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Marche des fiertésMarche contre l'homophobie annulée à Tours : les coulisses du recul

Par Marie-Pierre Bourgeois le 20/05/2021
centre lgbt de tours

Une marche contre l'homophobie annulée, les bénévoles du centre LGBT de Tours menacés de mort sur fond de débat autour de la non-mixité… Retour sur une affaire qui a fait les choux gras des réseaux sociaux et abîmé des militants.

« Tout cela est un sacré gâchis qui montre que l’homophobie est une lutte encore quotidienne ». C’est par ces quelques mots que Johan Yagger, co-président du centre LGBTI de Touraine, résume la polémique qui a l'a concerné la semaine dernière sur les réseaux sociaux et sur une partie des plateaux télévisés.

Rembobinons l’histoire. A l’approche de la journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie du 17 mai, le centre LGBTI de Touraine décide d’organiser une marche le samedi 15 à Tours. Une manifestation qui se veut dans un esprit de « bienveillance, de non-violence et de sensibilisation », expliquent alors ses militants sur leur site Internet.

Une "non-mixité" au ton rêche

Quelques jours après l'annonce de l'événement, le compte Instagram du centre partage une story du collectif anti-raciste de Tours, partenaire de la manifestation à venir. On peut y lire les propos suivants : « Un cortège en non-mixité est prévu pour les personnes LGBT+ racisées (…) La non-mixité n’est en aucun cas négociable et toute personne blanche qui essaiera de s’incruster dans ce cortège se fera cordialement (ou non) dégager. » La question de la non-mixité au sein d’une partie du cortège a beau faire l’unanimité au sein des organisateurs – « La communauté LGBT n’est pas exempte de racisme et nous souhaitons être des alliés », y assume-t-on –, la rudesse du ton employé ne convient pas aux bénévoles, qui suppriment finalement le partage.

"Il ne faut rien y voir de plus qu’une maladresse"

« Nous avons partagé cette communication dans l’effervescence de l’organisation de la marche, sans bien lire son contenu. Quand nous avons vu qu’il ne correspondait pas à  l’atmosphère d’accueil que nous voulions donner à la marche, nous l’avons dépublié à peine deux heures plus tard. Il ne faut rien y voir de plus qu’une maladresse », explique aujourd'hui Johan Yagger à TETU. Et d’assurer : « Avant même cette publication, nous avions déjà prévu de faire une sorte de foire aux questions qui permettrait de répondre aux interrogations autour de la non-mixité. L’idée était d’expliquer que cette marche était ouverte et qu’il n’y aurait évidemment pas de contrôle pour entrer dans cette zone, que chacun et chacune pourrait faire les choses à sa façon afin de se sentir à l’aise. »

Un ancien de l’association le dit autrement : "Il y a eu beaucoup de changement parmi les bénévoles ces derniers temps, et les nouveaux sont moins habitués à gérer leur communication. Mais il faut aussi dire qu’il y a des événements en non-mixité au sein du centre depuis son lancement il y a une quinzaine d’années, et que cela n’a jamais fait polémique”. Sauf que là, quelques heures après la bourde, le site identitaire FdeSouche s’empare du sujet, diffusant des captures d’écran de la publication effacée. Le lendemain, l’opposition locale s’engouffre dans la brèche, d’abord par la voix du conseiller régional Pierre Commandeur (LREM) qui se dit « sidéré », puis par le conseiller municipal de Tours, l'élu Olivier Lebreton (LR) dénonçant « une dérive discriminatoire [qu’il] regrette. »

Emballement et menaces

Rien de surprenant pour le centre LGBT de Tours. « Quand je lis les mots de la publication que nous avons partagée, je ne suis pas étonné des réactions. Forcément, il ne peut y avoir que des réactions négatives face à ce message qui est éloigné des valeurs que nous défendons », constate ainsi Johan Yagger. Très vite, la situation s'emballe sur les réseaux sociaux. Des émojis hostiles, des menaces de « casser les jambes aux manifestants » ou de venir « armé de boucliers en tête de cortège le jour de la marche », des insultes homophobes… Un raid numérique en règle s’abat sur la communauté de bénévoles.

