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coming out"Pour ses collègues, j'étais Stéphanie": j'ai passé 13 ans en couple avec un mec qui n'assumait pas d'être gay

Par Léa Fournier le 10/12/2020
couple

TÉMOIGNAGE. Stéphane*, 36 ans, a partagé la vie de Fabien* pendant treize ans… Dont sept où ce dernier était « dans le placard » auprès d’une partie de son entourage - et même de ses parents. Stéphane raconte.

« J’ai rencontré Fabien en boîte de nuit alors que nous étions tous les deux étudiants, en 2007. J’avais 22 ans et lui 21. Il n’était pas out auprès de sa famille mais ses amis, les personnes de son école, savaient qu’il était homosexuel. On s'est rapidement mis en couple. 

Moi, j’avais déjà fait mon coming out auprès de mes proches. Fabien, lui, n’a pas parlé de son homosexualité ni de notre relation amoureuse à ses parents pendant sept ans. Au début de notre relation, il l’a tout de même dit à ses sœurs. Je me souviens de notre première année ensemble. Nous habitions en province, et rapidement, j’ai habité chez lui. Cette année-là, ses sœurs sont justement venues lui rendre visite. C’était hyper violent car pour moi, cet appart, c’était « chez nous ». Elles, elles exprimaient le fait qu’elles étaient chez leur frère. J’ai compris que le fait que nous vivions à deux n’était pas très ancré dans leurs esprits. Même si Fabien leur avait annoncé que nous étions en couple, j’étais mis de côté.

« Je ne l’ai pas poussé à faire son coming out : c’était sa famille, sa relation à ses parents » 

Jamais le moment

Concernant les autres membres de sa famille, et notamment ses parents, ce qui m’embêtait c’était qu’il en était très proche… Et moi je ne les connaissais pas. À l’inverse, il s’est beaucoup investi dans ma famille : il a trouvé des parents chez mes parents. Je trouvais ça bizarre que mes parents à moi soient régulièrement présents, qu’ils passent le week-end avec nous, quand nous avons quitté notre région pour Paris, en 2009. Mais ses parents, alors que je savais Fabien proche d’eux, ne venaient jamais… Ça m’ennuyait pour lui. Je me demandais : « À quel point ça le touche de ne pas pouvoir faire tout ça avec sa famille ? » 

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Je ne m’imaginais pas qu’il avait honte de moi. Je comprenais : ça faisait tellement longtemps et ce n’était jamais le moment de faire son coming out. Je ne l’ai pas poussé à le faire : c’était sa famille, sa relation à ses parents. J’ai toujours respecté ça. Je ne vivais pas la situation comme un problème : je ne savais pas ce que c’était d’avoir une belle-famille donc je n’avais pas forcément de point de comparaison. Quand il allait chez ses parents, je n’y allais pas, tout simplement. C’était l’occasion d’être avec mes potes et de faire la teuf. Le fait qu’on vive loin d’eux, ça limitait les incidences sur notre quotidien. 

Comme Fabien n’est pas un grand fan des réseaux sociaux, ça n’était pas difficile de cacher son homosexualité. Il n’est pas sur Insta, n’utilise Twitter que pour suivre l’actu et n’a pas eu sa famille sur Facebook pendant longtemps. Et dans tous les cas, il ne publie quasiment jamais rien. 

J'étais son "coloc"

Pour Noël, c'était chacun chez soi. Je me souviens d’un repas de réveillon que j’avais trouvé pesant. J’y étais en célibataire. Mes sœurs étaient avec leurs mecs et mon mec n’était pas là… Il me manquait. Je trouvais ça saoulant. Après, très rapidement, j’ai eu des neveux et nièces, donc ce vide s’est rempli.

La situation a changé en 2012, quand on a vraiment pris un appartement à deux. Il a dû parler à ses parents. Pour eux, au départ, j’étais « un pote » : il a habité chez moi pendant 9 mois avant qu’on prenne notre appart. Et quand on a emménagé ensemble, j’étais plutôt présenté comme son coloc que comme son mec.

Après notre installation, il leur a écrit une lettre pour leur dire qu’il était gay. Par la suite, pendant des années, à chaque fois qu’on passait devant la boîte aux lettres où il avait envoyé la lettre, on en parlait toujours. C’est resté écrit dans notre histoire.

Difficile de créer des liens

Ils lui ont répondu par courrier et il est allé chez eux le week-end suivant. Il leur a dit qu’il avait un copain depuis sept ans. La même année, j’ai été invité au mariage de sa sœur, puis au mariage de son cousin. Cette transition a été difficile. Je me suis retrouvé avec l’étiquette de « gendre », au mariage de ma belle-soeur, avec toute la famille, que je n’avais jamais rencontrée en sept ans. Au-delà du fait d’être inexistant auprès de sa famille, une fois out, il a fallu que je me coltine tout le travail de déconstruire ou d’assumer les clichés : le VIH, la vie de famille, la virilité, dire « PD »… Ils n’avaient jamais envisagé d’avoir un fils gay.

