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visibilitéComing out dans le sport : les athlètes LGBT, toujours pionniers

Par Tom Umbdenstock le 16/07/2024
Carole Péon et Jessica Harrison

[Dossier spécial JO à retrouver dans le magazine têtu· de l'été, disponible en kiosques, ou sur abonnement] Dans certains sports, il n’y a toujours aucun professionnel out. Pourtant, des athlètes queers ont ouvert la voie depuis plus d’un siècle. À l'occasion des Jeux olympiques de Paris 2024, focus sur l'histoire de la visibilité gay, lesbienne et trans dans le sport.

Combien y a-t-il de footballeurs professionnels gays out en France ? Aujourd’hui, on n’en connaît qu’un seul : Olivier Rouyer, qui a fait son coming out en 2008, plus de vingt ans après avoir quitté l’Olympique lyonnais. “Plein de gens sont venus me féliciter. Je n’ai pas eu de retour négatif, souligne­-t-il aujourd’hui. Mais j’ai été étonné qu’aucun autre joueur ne vienne me voir pour me dire qu’il vit la même chose.” De fait, les athlètes out sont encore si peu nombreux dans le sport pro qu’ils font toujours office de pionniers.

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Dans l'histoire, selon les disciplines, les catégories de genre ou les pays, persiste souvent l’impression qu’il n’existe pas, ou si peu, de sportifs LGBTQI+. Pourtant, dès la IIe Olympiade, c’est-à-dire les Jeux olympiques (JO) d’été de 1900, concourait un cavalier français qui ne cachait pas son homosexualité, le comte Robert de Montesquiou, qui inspira à son corps défendant le baron de Charlus de Marcel Proust dans À la recherche du temps perdu. Mais l’homophobie règne : le joueur de tennis danois Leif Rovsing, qui participe aux JO de 1912, sera ensuite exclu des clubs sportifs et des tournois parce qu’il assume son attirance pour les hommes. L'Allemand Otto Peltzer, multi-recordman de demi-fond, participe aux JO de 1928 et 1932 avant d’être emprisonné puis envoyé en camp de concentration par la législation homophobe du régime nazi. Il doit quitter l’Allemagne dans les années 1950 pour pouvoir à nouveau travailler dans le sport.

Pour éviter les ennuis, comme presque partout ailleurs, le sujet est généralement tu. Ce n’est que des décennies après sa mort que l’homosexualité de George Poage, double médaillé de bronze en course de haies aux JO de 1904, premier sportif afro-américain à y participer, est révélée au grand public. En mars 1962, lors d’un combat pour le titre de champion du monde des poids welters (mi-moyens), le boxeur américain Emile Griffith roue de coups de poing Benny Paret. Ce dernier s’effondre, et meurt deux semaines plus tard. Avant le combat, il aurait traité son adversaire de “maricón” (“pédé”, en espagnol). Griffith ne parlera publiquement de sa bisexualité que dans les années 2000, à plus de 60 ans.

La Française Violette Morris fait quant à elle partie de ces personnages légendaires de la protocommunauté LGBT parisienne des Années folles. Elle porte des costumes, les cheveux courts, parle ouvertement de ses conquêtes féminines… et sportives : au football, elle remporte avec son équipe la Coupe de France et obtient le record du monde de lancer de poids en athlétisme. Qu’on la mette derrière un volant, et elle sort victorieuse du Bol d’or face à une trentaine d’hommes, la compétition étant jusque-là interdite aux femmes. Sa transgression des codes de genre fait les choux gras de la presse et finit par entraîner son exclusion du milieu sportif. Pleine de ressentiments, elle s’engouffre dans la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale et meurt lors d’une attaque de la Résistance.

De l'outing au coming out

Longtemps, la presse a invisibilisé l’homosexualité des athlètes out. Puis elle s’est mise à outer ceux qui étaient dans le placard. Le patineur artistique britannique John Curry en fait les frais en 1976, lorsqu’un journal allemand révèle son homosexualité l’année même où il gagne l’or aux Jeux olympiques et aux Mondiaux. En 1981, le New York Daily News révèle en une que l’Américaine Martina Navrátilová craint de perdre son sponsor si elle fait son coming out, ce que la joueuse de tennis avait confié en off à la journaliste. La sportive dira plus tard avoir effectivement perdu des millions de dollars en contrats publicitaires. “Au premier chrétien, le lion le plus affamé”, énonçait l’écrivain britannique Saki.

Quelques mois avant Navrátilová, sa compatriote Billie Jean King, sextuple gagnante de Wimbledon, menacée d’outing par son ex-compagne, avait décidé de prendre les devants et de révéler son homosexualité. Les athlètes peuvent alors entrevoir la possibilité d’un coming out. En 1990, le tabloïd The Sun titre “Star du foot à 1 million de pounds : Je suis gay. Justin Fashanu avoue.” Le joueur noir britannique est le premier footballeur out de l’histoire. Immédiatement, il subit le rejet. Au journal afro-­caribéen The Voice, son frère John déclare :“Mon frère gay est un paria”. Huit ans plus tard, accusé d’agression sexuelle sur un garçon de 17 ans, Justin Fashanu se suicide. “J’ai réalisé que j’étais déjà présumé coupable, écrit-il dans sa lettre d’adieu. Je ne veux plus être un embarras pour mes amis et ma famille.”

