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coming outA 17 ans, Yanic a brisé le tabou de l'homosexualité dans le monde macho du hockey sur glace

Par Assia Hamdi le 30/12/2020
Hockey

Yanic Duplessis, un joueur canadien de hockey sur glace de 17 ans, a fait son coming out cette année. Et a créé un petit séisme dans le monde conservateur du hockey.

"J'ai été interviewé par un média suédois, par un média russe...et maintenant, par un média français". Début septembre 2020, Yanic Duplessis, un jeune hockeyeur canadien de 17 ans originaire de Saint-Antoine, dans la province du Nouveau-Brunswick, a fait son coming out, un secret gardé pendant longtemps. Petite secousse dans le hockey, ce sport où l'homosexualité est encore un tabou, son histoire a fait réagir au-delà des frontières de son Québec natal. Messages de soutien, interviews à la presse, jusqu'au célèbre hebdomadaire américain Sports Illustrated… Yanic a été un peu submergé pour sa rentrée. "Je sors du placard, c'est une histoire personnelle et ça devient une grosse affaire, s'étonne encore le jeune hockeyeur à TÊTU. Ca prouve qu'on a besoin de changement."

"Le hockey est macho : c'est un sport où on ne parle pas de ses émotions"

Aujourd'hui en dernière année de secondaire avant l'université, Yanic partage son temps entre l'école et le sport. Volleyball, soccer, athlétisme, ultimate frisbee... Mais une grosse partie de son temps libre est dédié au sport qu'il pratique depuis qu'il a deux ans : le hockey sur glace. Sport national au pays de l'Erable, le hockey est exercé par 600.000 des 37 millions de Canadiens.

"Avec Lucas, mon frère, on mettait les patins et on jouait au sous-sol de la maison. On regardait aussi les matchs à la télé...et il y avait une patinoire à côté de chez moi". Yanic suit sa scolarité au Québec et devient un grand espoir du hockey amateur. En juin 2019, lors de la draft, sorte de bourse aux joueurs, il est recruté par les Voltigeurs de Drummondville. Aujourd'hui, il évolue comme ailier dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec, l'une des trois ligues régionales des 16-20 ans au Canada.

A 17 ans, Yanic a brisé le tabou de l'homosexualité dans le monde macho du hockey sur glace

Quelques mois plus tard, en octobre 2019, Yanic sent qu'il ne peut plus cacher son secret. "Les gens se posent des questions quand tu es ado et que tu n'as pas de petite amie." Yanic a confié son secret à une seule personne : son meilleur ami, Xavier. "Le hockey est un sport macho. On ne parle pas trop de ses émotions. Et puis je suis un gros gars, j'aime jouer physique. J'avais peur que les gens me voient différemment." Son mal-être se répercute sur son quotidien scolaire. "On voyait bien que quelque chose avait changé, confie sa maman, Diane. Avant, il était toujours souriant et de bonne humeur. Il s'est mis en retrait, il était anxieux avant d'aller à l'école, ses notes avaient baissé, il nous repoussait..." 

Coming out familial

Pendant ce temps, Yanic tente de rassurer ses parents. "Je leur disais que j’étais stressé par l’école, par mon projet d'aller à l’université…" Puis un jour, il y a un an, Yanic appelle sa maman, Diane, infirmière, pour qu'elle vienne le chercher en cours. Elle accepte, mais à une condition : que Yanic lui dise ce qui ne va pas. "Elle m'a demandé si j'étais racketté, j'ai nié, si je n'aimais plus le hockey, j'ai nié...et puis, elle finit par me demander si je suis gay. Je lui ai répondu tout de suite un 'NON !'. Et elle s'est mise à pleurer."

Yanic fait son coming out auprès de ses parents. "Mes parents ont été un peu perturbés, mon père n'a pas tout de suite su comment réagir. Mais ils m'ont dit qu'ils m'aimaient." Des séances chez la psychologue de l'école l'ont aussi aidé. "Il aura fallu quatre, cinq rendez-vous, pour que je trouve le courage de le prononcer le mot 'gay'." Aujourd'hui, le lien entre Yanic et ses parents s'est resserré. "Notre relation n'a jamais été aussi bonne. Il se sent à l'aise de nous parler, d'être lui-même sans avoir peur d'être jugé." 

