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Netflix"Halston" sur Netflix : Ewan McGregor impérial en légende de la mode

Par Renan Cros le 14/05/2021
halston sur netflix

La nouvelle production de Ryan Murphy pour Netflix réveille le fantôme d’un des créateurs iconiques de la mode américaine des années 1970, Roy Halston Frowick. Un biopic crépusculaire et sexy sur l’art, l’argent et le sexe. Hot et bouleversant.

Qu’on aime ou qu’on déteste son style féroce et clinquant, ce qu’accomplit Ryan Murphy depuis quelques années dans la pop culture est impressionnant. De la folie romantique de l’infirmière lesbienne de Ratched à la réécriture « over the rainbow » de l’histoire du cinema dans Hollywood, en passant par la relecture d’un classique trop oublié du théâtre américain (The Boys in The Band), Ryan Murphy propulse des histoires queer, réhabilite des icônes gay (Rock Hudson), met en lumière des mondes trop souvent mis à la marge, en plein cœur du plus mainstream des tuyaux de la pop culture : Netflix. Halston, son nouveau bébé qu’il chapeaute comme producteur et co-scénariste, prolonge cette entreprise d’une manière étonnamment bouleversante et personnelle.

Récit de l’ascension et de la chute de Roy Halston Frowick, créateur de mode devenu un nom, un empire et un beautiful people des années 1970, la série en cinq épisodes file à toute allure en collant aux basques de son héros mi-Narcisse, mi-Faust. Hautain et génial, la cigarette toujours fumante, Halston va façonner la mode américaine, aidé dans son ascension par Jackie Kennedy puis Liza Minelli (énorme performance de Krysta Rodriguez, plus Liza que Liza). Mais surtout – et c’est ce qui fascine ici – être l’un des premiers créateurs à se vendre comme une marque aux grands groupes et à s’industrialiser massivement. L’artiste peut-il cohabiter avec l’industrie ? La créativité peut-elle survivre à l’argent ? Que reste-t-il de soi quand on a vendu son nom ? 

Auto-portrait de Ryan Murphy

On attendait un récit clinquant et camp, Halston se dénude soudain en élégie pop et mélancolique. Mais surtout, un récit à double lecture – volontaire ou non. Difficile de ne pas voir derrière l’histoire de ce créateur génial, adulé pour son audace, soudain inquiet et prisonnier d’un grand groupe qui le pressurise pour créer toujours plus, le portrait de l’empire Murphy dans les mains de Netflix. On jubile de lire les scènes de tractation financières et artistiques comme un récit cathartique pour le créateur-producteur.

Mieux encore, on imagine Ian Brennan – âme damnée et co-scénariste de Murphy depuis ses débuts – jubiler de faire ici le portrait déguisé de Murphy lui-même en créateur au nom tout puissant, entouré d’un essaim de collaborateurs et collaboratrices vivant sous la coupe de son ombre. La trajectoire de cet Halston, des couloirs feutrés de son atelier au dancefloor virevoltant du Studio 54 (la reconstitution donne furieusement envie de faire la fête), du fils à maman au tyran auto-destructeur, prend alors une teinte ironique, à la fois terriblement amère et tendre. Comme Bertrand Bonello filmant Yves Saint Laurent en vampire épuisé dans Saint Laurent, Halston imagine le créateur et son entourage comme des damnés dont le miroir ne renvoie plus aucun reflet. Ne leur reste aux murs, que les portraits d’eux par Warhol. La pop culture avale tout, même les âmes.

Halston, hot as hell

Dans le rôle-titre, Ewan McGregor donne une leçon à ceux qui soutiennent que seul un acteur gay peut composer un tel personnage. Quelque part entre la Norma Desmond de Sunset Boulevard et un David Bowie déprimé, il impose et compose un Halston plus grand que nature, à la fois monstrueux et fragile. Drapé dans de grand manteau monochrome, il pousse la caricature à l’extrême comme un masque qui, d’épisodes en épisodes, finit par tomber. Il est phénoménal.

Surtout, l’acteur joue d’une sexualité magnétique, d’un regard entre prédateur et proie qui fascine autant qu’il met mal à l’aise. N’occultant aucune zone d’ombre du personnage – sa violence, sa fétichisation sexuelle raciste, ses addictions – la série filme le sexe comme une extension du pouvoir et de l’argent. Une sorte d’état des lieux des 70’s – puis de la bascule terrible des 80’s et l’arrivée du sida – où la liberté disco se mue petit à petit en terreur cold waves. Le chic comme une arme qui finit par se retourner contre vous.

> Halston, disponible dès ce vendredi 14 mai en intégrale sur Netflix.

Crédit photo : Netflix