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Avant son coming out, le fait que Fabien ait été dans le placard n’était pas un problème. Aujourd’hui, avec le recul, je me rends compte que ça a été extrêmement difficile de créer des liens avec ces gens, par ailleurs charmants. Car pendant sept ans, je n’ai pas eu besoin de faire partie de cette famille. Pas franchement de quoi me pousser à faire des efforts, donc. Or, à partir du moment où Fabien a fait son coming out, j’ai eu une existence à leurs yeux. Je ne me suis pas pressé pour tisser des liens avec eux, pour y aller. Pourquoi ? Puisqu’il n’en avait pas eu besoin pendant des années ?

Hétéro, même à son club de sport

En dehors de sa famille, ce n’était d’ailleurs pas forcément différent. Fabien est seulement resté out auprès des gens avec qui il était déjà out : donc nos amis et les personnes de son école. Mais dans tous les nouveaux environnements dans lesquels il est arrivé, il n’est pas arrivé en étant lui-même. Alors dans chaque nouveau milieu professionnel et même dans son club de sport, il se présentait comme hétéro. 

Moi je n’ai jamais raconté d’histoires : quand on me demandait si j’avais quelqu’un dans ma vie, je disais : « Oui, je suis avec un mec, qui s’appelle Fabien ». Il connaissait mes collègues, je lui en parlais beaucoup. Lui, il mettait très vite sa vie personnelle de côté quand il était au travail. Il ne faisait pas d’apéros, de dîners avec ses collègues. Pourtant, je n’ai jamais eu l’impression que son environnement de travail était homophobe.

"Pour ses collègues, j'étais Stéphanie"

En 2018, j’ai appris au détour d’une conversation avec des amis qu’il m’appelait « Stéphanie » depuis plusieurs années dans ses différentes entreprises. Moi qui m’étais persuadé qu’il ne parlait pas du tout de sa vie personnelle pour éviter de parler de son homosexualité… En fait, il « twistait » toute notre histoire, toute sa vie, pour se faire passer pour hétéro.

Je me rappelle avoir dit : « T’es un enfoiré, pourquoi tu as dit ça ? Je ne suis pas Stéphanie ! Je ne suis pas une meuf ». Je n’étais pas content, je n’avais pas envie d’être une femme. Sur le moment, j’ai exprimé le fait que je n’étais pas d’accord, mais nous n’avons pas continué la conversation. Et nous ne sommes pas revenus sur le sujet. 

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Situations embarrassantes

Cette transformation de la réalité a pu donner lieu à des situations embarrassantes. Les quelques fois où nous avons croisé ses collègues, en terrasse d’un bar ou en faisant du shopping, j’avais l’impression de jouer à « 1, 2, 3… Soleil ! » Je me disais : « Il ne faut pas que j’ai un geste ou une parole de travers car ça risque de le mettre mal à l’aise. »

Quand tu es avec ton mec depuis 10 ou 13 ans, tu es logiquement dans la légitimité absolue. Là, c’était étrange : on croisait quelqu’un, il expédiait la conversation rapidement et j’attendais à côté, de manière patiente et gênée. 

Ça me dérangeait pour lui qu’il reste dans le placard. Car je sais à quel point je suis content d’être à l’aise, à quel point c’est important d’être out pour moi. Ça m’apporte beaucoup de bien être, c’est important que tout soit clair. Du coup, ça m’inquiétait un peu pour lui. Je me demandais : « Qu’est-ce qui lui pose problème ? Où est-ce qu’il n’est pas bien dans sa vie ? Pourquoi ? ». 

Exclu d'une partie de sa vie

Le dernier univers où il n’était pas out, c’était le sport. Il était judoka. J’entendais parler de ses potes du club de judo, il faisait des apéros avec eux. Mais je n’étais pas inclus, je ne les ai jamais rencontrés et je ne sais pas s’il leur avait parlé de moi. D’ailleurs, je n’ai jamais vu Fabien faire du judo.

Je ne suis pas allé à sa remise de ceinture noire, je n’ai vu aucun de ses matchs. Il y avait toute une espèce de jeu de brimades et de rigolades autour de ça : d’un côté il me reprochait de ne pas venir le voir et de l’autre, il ne m’invitait pas… Donc je n’ai jamais su si ma présence était possible et désirée. D’autant plus que je ne savais pas si j’étais « son mec » ou « un pote » aux yeux de ses camarades du judo. Je ne savais pas comment me positionner.

"Je n'en souffrais pas, mais..."

Nous avions une vie très chouette tous les deux. Nous passions du temps ensemble, nous voyagions. Il était dans le placard et ça ne me gênait pas. Maintenant à postériori, je me demande si ça nous a éloigné. Je n’en souffrais pas alors je ne l’ai jamais confronté.

Si je l’avais fait, nous ne nous serions pas disputés, mais je pense que la discussion n’aurait abouti sur rien. Cette « placardisation » fait sûrement partie des nombreux sujets sur lesquels nous n’avons pas assez communiqué et qui ont provoqué notre rupture… Même si je ne m’en rendais pas compte à l’époque, par contraste, je vois bien aujourd’hui, avec mon nouveau mec, que c’est plus agréable d’avoir une vraie existence auprès de l’entourage de la personne que l’on aime. »

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*Les prénoms ont été changés...