livreLe célèbre politologue Olivier Duhamel accusé d'inceste dans un livre

Par Nicolas Scheffer le 05/01/2021
Olivier Duhamel

L'intellectuel Olivier Duhamel est accusé d'avoir violé son beau-fils dans "La Familia Grande" de Camille Kouchner. L'autrice y analyse notamment la mécanique du secret de famille.

"Je vais te montrer. Tu vas voir, tout le monde fait ça", c'est ce qu'aurait dit Olivier Duhamel à son beau-fils, Victor*, avant de le caresser. À 14 ans, Victor raconte tout à sa sœur jumelle, Camille et de lui faire promettre de garder le secret. "Si tu parles, je meurs. J’ai trop honte. Aide-moi à lui dire non, s’il te plaît", aurait imploré son jumeau.

Trente ans plus tard, Camille Kouchner, devenue avocate et maîtresse de conférence, raconte tout dans un livre cathartique publié jeudi 7 janvier aux éditions du Seuil. La Familia Grande révèle un secret de famille : le célèbre politologue, constitutionnaliste de renom, président de la fondation nationale des sciences politiques (FNSP) aurait violé son beau-fils pendant des années.

Les faits allégués sont prescrits, mais une enquête a été ouverte ce mardi par le parquet de Paris. L'enquête concerne des chefs de viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité sur un mineur de 15 ans et viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité, rapporte Le Parisien.

Sa mère minimise les viols

Une famille d'intellectuels de gauche. Camille et Victor sont les enfants de l'ancien ministre Bernard Kouchner et d'Evelyne Pisier, universitaire qui refait sa vie avec Olivier Duhamel dans les années 1980. Alors que leur mère sombre dans l'alcool après le suicide de ses parents, Olivier Duhamel aurait rejoint Victor dans sa chambre. Le garçon n'a alors que treize ans.

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Vingt ans plus tard, en 2008, les jumeaux auraient tout raconté à leur frère aîné et à leur mère. Mais Evelyne Pisier aurait préféré protéger son mari. Selon le récit de Camille Kouchner, elle aurait minimisé les faits : "il n’y a pas eu sodomie. Ce ne sont que des fellations", "il regrette vraiment, tu sais", aurait-elle dit.

"C'est toujours la même histoire"

Sa mère lui aurait reproché de ne pas avoir parlé plus tôt. Dans un entretien à L'Obs, Camille Kouchner explique la mécanique du reproche : "Dans l’inceste, c’est toujours la même histoire : on inverse les positions, les victimes deviennent des coupables, et les coupables des victimes. C’est l’effet du silence. Ma mère a joué de ça. J’étais responsable de l’avoir trahie parce que j’aurais dû tout lui dire. J’étais responsable de ne pas avoir protégé mon frère. Mais j’étais responsable aussi d’avoir demandé à mon frère de lui parler, après de longues années… À ses yeux, je me retrouvais responsable de tout."

La famille se délite et Victor finir par se confier à son père, Bernard Kouchner. S'il aurait voulu "casser la gueule" du constitutionnaliste, l'ancien ministre aurait accepté, à la demande de son fils, de garder le silence. "Nous n’en avons presque jamais reparlé, sauf très récemment, lorsque je lui ai dit que j’écrivais sur le sujet", témoigne l'avocate. À l'époque, les amis de la famille auraient également été informés.

"Le microcosme des gens de pouvoir, Saint-Germain-des-Prés, a été informé", écrit l'autrice. Certains s'éloignent d'Olivier Duhamel quand d'autres continuent de le voir. "Ça n’a rien à voir avec Mai-68. L’inceste est partout, il n’a pas de couleur politique. Il peut être à droite comme à gauche. La vraie question est : comment ça a pu avoir lieu ?", dit l'autrice.

"Je ne l'ai pas écrit au nom de mon frère"

Camille Kouchner raconte avoir mis du temps à comprendre la gravité des faits. "À 14 ans, je n’ai donc rien compris ; à 18, j’avais mal quelque part mais sans savoir exactement pourquoi ; en gros, la conscience des choses est venue très, très tardivement. C’est aujourd’hui que je trouve ça insupportable", poursuit-elle.

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"Ce livre est né de cette nécessité : témoigner de l’inceste pour montrer que ça dure des années et que c’est très, très difficile de se défaire du silence. Je ne l’ai pas écrit au nom de mon frère, mais des sœurs, des nièces, de toutes les personnes touchées par l’inceste. L’omerta, dans une famille, pèse sur tout le monde.", poursuit l'avocate.

"Je mets fin à mes fonctions"

Son frère a relu l'ouvrage, il n'était pas demandeur d'un scandale, mais comprend le besoin de sa sœur de rendre public ce secret. Olivier Duhamel s'est fendu d'un tweet : "Étant l'objet d'attaques personnelles, et désireux de préserver les institutions dans lesquelles je travaille, j'y mets fin à mes fonctions". "Je n'ai rien à dire sur ce qui, de toute façon, sera, je ne sais pas, n'importe quoi, déformé ou quoi", a-t-il complété auprès de l'Obs. Il a depuis supprimé son compte Twitter.

 

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