Peur de la réaction de l'équipe

Après sa famille, Yanic se demande comment il va révéler son secret à son entourage. "J'avais peur de la réaction de mes coéquipiers, qu'ils pensent que je les regardais sous la douche toutes ces années." Pendant longtemps, après les entraînements, le jeune hockeyeur se rhabille sans même se laver. "Je trouvais des excuses. Je disais qu'il y avait trop de monde dans les douches, ou que l'entraînement avait été épuisant et que je voulais détendre mes muscles dans le bain tranquillement, à la maison."

Un jour, Yanic lit un article sur le gardien de hockey Brock McGillis, ancien joueur junior, premier hockeyeur professionnel à avoir dévoilé son homosexualité (en 2016, six ans après sa retraite, NDLR) et militant pour les droits LGBTQ+. "Je me suis dit que j'étais gay et que j'allais moi aussi le dire." Soucieux, Yanic préfère attendre que l'année scolaire et la saison de hockey s'achèvent.

Raconter son histoire pour aider les gens

Fin juin 2020, l'inattendu arrive. Lors d'une fête à laquelle il est absent, Yanic est outé et un ami lui demande par SMS si son secret est bien vrai. Le jeune hockeyeur est choqué. "J'aurais aimé le faire en meilleurs termes." Quelques mois plus tard, Yanic a bien encaissé cet outing forcé. "C’est une des meilleures choses qui aurait pu m'arriver. Ça m'a libéré." Le hockeyeur réalise qu'il souhaite que son histoire aide d'autres personnes dans la même situation.

Réactions positives

Après l'été 2020, Yanic fait donc son coming out sur le blog de Craig Eagles, un journaliste sportif canadien. "Je voulais faire quelque chose pour aider les gens et cet article, c'était l’opportunité." Après la publication de l'article, un déferlement de messages bienveillants envahit Yanic. Les quelques messages "pas très gentils" sont noyés dans la masse. Sur Instagram, sur Facebook, des inconnus le remercient et le félicitent. "Beaucoup de joueurs m'ont aussi envoyé des SMS : des coéquipiers m'ont félicité et d'autres joueurs m'ont avoué vivre la même chose et m'ont demandé conseil." Un coéquipier vient même le voir pour prendre de ses nouvelles et a une réaction que Yanic n'aurait jamais imaginé. "Il s'est mis à pleurer. Il n'imaginait pas que j'avais vécu tout ça." 

Quelques semaines plus tard, Yanic a repris l'école et les entraînements plus serein et plus heureux. "Le soutien que j'ai reçu a été incroyable. J’ai encore des messages d'encouragement !" L'année prochaine, Yanic souhaite faire des études de droit pour devenir avocat d'affaires et poursuivre en parallèle sa carrière de hockeyeur. "Le coming out de Yanic est une première au sein de notre ligue et je pense aussi au sein du hockey nord-américain, indique Maxime Blouin, porte-parole de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ). Le hockey est assez conservateur et enfin, en 2020, on a un joueur qui fait son coming out. C'est positif."

Un vrai changement

Désormais, la LHJMQ compte mettre en place un programme avec Brock McGillis pour sensibiliser les joueurs à l'impact de certains de leurs comportements. "Beaucoup de joueurs n'ont pas conscience de ce que peuvent provoquer leurs actes. Il faut faire de la sensibilisation, montrer que tel mot peut blesser, que tel geste peut empêcher un joueur d'être lui-même et peut-être même de faire carrière. On veut que les futurs joueurs, la relève, sachent qu'ils vont être acceptés dans notre Ligue, peut importe qui ils sont."

En attendant que d'autres hockeyeurs se sentent acceptés, Yanic a retrouvé sa quiétude. "Le voir sourire de nouveau est tellement plaisant", confie Diane, sa maman. Yanic, lui, espère que son histoire aidera les futurs joueurs. "Je suis content car ça a provoqué un changement. Faire son coming out est déjà difficile et ne devrait pas demander du courage, surtout que certains sont seuls. C'est pour ça que j'ai parlé. Et si mon histoire a aidé au moins une personne, alors j’ai gagné."