Abo

sportQuel rôle pour les personnes LGBTQI+ sur la scène skate française ?

Par Tessa Lanney le 01/10/2021
skate parc

Être LGBTQI+ reste l’un des grands tabous du monde du sport, en particulier dans les sports urbains. Le skate ne fait pas exception et pour cause : le manque de représentations n’encourage pas les personnes LGBTQI+ à se faire une place sur les rampes des skate parks.

“Pour moi, les skateurs, c’étaient seulement des délinquants”, se remémore Clément, qui a commencé le skate il y a un an et demi. Longtemps considéré comme un milieu fermé, ce sport dégage encore une image qui a d’abord rebuté l'ado non-binaire de 15 ans. Comme si ce sport était la chasse gardée de jeunes blancs cisgenres et hétérosexuels. Pas facile, de s'y sentir à l’aise lorsqu’on ne remplit pas toutes les cases de la masculinité dans sa vision traditionnelle.

Clément, bien connu sous le pseudo @kuremento_desu, ne cache ni son identité, ni sa pansexualité. Sa maîtrise de nombreuses figures oldschool qui sortent de l’ordinaire, lui vaut le respect de ses pairs sur les spots de Grenoble. Depuis ses débuts, son opinion sur la communauté skate a grandement évolué : “Je pense que la communauté est superbe ! Il y a seulement un petit pourcentage qui m’agace : ceux qui se croient tout permis juste parce qu'ils font du skate.” Le skate demeure pour iel le moyen d’expression par excellence et lui procure une liberté sans égale. “Quand on accomplit un nouveau trick ou un gap, on a une sensation tellement unique que ça devient presque une drogue.”

La marge mais des tabous

Mais claquer un tre flip (la planche fait un 360 tout en tournant sur elle-même) par-dessus des marches ne protège pas des remarques homophobes. “On m’a déjà demandé si je faisais 'la femme ou l’homme'” relate-t-iel amèrement. D’autres fois, ce sont des regards de dégoût qui accueillent son maquillage. Le skate, sport underground par excellence a toujours mis en avant l’originalité, la différence, les styles à la marge. Mais dès que l’on parle d’homosexualité, les tabous persistent.

“Il y a encore beaucoup de choses à faire évoluer, notamment en termes de sexisme”

Un vécu qui n’est pas sans rappeler l’expérience de Noémie, 20 ans, qui se définit comme lesbienne butch. Son style est affirmé et plutôt masculin : “Dans l’espace public, en général, on me demande toujours si je suis une femme ou un homme”. Bien qu’appréciant la culture skate et se laissant volontiers influencer par ses icônes, la skateuse reste persuadée “qu’il y a encore beaucoup de choses à faire évoluer, notamment en termes de sexisme”.

Au skatepark, Noémie remarque que l’espace est réparti de façon inégalitaire et que c’est souvent aux femmes qu’on demande de se pousser. Des petites violences du quotidien, parfois davantage visibles : “Dans le skatepark où je vais, il y a un tag 'mort aux féministes', et il n’a jamais été recouvert”. Ajoutez à cela quelques remarques homophobes entendues ici et là, et vous comprendrez la difficulté à s’imposer à ses débuts.

“Sans les rencontres Tinder, je n'aurais jamais commencé le skate”

Depuis, elle a intégré un groupe de skateuses strasbourgeoises. Elles se retrouvent pour chaque session, s’entraident et progressent dans un esprit de partage. Avec elles, Noémie n’hésite pas à parler de sa copine, même si l’orientation sexuelle n’est pas au centre des débats. “Chez les femmes, on retrouve beaucoup de LGBT mais on n’en parle pas trop entre nous, et on n’en parle pas ouvertement. Chez les hommes, je trouve que c’est complètement tabou, comme le sport en général qui est un domaine lgbtiphobe.” En revanche, point de confidences à ses comparses masculins. Noémie ne se considère donc pas vraiment out dans la communauté skate : “J’appréhende toujours un peu ce moment où je risquerais d’en parler”. Car parler, c’est risquer les remarques lesbophobes redoutées.

