Dans un plaidoyer vibrant pour la réouverture des terrasses des bars ce mercredi 19 mai, les équipes de plusieurs lieux queers à Paris et ailleurs nous rappellent pourquoi il est primordial pour les personnes LGBTQI+ de disposer d'endroits de ralliement, safe et festifs.
Le processus de réouverture des lieux de convivialité gays, lesbiens, queers, friendly, est enfin enclenché en France. C’est encore timide, prudent, les accolades avec cent personnes différentes ne sont pas encore pour tout de suite, mais pour des établissements comme les nôtres, la réouverture des terrasses le 19 mai est déjà une immense bouffée d’air.
Responsables de lieux comme client·es : on craque. Rentrer chez soi directement après le boulot pour le millième soir d’affilée, sans cette pinte magique après une journée sous pression. Voir tout le temps les mêmes quatre ou cinq ami·es. S’asseoir autour d’une table de cuisine et rester éveillé·es des nuits entières à ressasser les mêmes choses. Mélanger partouze, apéro, petit déjeuner. Ratisser les réseaux sociaux en quête de nouvelles polémiques et patauger dans sa colère. Faire son coming-out et devoir rester à moins d’un kilomètre du placard. Voir passer sa jeunesse. On pourrait croire qu’il n’y a que l’ennui. Mais pour des populations minoritaires, souvent marginalisées, les dégâts sont bien plus importants.
"L’épisode que nous traversons depuis mars 2020, c’est comme si Netflix et Grindr avaient gagné."
Dans le milieu gay et lesbien, les analyses de bout de comptoir pointent depuis les années 2000 le rôle des sites de rencontre et de la VOD dans la baisse de fréquentation des bars et des clubs. L’épisode que nous traversons depuis mars 2020, c’est comme si Netflix et Grindr avaient gagné. Et c’est un monde qui ne fait pas envie. Il est vital pour les gays, les lesbiennes, les personnes trans, inter, non-binaires, queer, de pouvoir rencontrer des gens comme nous, dans des lieux faits pour nous. C’était déjà le cas en 1969 lorsque des habitué·es du Stonewall se sont soulevé·es contre le harcèlement policier et c’est encore le cas aujourd’hui : nos lieux doivent être protégés.
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Même si les discriminations reculent, même si certains de nos combats collectifs ont été gagnés, la famille, le travail, le divertissement, l’espace public, restent des espaces où la majorité prime, où c’est sa vision du monde qui est privilégiée, ses priorités mises en avant, et où certain·es d’entre nous se sentent en danger, ou tout du moins jamais vraiment à leur place. Nous venons de traverser une période où 100% des lieux publics où nous pouvons vraiment être à l’aise en société - les établissements commerciaux, bien sûr, mais également l’ensemble du tissu associatif - nous étaient inaccessibles.
"Nos lieux sont les mieux placés pour apporter un espace où nous pouvons être qui nous sommes vraiment."
Aucun espace n’est totalement safe car aucun n’est à l’abri des dynamiques à l'œuvre dans la société, mais nos lieux sont les mieux placés pour apporter un espace où nous pouvons être qui nous sommes vraiment. C’est aussi chez nous et autour de nous que naissent les rencontres amoureuses, amicales, militantes, artistiques, et les conneries les plus fun. À travers nos actions, notre programmation, mais aussi grâce à la spontanéité de nos client·es, c’est sur nos pistes de danse que débutent les futur·es grand·es DJs, sur nos scènes que s'épanouissent les queens et les kings, sur nos murs que s’exposent nos artistes émergents, sur nos zincs que s’échafaudent les grandes actions militantes. Tout ce qui rend notre société plus ouverte à la diversité, à d’autres imaginaires, d’autres futurs plus radieux, plus rainbow, prend racine entre nos murs.
L’État et les collectivités locales ont une responsabilité, celle de ne pas nous laisser mourir mais aussi celle de nous faciliter la vie sur le long terme. Ouvrir et tenir un établissement ne devraient pas être un sacerdoce. Le queer est à la mode et nos publics sont de mieux en mieux accueillis dans beaucoup d’endroits. C’est une bonne chose, mais les modes changent et nous serons toujours là. Il faut des lieux imaginés et montés par nous, pour nous, ouverts à toutes les personnes qui partagent nos valeurs, et que les nouvelles générations aient l’envie et les moyens de se lancer dans cette aventure. Le monde d’après n’est pas encore pour demain comme on l’aura bien compris depuis un an. Mais quelle joie de pouvoir à nouveau se dire “on se voit cette semaine autour d’un verre” !
L’équipe d’à la folie paris (Paris) http://alafolie.paris
Albane & Miad / Velvet Moon (Montreuil)
Isa Favotte & Olivier Rey / Le lavoir Public (Lyon)
Frédéric Nicod / M’sieurs Dames (Paris)
Zouzou Auzou / Rosa bonheur,Buttes Chaumont (Paris)
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Crédit photo : à la folie Paris