LGBTQI+Pour une école plus queer : conseils à l'usage de l'Éducation nationale (et des autres)

Par Gabrielle Richard le 24/12/2020
l’école

TRIBUNE. Le suicide d'une lycéenne trans la semaine dernière à Lille a mis en lumière le manque de connaissances des personnels éducatifs sur les questions LGBT+. Pourtant, pour Gabrielle Richard, sociologue du genre et autrice de « Hétéro, l’école? Plaidoyer pour une éducation anti-oppressive à la sexualité », il y a des moyens simples et rapides de rendre l'école plus inclusive.

On m’avait prévenue : « En France, n’oublie surtout pas de dire bonjour madame et bonjour monsieur, pas seulement bonjour ». Ce conseil bien avisé, je l’ai eu il y a plus de cinq ans, quand je quittais Montréal pour Paris, encore animée d’une grande naïveté quant aux similitudes entre les deux villes, entre les deux pays. Puis sont venus les manifestations contre la PMA pour les femmes lesbiennes. Le meurtre de Vanesa Campos, une femme trans et racisée. Les tergiversations autour des appellations « parent 1 » et « parent 2 » plutôt que « père » et « mère » dans les formulaires scolaires. Les attaques contre Alice Coffin. Les suicides de Doona en septembre, d'Avril/Luna la semaine dernière, deux jeunes femmes trans avec la vie devant elles et tant de choses à accomplir.

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Et j’ai compris. J’ai compris à quel point la société française était attachée aux catégories de genre binaires. J’ai compris combien elle pouvait être violente à l’égard des personnes qui forment ses groupes minoritaires et minorisés. J’ai compris que c’était le sexisme, et non la galanterie, qui constituait la prémisse de ce « romantisme à la française » qu’on nous vend dans les films césarisés et dans les best-sellers. J’ai compris qu’il y faisait encore bon rire des homosexuels à heure de grande écoute, dans Les grosses têtes ou Touche pas à mon poste. Et que l’école républicaine était trop souvent davantage le lieu de cimentation des statuts sociaux que celui de tous les possibles.

"Être cisgenre, c'est aussi une identité de genre"

D’abord, mettons les choses au clair. Quand il est question d’inclure les réalités LGBTQ dans les contenus scolaires, on se heurte à deux types de questions : 1) Est-ce le rôle de l’école ou de la famille d’aborder ces sujets? Et 2) Les enfants et adolescent.es ne sont-iels pas trop jeunes, trop innocent.es pour qu’on évoque ces questions?

Est-ce donc bien le rôle de l’école ou de la famille de parler d’homosexualité, de pansexualité, des transidentités, de queer? Voilà une fausse question puisque – entendons-nous bien – il est déjà amplement question de genre, de sexe et d’attirances à l’école. Ces sujets ne s’arrêtent pas aux portes des établissements, mais y entrent de plain-pied. On les retrouve dans les contes pour enfants en maternelle. Dans les insultes, les moqueries et les provocations au primaire. Dans les rumeurs et les premiers amours au collège. Dans les séances d’éducation à la sexualité au lycée. Le hic, c’est qu’on n’accepte pas que parler d’hétérosexualité, c’est aussi parler d’orientation sexuelle. Et qu’être cisgenre, c’est aussi une identité de genre. Parler d’homosexualité n’est tabou que parce que ça brise cette norme non-dite, cette présomption constante de l’hétérosexualité de tout le monde.

L'intérêt des élèves est là

Quant aux jeunes, sont-iels prêt.es à entendre parler de tels sujets ? Bien entendu. Les enquêtes nous montrent que les adolescent.es sont globalement insatisfait.es de ce qu’on leur enseigne sur le genre et les sexualités à l’école et considèrent apprendre davantage sur les réseaux sociaux, sur des sites ou des forums web ou auprès de proches de leur âge.

