, alors il l'a fait. C'est cette impunité qui est grave. Quand j'ai été placée en détention, ma situation était correcte parce que les médias ont braqué la lumière sur moi. Mais les 50 personnes qui ont été arrêtées avec moi cette nuit ont été molestées et menacées de mort par les officiers de police.

Pendant leur enquête, les policiers ont questionné nos voisins pour en savoir plus sur nous et leur faire pression. Ils ont également menacé les personnes qui viennent nous voir régulièrement. Désormais, lorsqu'on se déplace, une voiture de police surveille tous nos faits et gestes. La dernière fois, j'étais assise sur un banc avec des amis à côté d'une église, huit policiers sont sortis d'une voiture. Ils sont venus nous demander ce que l'on faisait. C'est absurde.

Dans quelle mesure vous avez des difficultés à continuer de militer ? 

On ne sait pas s'il peut vraiment le faire, mais le ministre de la Justice a annoncé qu'il voulait supprimer les financements étrangers aux associations qui n'ont pas l'accord du ministère. On est tellement pauvres en Pologne. Nos associations vivent des fonds qui viennent d'autres pays. La plupart des activistes sont bénévoles.

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Si on n'a pas d'argent, on ne peut rien faire : pas d'affiches, pas de tracts... Avec mon collectif, on utilise nos fonds privés. On a une cagnotte de crowdfunding, mais elle est gelée. La plateforme de crowdfunding nous demande de justifier ce qu'on va faire de chaque centime. Les imprimeurs ne veulent plus imprimer nos tracts, même s'ils sont d'accord politiquement avec nous. Ils ont trop peur d'être stigmatisés ensuite. J'envisage d'aller en Allemagne pour faire imprimer des stickers.

Est-ce que vous vous sentez soutenue par les institutions européennes ? 

C'est très difficile pour moi de répondre. Si je dis que je trouve que les réponses de l'UE sont inutiles, on sera réellement seuls. Mais si l'UE n'a pas la force de changer la direction que prend la Pologne, on est foutu. Les personnes LGBT+ seront dans la situation des juifs pendant la seconde guerre mondiale. On ne peut pas dire que l'Union Européenne ne sert à rien et pourtant, dans les faits, c'est un peu le cas... Il y a une volonté de nous aider, mais les faits sont là : les zones "sans LGBT" pullulent. Quand l'UE a refusé de verser de l'argent à des villes "sans LGBT", le ministre de la justice a répondu qu'il verserait 10 fois plus de subventions. Bruxelles, si vous voulez nous aider, vous devez nous soutenir dans un combat radical et arrêter la manière douce. On n'a plus le temps !

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La campagne présidentielle s'est terminée au début de l'été avec la réélection d'Andrzej Duda. Comment avez vous pesé dans cette campagne ?

On a changé de stratégie. Après 20 ans de supplications, on a posé des exigences pour soutenir la Plateforme civique (le plus gros parti d'opposition, ndlr). On demande une simple loi sur les discriminations. En Pologne, le caractère homophobe d'une agression n'est pas une circonstance aggravante. La Plateforme n'a pas voulu nous soutenir. Alors, on n'attend plus rien d'eux et on va se défendre nous-même.

Pour vous, Andrzej Duda et Rafal Trzaskowski, le maire de Varsovie qui s'est présenté contre lui, c'est du pareil au même ? 

Ils nous baisent de la même manière (sic). On ne le croit pas. Il nous a souvent menti. C'est également quelqu'un d'ouvertement transphobe. Il est venu pendant la Pride de Varsovie et il a demandé à ce qu'il n'y ait pas une seule drag queen dans les chars. C'est parce qu'il avait peur qu'on prenne des photos de lui avec une personne trans. Mais ce n'est pas le plus gros problème.

Au début de son mandat, il a promis de signer une déclaration pour s'engager en faveur des jeunes LGBT+ victimes de violences. Les partis plus à droite que lui l'ont alors traité d'antéchrist, alors il a abandonné le projet. Rafal Trzaskowski a également promis de prendre un arrêté pour interdire les discriminations dans les écoles et puis, là encore, il a enterré sa promesse... Il a totalement détourné le regard sur les sujets des personnes LGBT+ en considérant qu'il avait plus de coups à recevoir que d'électeurs à gagner.

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Pendant la campagne présidentielle, les personnes LGBT+ espéraient qu'il fasse quelque chose. La seule phrase qu'il a eu sur les LGBT+ pendant sa campagne, c'était pour dire "Mon adversaire dit que nous soutenons l'adoption pour des couples de même sexe. Ce n'est pas vrai". C'est la seule occurence aux personnes LGBT+ pendant toute la campagne.

Comment la situation des personnes LGBT+ s'est-elle dégradée ?

Deux décennies d'éducation pour normaliser l'homosexualité ont été réduites à néant. Au début, être ouvert sur les questions LGBT+, c'était perçu comme quelque chose de moderne. C'était une forme d'appartenance à la classe moyenne et supérieure. À ce moment, défendre les droits des personnes LGBT+ était plutôt facile. Mais notre parti libéral, la Plateforme civique, n'a rien fait pour les personnes LGBT+.

Même plus, ils ont empêché des avancées, notamment en enterrant une loi sur le changement d'état civil des personnes trans. Jusqu'alors, pour changer de prénom à l'état civil, on devait poursuivre en justice nos propres parents. La plateforme civique n'a pas voulu soutenir cette loi. Les élus de la Plateforme civique manifestent avec nous pour défendre les droits des personnes LGBT+. Mais à chaque fois qu'on leur demande de peser pour faire évoluer les législations, ils nous répondent que c'est trop ambitieux et qu'il faut défendre les valeurs démocratiques sans braquer les électeurs. Pour eux, la défense des valeurs démocratiques, c'est leur réélection et c'est tout.

 

Crédit photo : Capture d'écran YouTube / WTV