"Si nous ne soutenons pas le droit des minorités à créer des espaces où elles peuvent exprimer leur ressenti, je ne sais pas qui va le faire"

Le maire Europe Ecologie-Les Verts de Tours, Emmanuel Denis, finit par s’exprimer sur Twitter : « Face à la polémique instrumentalisée par l’extrême-droite et relayée par la droite locale, je renouvelle toute ma confiance au centre LGBT de Tours et dénonce les menaces de mort dont il est l’objet. La marche de samedi sera ouverte et inclusive. » Sous le couvert de l’anonymat, un membre de la majorité municipale regrette auprès de TETU un « soutien tiède ». « Nulle part dans les déclarations du maire n’apparaît un soutien au principe de non-mixité. Je sais bien qu’il y a une tendance à taper sur toutes les mairies écolos en ce moment mais si nous ne soutenons pas le droit des minorités à créer des espaces où elles peuvent exprimer leur ressenti, je ne sais pas qui va le faire. » L'atmosphère se tend encore un peu plus quand des médias nationaux s’emparent du sujet : CNews, BFMTV, Quotidien sur TMC…

Dépassé par l’ampleur que prend l’affaire, le centre LGBT commence alors à s’interroger sur l’opportunité de maintenir la marche, d’abord par peur de ne pas pouvoir assurer la sécurité des participants. « Nous avions bien sûr déclaré la manifestation et nous étions responsables légalement de son déroulé. Nous avions prévu un service d’ordre non-violent et bienveillant, très loin des menaces de mort des réseaux sociaux. » La préfecture d’Indre-et-Loire, soutenant la marche, se dit alors « prête à mettre les moyens nécessaires pour assurer la manifestation ».

Pressions et écoeurement

Mais les bénévoles se posent aussi des questions sur l’avenir de l’association, notamment financier. Sophie Elizéon, la déléguée interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), qui finance régulièrement le centre, fait clairement passer le message d'une désolidarisation. "Avoir une approche qui consiste à présupposer de la couleur de peau d'une personne à sa place et à supposer du vécu que cette personne aurait pu avoir au regard de cette supposée couleur de peau, c'est une approche raciste", déclare-t-elle à France Bleu Touraine. En filigrane se pose aussi la question du soutien de la mairie de Tours, l’un des principaux financeurs du centre LGBT, auquel elle a par exemple récemment trouvé de nouveaux locaux. Et si la municipalité les lâchait aussi ?

"Les risques de maintenir la marche nous semblaient à la fois trop grands pour la sécurité des manifestants mais aussi pour l’avenir de l’association"

La mort dans l’âme, le centre LGBT finit par décider d’annuler purement et simplement la marche. « Les risques de maintenir la marche nous semblaient à la fois trop grands pour la sécurité des manifestants mais aussi pour l’avenir de l’association. » Mais a-t-il reçu des pressions explicites de la part d'une mairie écologiste soucieuse d’éviter une nouvelle polémique, sur fond de bashing anti-maires EELV, comme nous le laissent entendre plusieurs militants ? Non, nous affirme le centre LGBT, qui assure avoir été en “dialogue constant avec le directeur de cabinet” d’Emmanuel Denis. La municipalité se refuse quant à elle désormais à tout commentaire officiel.

« Depuis que nous avons annulé la marche, les menaces se sont calmées », nous rassure aujourd'hui Yohan Jagger. Pas question d’ailleurs de renoncer à l’organisation de la Marche des fiertés, prévue à Tours le 19 juin. L’épisode laissera toutefois des traces parmi les bénévoles, dont l'un conclut : “Aujourd’hui, je me demande quel est le sens de mon engagement militant si les meilleures intentions du monde peuvent être autant traînées dans la boue…”.

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Crédit photo : Centre LGBTI de Touraine