Et pour cause : L’Obs publiait en mars 2019 les résultats d’une enquête YouGov selon laquelle 14% des adultes de 18-44 ans s’identifiaient comme non-binaires. Les données dont on dispose sur le plan scientifique laissent entendre que ces chiffres sont encore plus élevés chez les jeunes, dont un nombre croissant entretient des conceptions du genre fluides et ne se retrouvent pas dans une hétérosexualité stricte. Et les enseignant.es seront les premier.es à dire que dès lors que la conversation dévie en classe vers ces sujets, l’intérêt des élèves est là, il est vif, et il est difficile à rassasier.

Bonne conscience

Jean-Michel Blanquer, anormalement coi les jours suivant le suicide d'Avril/Luna, a finalement déclaré qu’il fallait que l’Éducation nationale « réussisse beaucoup mieux », tout en affirmant du même souffle avoir « fait énormément sur la lutte contre le harcèlement, qui inclut l’enjeu du harcèlement contre les élèves LGBT ». L’Éducation nationale ferait-elle vraiment déjà beaucoup pour favoriser l’inclusion des élèves LGBT? Loin s’en faut. Certes, les mots « homophobie » et « transphobie » sont maintenant prononcés par des haut.es fonctionnaires et apparaissent depuis peu dans les circulaires de rentrée et sur le site web de l’Éducation nationale. Les LGBTphobies sont censées s’être imposées comme une préoccupation des rectorats, dans la continuité des efforts de la campagne Tous égaux, tous alliés de janvier 2019.

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Or, ajouter les mots « homophobie » et « transphobie » à des documents officiels, rassembler des ressources sur une page web, et faire parvenir des affiches aux établissements des quatre coins de la France, ce n’est pas agir contre les violences et pour l’inclusion scolaire des élèves LGBT : c’est se donner bonne conscience. C’est refuser d’opter pour un plan d’action clair et d’y accorder les ressources nécessaires, sous prétexte que les personnels éducatifs se débrouillent déjà bien au meilleur de leurs capacités sur le terrain.

Respecter l'auto-identification

Si ce n’est pas assez, alors comment faire mieux? D’abord, l’accueil des élèves trans et non-binaires ne doit plus se faire au cas par cas et dépendre du bon vouloir des équipes éducatives locales : il doit plutôt faire l’objet de lignes directrices claires, prescriptives, dans une perspective trans-affirmative.

En conformité avec les revendications des associations trans, elles devraient affirmer que le seul indicateur fiable de l’identité de genre d’une personne est son auto-identification; que les mesures mises en place pour accueillir les jeunes doivent être guidées par leur volonté et leurs besoins; que le droit des élèves trans à la confidentialité et à la vie privée doit être préservé, et que l’usage interne de leurs prénom, pronom et mention de sexe doit respecter leur auto-identification, quel que soit leur statut à l’état civil.

Des contenus pédagogiques qui alimentent les stéréotypes

Les programmes et les contenus scolaires doivent être repensés de manière à inclure les réalités LGBTQ de manière à encourager la réflexion critique sur les normes dominantes. Cela inclut évidemment l’éducation à la sexualité, qui devrait être beaucoup plus substantielle, sexe-positive, inclusive et critique des normes dominantes. La presque totalité (95%) des jeunes LGBTQ en France rapporte que les contenus d’apprentissage ne sont pas adaptés à leurs besoins. Si ces jeunes considèrent leur curriculum comme symboliquement violent à leur égard, c’est parce qu’il les maintient invisibles et contribue à les mettre à l’écart.

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Par exemple, lorsque les programmes et manuels scolaires évoquent l’homosexualité, le lesbianisme ou la transidentité, cela se fait plus souvent qu’autrement pour dire « ces personnes aussi vivent des discriminations » ou « ces groupes aussi ont obtenu des droits ». Ce traitement du sujet plaide (insidieusement) en faveur d’une tolérance à la différence, sans adresser le manque d’information sur le sujet, et sans confronter les préjugés sexistes, homophobes et transphobes susceptibles d’être ancrés de longue date chez les élèves. En cela, on peut considérer que ce genre de référence alimente plutôt qu’enrage les violences de genre à l’école, puisqu’on ne questionne jamais la naturalité présumée de l’hétérosexualité ou des rôles de genre, la prétendue complémentarité des sexes ou la nécessaire détermination de l’identité de genre d’une personne à partir du seul indicateur que sont ses organes génitaux.