Un témoignage qui n'est pas sans rappeler l'histoire de Bagdad, l'héroïne de "Je m'appelle Bagdad", film solaire de Caru Alvez de Souza, dans les salles le 2 juin prochain. Cette skateuse de Sao Paulo de 17 ans, habituée à pratiquer sa passion avec des hommes, voit sa vie changer le jour où elle rejoint une bande de skateuses.

A LIRE AUSSI : Voici les trois villes finalistes pour l’édition 2026 des Gay Games

Skateurs et butchs

À l'inverse, c’est la vie amoureuse d’Éléonore, lesbienne également, qui l’a poussée à commencer le skate. Et pour cause, la jeune femme de 23 ans, qui avait toujours voulu se lancer sur une planche, s’est enfin décidée pour impressionner un date Tinder. Échec total. Elle passe donc à autre chose mais persévère sur la voie du skate. “Je pense que sans les rencontres Tinder j'aurais jamais commencé le skate, avoue-t-elle. Ça m'a aidé aussi à m'affirmer dans mon identité de lesbienne, à être fière. Même si la plupart de ces filles m'ont mis des gros 'vu' en fin de compte, je suis très reconnaissante.”

Pour elle, il y a une forte correspondance entre le style vestimentaire des skateurs et celui des butchs et soft butchs.Je dirais que la pratique du skate m'a poussé à mettre des habits plus larges, confortables, plus androgynes.” Finalement, elle retrouve bon nombre des codes du skate dans la communauté LBGT : “Le skate est beaucoup repris dans le gay Tiktok. Ce n’est pas encore idéal mais j’ai l’impression qu’on est de plus en plus représenté.e.s.”

Mais en dehors des réseaux sociaux, sa pratique du skate reste assez solitaire. Elle éprouve les mêmes appréhensions que Noémie à l’abord des spots dominés par la gente masculine. “Dans les espaces de skate à Paris (République, Palais de Tokyo) ou place de l'opéra à Lyon, il n'y a vraiment aucune fille. C'est chaud, je ne sais pas où on est passées”, déplore-t-elle. Alors que les femmes ont toujours occupé la scène skate, dans l’imaginaire collectif elles demeurent les grandes absentes. Éléonore entend souvent les skateurs se réjouir que les filles se soient mises au skate dernièrement, ce qui a tendance à l'agacer : “Des filles, il y a en plein, et depuis ultra longtemps, Rachelle Vinsberg, Charlotte Hym et j'en passe.”

"Betty"

Pour pallier ce manque de visibilité, Noémie et Éléonore se sont raccrochées à des modèles féminins qui leur correspondaient. “J'ai réussi à trouver mes représentations féminines surtout à travers des univers queer. Je pense surtout à la série Betty (OCS) ou encore le film qui reprend l’univers de la série, Skate kitchen, partage Éléonore. Betty revient également dans la bouche de Noémie : “Ça parle d’un groupe de meufs LGBT qui skate à New-York.”

La série met en lumière un florilège de femmes fortes, qui se battent pour leur indépendance et doivent faire leurs preuves pour s’imposer dans un espace dominé par les hommes. Une intrigue qui se rapproche de la réalité vécue par Éléonore et Noémie. Le casting réunit d’ailleurs de vraies athlètes, dont le niveau fait rêver bon nombre de skateuses. Betty, c’est aussi une grande sororité, des histoires d’amour entre femmes, des râteaux, et beaucoup d’humour.

"Je m'appelle Bagdad"

Dernièrement, le monde du skate a accueilli une autre œuvre de fiction, bien loin d’une série aussi queer que Betty, mais qui ne respire pas l’hétérosexualité à plein nez. Le nouvel anime Skate the infinity ne met en scène aucune relation homosexuelle à proprement parler, mais plusieurs bromances. L’un des personnages principaux, Langa, se fait par exemple longuement courtiser par Adam (Shindō Ainosuke), qui règne en maître sur les courses de skate clandestines rythmant l’anime. Ce dernier est d’ailleurs bien décidé à faire de Langa son “Eve”, l’entraînant dans des danses endiablées vêtu d’un costume de torero de l’amour.

