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Europe"Prof et gay, pourquoi je tiens à pouvoir en parler avec les élèves"

Par Nicolas Scheffer le 04/05/2021
prof gay

TÉMOIGNAGE. Elie, prof d'anglais en Espagne, arbore devant ses élèves un bracelet "rainbow". Un non-événement qui lui a tout de même valu des critiques sur sa - discrète - visibilité LGBT. Il nous explique pourquoi ses collégiens, eux, adorent.

Propos recueillis par Nicolas Scheffer

« Quand je suis arrivé à Madrid en janvier, je portais au poignet un bracelet aux couleurs de l'arc-en-ciel. Je l'ai acheté à un euro dans les rues d'Alicante, mais je l'aime bien. Alors, j'ai décidé de le garder sur moi pour mon premier jour de classe. Et je ne m'attendais pas à recevoir des réactions aussi positives ! Les élèves se sont mis spontanément à me poser des questions. Pour mon premier cours, ça commençait fort !

Ils voulaient savoir si mon bracelet faisait de moi un allié, si j'avais un copain… Ces élèves ont vu en moi quelqu'un qui réfléchit aux mêmes questions qu'eux. Les sujets LGBTQI+ les intéressent vraiment, il y a un vrai besoin de partager chez eux. En tant qu'assistant prof d'anglais, c'est mon rôle de faire parler les jeunes que je forme. On peut discuter de tout ce qui les intéresse, tant que c'est dans le respect. Et ils sont particulièrement matures pour des enfants de 12-13 ans. À l'issue du cours, une des élèves m'a montré qu'elle aussi en portait un. Elle était très fière qu'on partage ça.

Des critiques venues de France

Ces pré-ados sont à un âge où ils se posent plein de questions, c'est aussi de mon rôle de les conduire à s'interroger. L'Espagne, a tendance à les traiter comme des ados en devenir et à ne pas chercher à les infantiliser. Alors qu'en France, lorsqu'on parle d'éducation sexuelle, on relègue régulièrement le sujet à la dernière semaine de l'année, quand on a le temps pour traiter le sujet...

"On a tous eu des profs qui parlaient librement de leur vie privée, de leurs engagements"

Sur les réseaux sociaux, lorsque j'ai raconté que je portais ce bracelet, j'ai reçu plein de critiques. Certains tweetos me rappellent au rôle de neutralité des professeurs, mais c'est assez hypocrite. On a tous eu des profs qui parlaient librement de leur vie privée, de leurs engagements. Et généralement, ce sont même d'eux dont on garde le meilleur souvenir. Les internautes me disaient que le sujet n'a pas sa place à l'école. Mais en Espagne, je n'ai jamais reçu une seule critique.

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Une visibilité mieux acceptée en Espagne

L'Espagne est un pays plutôt ouvert sur les droits LGBTQI+, alors que les Espagnols sont fiers de leur catholicisme. Je pense qu'il y a une forme de réaction au franquisme. L'homosexualité a été dépénalisée en 1979 et le mariage pour tous a été voté en 2005, la PMA pour toutes a été légalisée en 2006. Madrid est très à droite, mais le quartier gay est très vivant. On voit des couples LGBTQI+ partout dans les rues et je ne me pose jamais la question de savoir si je peux prendre mon copain par la main. Il n'y a pas de tabou autour des questions d'orientation amoureuse et d'identité de genre, ça ne fait pas peur.

"Ce petit bracelet de rien du tout m'a permis d'être identifié comme un allié"

La même élève qui m'avait montré son bracelet est venue me voir après la fin d'un de mes cours. Elle m'a dit que chez elle, c'était compliqué depuis qu'elle a annoncé à sa famille qu'elle est lesbienne. Ses parents, notamment sa mère et son frère ont une opinion conservatrice. Comme beaucoup avant elle, ils lui ont dit qu'elle était sous l'influence d'une "mode", que se sentir lesbienne, c'était nécessairement passager. Son frère lui avait volé son téléphone pour espionner ses conversations.

Elle a apprécié de pouvoir avoir accès à une personne ressource pour discuter de ses problème. Bien sûr, le fait de porter ce bracelet n'y est pas pour rien. Ce petit bracelet de rien du tout m'a permis d'être identifié comme un allié. Il m'a permis de briser la glace autour de mon orientation amoureuse, de façon très naturelle. Ce sont eux qui se sont intéressé à ce qu'il signifiait et qui ont ouvert le dialogue. »

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Crédit photo : DR