Former les personnels

C’est dans cette perspective aussi qu’il faut former systématiquement les personnels scolaires. On essaye souvent de le passer sous silence, mais les personnes impliquées dans la scolarité de nos enfants ne sont pas neutres. Elles occupent toutes une place dans les rapports de pouvoir : elles possèdent un genre et une orientation sexuelle, elles se situent sur le plan racial et linguistique, etc. Ces attributs leur confèrent des privilèges ou les disqualifient socialement, à différents degrés. Non seulement les personnels scolaires ne sont pas immunisé.es contre les préjugés, iels sont susceptibles de transmettre les leurs à leurs élèves, sans même s’en rendre compte. Une formation initiale doit être l’occasion pour les personnels d’interroger leur propre positionnement dans les rapports de pouvoir, ainsi que les privilèges et les angles morts que ce positionnement est susceptible de leur conférer.

La refonte des programmes et l’obligation de formation des personnels sont donc des visées à long terme pour créer les conditions d’une école républicaine véritablement inclusive et émancipatrice. Dans l’immédiat, toutefois, les personnels éducatifs ne sont pas contraints à garder les mains liées. Les pistes suivantes leur permettent dès maintenant d’aborder de manière anti-oppressive les questions relatives au genre et à l’orientation sexuelle.

  •  Nommer ce qui est d’ordinaire tu :

Les normes dominantes sont difficiles à voir, en partie parce qu’elles ne sont pas nommées. L’hétérosexualité, le statut cisgenre, la blanchité sont pourtant des caractéristiques identitaires d’importance, puisqu’elles traduisent une série de privilèges rarement interrogés (pouvoir tenir son/sa partenaire par la main en public, ne pas craindre d’être injustement pénalisé.e dans l’accès à l’emploi ou au logement, etc.). Au même titre qu’on peut estimer nécessaire de le faire en parlant de personnes homosexuelles, trans ou racisées, il est intéressant de spécifier l’hétérosexualité ou le statut cisgenre des personnes dont on parle. Cela permet de mettre à jour l’existence de présomptions d’ordinaire invisibles. Tout cela crée un terrain fertile pour l’amorce d’une réflexion critique sur les normes sociales dominantes.

  • Miser sur les instances de dissonance cognitive :

Les préjugés reposent sur une série d’énoncés et de conceptions perçues comme allant de soi, donc comme étant partagées par tout le monde. Les instances de dissonance cognitive s’avèrent être d’efficaces outils pédagogiques, puisqu’elles permettent d’instiller – parfois pour la toute première fois – le doute chez les personnes qui les énoncent. Dès lors qu’elles sont sollicitées pour expliciter leurs idées reçues, ces personnes peuvent s’apercevoir qu’elles se retrouvent rapidement dépourvues d’arguments solides. Par exemple, à un.e élève qui affirmerait qu’une femme ne peut/doit pas gagner un salaire plus élevé que celui de son époux, on peut répondre : « Je ne comprends pas. Pourquoi dis-tu ça? ». À un.e autre élève qui entretiendrait des conceptions rigides sur la complémentarité des sexes, on pourrait donner l’exemple de la répartition des tâches au sein de couples gays ou lesbiens, dont la recherche a montré qu’elle se basait sur les disponibilités et les préférences des partenaires, non sur des rôles de genre.

  • Faire état de son propre processus d’apprentissage :

Cela nécessite de reconnaitre ses erreurs et de les corriger, mais aussi de faire état des choses qu’on ne connait pas, ou pas assez. Par exemple, lorsqu’on attribue erronément à quelqu’un une identité de genre, qu’il s’agisse d’une personnalité publique ou du personnage d’un film, il faut faire amende honorable : « J’ai fait une erreur. J’ai considéré que cette personne était une femme en raison de la longueur de ses cheveux. Pourquoi n’est-ce pas le meilleur indicateur? ». Autre exemple : si vous êtes appelé.e à expliciter l’acronyme LGBTQ, mais avez peur de vous tromper, n’hésitez pas à le dire : « Je ne connais pas assez cet acronyme. Que diriez-vous qu’on se renseigne ensemble à ce sujet? ». Plutôt que le signe d’une ignorance, ces phrases témoignent de la transparence de vos propres processus d’apprentissage. Ils transmettent le message qu’on ne peut deviner le genre d’une personne à sa seule apparence, et que la norme, c’est la diversité.

