justiceL'agresseur présumé d'Édouard Louis a été relaxé, le parquet fait appel

Par Nicolas Scheffer le 14/12/2020
Édouard Louis

Le parquet a fait appel, le jeudi 10 décembre, de la relaxe de Riadh B., accusé d'agression sexuelle sur Édouard Louis. L'écrivain a raconté dans Histoire de la violence avoir été menacé par un révolver et contraint à une pénétration lorsqu'il n'avait que 21 ans.

Les faits ont donné lieu à un livre, leur pendant judiciaire sera-t-il le second tome ? Riadh B. était jugé pour agression sexuelle sur l'écrivain Édouard Louis. Il a été relaxé pour cela mais condamné à trois mois de prison avec sursis pour vols. Jeudi 10 décembre, le parquet a fait appel de la relaxe.

Le procureur avait requis quatre ans de prison dont deux avec sursis pour agression sexuelle. Il demandait également que le prévenu suive un parcours de soin pour agression sexuelle. Le tribunal correctionnel a choisi de relaxer cet homme de 35 ans, notamment en raison de "l'inconstance des déclarations" d'Édouard Louis. En revanche, trois mois de prison avec sursis ont été prononcés pour vols aggravés.

"Il reste beaucoup à faire dans les affaires de viol homosexuel"

"Il eut été plus sage de mettre en terme à cette triste affaire judiciaire et de prendre en considération les motivations précises et circonstanciées du jugement. Que va faire la cour d'appel près de dix ans après les faits ?", demande l'avocat du prévenu, Marie Dosé. Emmanuel Pierrat, qui défend les intérêts d'Édouard Louis, espère lui "que ce dossier soit traité correctement" après "un premier procès absurde"."J'avais l'impression que la justice avait évolué sur les questions de viol, mais je constate qu'il reste beaucoup à faire, notamment dans les affaires de viol homosexuel", dit-il cité par Le Monde.

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Ce qui a agacé la Cour, c'est qu'Édouard Louis a refusé une confrontation avec Riadh. Pourtant, l'écrivain a été expertisé par une psychologue. "L'experte psychologue avait indiqué que la confrontation était possible, mais aussi nécessaire", indique le jugement d'une vingtaine de pages. Les juges mettent en avant des "troubles narcissiques" d'Édouard Louis, qui a "tendance à interpréter trop fortement des situations au point qu'il se sente victime".

Une soirée violente

Maître Emmanuel Pierrat a renvoyé l'audience à la lecture du livre, Histoire de la violence publié en 2016. Il l'a présenté comme "la vérité du romancier dans cette affaire". Le jeune romancier décrit sa rencontre avec "Reda", un soir de Noël alors qu'il avait 21 ans. Il rentre chez lui vers quatre heures du matin, ils se draguent dans la rue, et le fait monter. Les deux hommes boivent de la vodka et font l'amour à plusieurs reprises.

Alors que Riadh le menace d'un "gun", il le pénètre par la contrainte. "Vers six heures, il a sorti un revolver et a dit qu'il allait me tuer, le lendemain, les démarches médicales et judiciaires ont commencé" écrit l'auteur de En finir avec Eddy Bellegueule. Édouard Louis se rend à l'hôpital pour recevoir un traitement post-exposition (TPE). Un ami se souvient de "rougeurs sur son cou", l'écrivain raconte "un rapport sexuel qui a mal tourné". Dans l'après midi, accompagné de deux amis intellectuels, il dépose plainte pour "vol" et "viol sous la menace d'une arme".

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Quatre ans plus tard, Riadh est interpellé, mis en examen et placé en détention provisoire pendant onze mois. Le prévenu a toujours nié les faits de viol, qui ont d'ailleurs été requalifiés en agression sexuelle. Pendant l'enquête, Édouard Louis demande un non-lieu contre son tortionnaire, car il se déclare "contre l'emprisonnement". Riadh, lui, a parlé "d'une relation fougueuse mais pas brutale". Le tribunal a gardé cette version dans son jugement, faute de preuves pour "établir la réalité des faits dénoncés". À l'audience, Édouard Louis dit ne plus se souvenir de l'écharpe qui aurait servi à l'étranger ou de l'utilisation d'un pistolet.

Deux rapports d'expertise

Une première expertise conclut avec une "quasi-certitude"à un "rapport anal non consenti". Mais une seconde, en date de 2017, dit que ces lésions peuvent être le fait de "rapports sexuels brutaux et traumatiques consentis". "Au vu de ces éléments", le tribunal n'a pas pu "corroborer les déclarations de la victimes". En revanche, les marques de violences sur le cou de la victime permettent de qualifier le "vol aggravé suivi de violences volontaires". À l'audience, le prévenu a avoué avoir volé certains de ses partenaires, mais nié le vol d'Édouard Louis.

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"Si vous êtes victime de viol, il faut venir raconter cinq ou six fois son histoire, sinon, vous n'êtes pas pris au sérieux", a dénoncé Emmanuel Pierrat. "Édouard Louis a répété qu’il ne souhaitait pas participer à la procédure judiciaire, il se dit contre la prison, dénonçant régulièrement une 'justice de classe', mais il veut aujourd’hui voir condamner Riadh coûte que coûte", a répondu l'avocate du prévenu, Maître Marie Dosé. "Une culpabilité ne se décrète ni sur les réseaux sociaux, ni dans les romans, ni sur les scènes d'art dramatique. La justice a tranché", a dénoncé l'avocate. Mais le parquet a ouvert la voie à un nouveau procès en faisant appel.

 

Crédit photo : Wikimedia Commons / Heike Huslage-Koch