A LIRE AUSSI : VIDÉO. Un trailer touchant pour « Steelers », le docu sur l’équipe de rugby gay-friendly de Londres

Aucune représentation

En France, il est bien plus difficile de trouver des personnages publics ou fictifs à qui s’identifier. “On n’a vraiment aucune représentation, regrette Noémie. Et en général, peu de sportifs sont out". À l’inverse, aux États-Unis où la culture skate est le plus ancrée, de plus en plus de skateurs s’affichent ouvertement comme faisant partie de la communauté LGBT. En 2016, ce n’est autre que la légende Brian Anderson qui a été le premier pro à faire son coming out à 40 ans. Un véritable coup de pied dans la fourmilière des sports urbains.

Car Brian Anderson, ce n’est pas n’importe qui. Outre une gamme de chaussures à son nom chez Nike SB, sa carrière a surtout été marquée par de nombreuses victoires comme la World Cup of Skateboarding. Il a même été élu skateur de l’année par le magazine Thrasher en 1999, une consécration. Pendant longtemps, impossible pour lui de se livrer sur son homosexualité sans craindre le rejet. Aujourd’hui, son couple est sorti de l’ombre et la star du skate s’affiche volontiers au bras de son mari, Andrew.

En prenant la parole, Brian Anderson a grandement contribué à faire évoluer les mentalités et ouvert la voie à d’autres sportifs urbains. On pense notamment à Stephen Ostrowski, qui apparaît dans le court-métrage Blue Like You, dans lequel le photographe Tom Kneller essaye de donner au skate une image plus inclusive pour inspirer les jeunes générations. Léo Baker est aussi connu pour s’être affranchi des normes de genres. Non-binaire, il considère que le skate s’est bâti sur la désobéissance et que c’est cette non-conformité qui le rapproche de la philosophie queer. Pour autant, dans les sphères plus codées comme les skateparks ou sur les compétitions, il avouait à Nike qu’il se sentait comme un “extraterrestre”.

Aux USA, des skateur.ses LGBT en pleine lumière

Pour augmenter la visibilité des personnes LGBT, Stephen Ostrowski, Léo Baker mais aussi Cher Strauberry, skateuse, musicienne et artiste, se sont réunis pour créer en novembre 2020 la marque Glue skateboards. À cette occasion, ils ont sorti l’édit SMUT dans lequel la team déploie des figures techniques et engagées tout en assumant un côté décalé. On y voit par exemple une skateuse se faire une injection d’hormones dans la cuisse. Cher Strauberry fait aussi partie du mouvement Unity Queer Skateboarding, un collectif de skate queer créé par Jeff Cheung et originaire de San Francisco. Il milite pour une pratique du skate égalitaire et sûre pour tous, sans distinction de genre, d’identité, d’orientation sexuelle ou encore de couleur de peau.

Marbie Miller, plus connue sous le nom de Marbie Princess, fait également partie du collectif. Celle qui a fait son coming out pan puis transgenre jouit aujourd’hui de la reconnaissance de marques éminentes comme Krux, There Skateboards ou encore Nike SB. Elle dispose aussi d’une forte communauté qui se retrouve dans son parcours. Même si la skateuse pro fait partie des meilleurs de sa génération, elle a connu des inquiétudes similaires à celles de Clément, Noémie et Éléonore. Après sa transition, elle n’osait plus aller dans les skateparks et a essuyé les moqueries de nombreux adolescents. Elle avait le privilège de pouvoir s’imposer par le talent.

“C’est hyper important les groupes de sport militants !”

Pour Noémie, en France, il y a une “invisibilisation des personnes racisées et LGBT. Personne ne les encourage à faire du skate”. Si les Américains ont Unity, les skateurs LGBT français ne peuvent  pas compter sur ce genre d’associations. “C’est hyper important les groupes de sport militants !”, défend Noémie. Mais Clément se montre pessimiste : “Le skate ne mettra pas en avant la communauté LGBT, c’est pratiquement sûr.”

Ce qui peut sembler étonnant, c’est qu’on ne retrouve pas ce tabou dans le roller derby par exemple, qui est représenté par la même fédération que le skate. Le sport est davantage connu pour intégrer un grand nombre de personnes homosexuelles. Le roller dispose même d’associations LGBT comme Les Enrolleres, première association gay et lesbienne d’Europe.

A LIRE AUSSI : Homophobie, sexisme… : cette enquête qui ternit la préparation des JO 2024 à Paris

Texte : Tessa Lanney - Crédit photo : Hello I'm NikUnsplash