  • Assumer les limites du matériel pédagogique :

Aucun matériel pédagogique n’est parfait. L’important, c’est d’enseigner aux élèves à faire preuve d’esprit critique face aux représentations disponibles dans leurs contenus scolaires ou dans les livres. Il peut simplement s’agir d’attirer leur attention sur le fait qu’un texte à l’étude ne met en scène que des hommes, et de questionner avec les élèves cet état de fait. On peut souligner l’absence de certains groupes ou événements quand elle se donne particulièrement à voir : « C’est quand même étrange que ce manuel n’évoque pas les émeutes de Stonewall aux États-Unis. J’ai pourtant l’impression qu’elles ont joué un rôle central dans la mobilisation pour les droits civils des personnes homosexuelles ». Ce faisant, germe chez les élèves l’idée qu’il existe tout un pan de l’histoire contemporaine qu’ils et elles n’apprendront peut-être pas sur les bancs d’école, mais qui a néanmoins bien eu lieu.

  • Se rendre visibles comme personnes ayant un genre (et une orientation sexuelle) :

Les discussions informelles sont autant d’opportunités pour transmettre des messages sur les normes de genre et d’orientation sexuelle, tout particulièrement pour les personnes cisgenres et/ou hétérosexuelles. Ce faisant, on fait comprendre aux élèves que tout le monde est en constante construction sur le plan du genre et de l’orientation sexuelle. Les enseignant.es peuvent ainsi spécifier leurs pronoms d’usage en début d’année, parler de leurs intérêts considérés comme atypiques sur le plan du genre, ou encore expliquer comment leurs goûts et habiletés ont pu changer avec les années.

  • Inverser les rapports de pouvoir pour réfléchir aux privilèges :

L’exercice d’inversion est un moyen pédagogique par lequel des énoncés ou des affirmations communes sont détournées de manière à mettre en évidence l’arbitraire des normes que nous tenons pour acquises. Il peut s’agir d’un exercice réalisé en soi pour sa valeur pédagogique, ou encore d’un outil d’analyse de contenus à l’étude. Ainsi, le questionnaire hétérosexuel (dont plusieurs versions sont disponibles en ligne) initie une réflexion critique sur les normes en matière d’orientation sexuelle. Il comprend une série de questions couramment posées aux gais et aux lesbiennes, mais reformulées pour l’occasion de façon à interroger l’expérience des personnes hétérosexuelles (« Qu’est-ce qui a causé votre hétérosexualité ? », « Est-il possible que votre hétérosexualité ne soit qu’une phase et que vous n’ayez simplement pas encore rencontré le bon partenaire du même genre ? »). Dans d’autres exercices d’inversion, on prend un récit connu et on y inverse le genre des personnages principaux. Il s’agit d’une méthode facile à mettre en place et efficace pour mettre en évidence les rapports de pouvoir et les normes (masculine, hétérosexuelle, blanche) qui nous entourent constamment sans pour autant qu’on les voit.

Il est donc possible de travailler dans l’immédiat à la mise en œuvre d’une pédagogie anti-oppressive et à la création d’un climat de classe véritablement inclusif pour l’ensemble des élèves. Plusieurs enseignant.es et membres du personnel éducatif le font d’ailleurs déjà, dans l’ombre, individuellement ou dans des associations comme Queer Education. Mais ce qu’on attend impatiemment et qui tarde, qui brille par son absence, c’est l’impulsion venue d’en haut. C’est la volonté politique. Jean-Michel Blanquer, nous entendez-vous?

 

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