C'est quoi le problème ?

Peu à peu, dans les années 1990, des athlètes LGBTQI+ se rendent plus volontiers visibles sans qu’advienne un drame. Dans une vidéo diffusée à l’inauguration des Gay Games de 1994, à New York, le plongeur retraité Greg Louganis est tout sourire face caméra pour annoncer : “Bienvenue aux Gay Games, c’est super d’être out et fier.” Un an plus tard, l'Américain annonce être porteur du VIH, ce qu’il savait déjà lorsqu’il avait gagné l’or aux JO de Séoul en 1988.

Les retours [après mon coming out] ont d’abord été très positifs. J’ai rapidement eu 120 demandes d’interviews, se souvient l’ancien nageur canadien Mark Tewksbury, qui a participé aux JO de 1988 et 1992. Mais quelques jours plus tard, lors d’une conférence de presse avec les médias sportifs, on me demandait : 'Pourquoi tu as besoin d’en parler ? Qui est-ce que ça intéresse ? Pourquoi as-tu besoin d’en faire toute une affaire ?'” Dire ou ne pas dire, c’est toujours s’exposer à la critique, surtout celle des autres sportifs. En 1999, la révélation de son homosexualité par la joueuse de tennis française Amélie Mauresmo lui vaut de violentes réactions de la part de certaines concurrentes. “Je sais qu’elle est venue ici, à Melbourne, avec sa petite amie. En fait, elle est à moitié homme”, lance, fielleuse, son adversaire suisse Martina Hingis.

“La réaction des gens m’a beaucoup déçue. Cela m’a fait énormément de peine pour elle, se souvient la triathlète française Carole Péon en repensant à l’épisode. Imaginons que ça se soit mieux passé pour elle, cela aurait peut-être encouragé d’autres personnes à se libérer? Il faut des actes comme celui-ci pour que les choses avancent.” La sportive a fait son coming out plus discrètement, apparaissant avec sa compagne, Jessica Harisson – qui pratique la même discipline –, dans le documentaire Sports et homosexualité : c’est quoi le problème ?, diffusé en 2010. “On s’est toujours demandé pourquoi nous étions les seules”, s’interroge-t-elle. Le tourbillon médiatique qu’a engendré le coming out d’Amélie Mauresmo n’a sûrement pas aidé.

À l’orée des années 2000, les sportifs out sont donc contraints de conserver le statut de pionniers. “En 1998, je prédisais que d’ici cinq ans, le sujet deviendrait banal, espérait Mark Tewksbury. Mais j’ai dû attendre les Jeux olympiques de Sotchi en 2014 pour ne plus être le seul athlète que la presse appelle pour parler du sujet !” Au Royaume-Uni, ce n’est qu’en 2022, soit trente-deux ans après Justin Fashanu, qu’un autre joueur de football a fait son coming out. Jake Daniels, 17 ans, milieu de terrain de Blackpool, déclare alors : “Être gay, bi ou queer est toujours un tabou dans le football masculin.” À l’œuvre dans ce phénomène de groupe, “des micro-signaux envoyés par des coéquipiers, et qui indiquent qu’il vaut mieux se taire”, analyse Philippe Liotard, sociologue au laboratoire sur les vulnérabilités et l’innovation dans le sport, et titulaire de la chaire LGBTI, à l’université Lyon 1. Et d’ajouter : “Personne n’ose défendre l’homosexualité, et faire son coming out est difficile de peur d’être pointé du doigt. Dans les vestiaires, si les propos nettement homophobes sont rares, les blagues homophobes sont courantes, et c’est ce qu’on finit par retenir.”

“J’ai l’impression que les sportifs gays sont encore connus pour être des sportifs gays, soulignait Guillaume Cizeron dans têtu· en 2020. Je n’ai pas envie d’être le patineur gay, mais le patineur médaillé.” Dans les années 2010, de plus en plus de sportifs font leur coming out : en 2012 le nageur britannique Tom Daley ; en 2013 Jason Collins, premier basketteur de haut niveau américain out en activité ; en 2015 la basketteuse française Élodie Godin ; en 2020 la gardienne de l’équipe de France de football, Pauline Peyraud-Magnin (en interview dans le têtu· de l'été) Dans le documentaire Faut qu’on parle, diffusé sur Canal+ en 2021, six athlètes français parlent de leur homosexualité. Parmi eux, le rugbyman Jérémy Clamy-Edroux explique : “Je l’ai fait parce que je n’avais pas de rôle modèle, et que je devais le faire pour les autres. Quand tu es le premier à le faire, tu es le seul. Quand tu es le deuxième, ce n’est plus le cas.”

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Crédit photo : Carole Péon et Jessica Harrison

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