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militantismeDe Lyon à la Vendée, dur pour les LGBTQI+ de militer dans des bastions de la Manif pour tous

Par Nicolas Scheffer le 10/05/2021
Manif pour tous

Face aux discours conservateurs, aux militants parfois violents voire aux politiques locaux acquis à LMPT, les militants LGBTQI+ témoignent du chemin de croix de militer sur les terres de la Manif pour tous.

Pas moins de 350 personnes étaient réunies à Lyon, samedi 24 avril, pour une marche lesbienne. Mais plusieurs dizaines de militants d'extrême droite sont venus perturber la manifestation, munis de barres de fer et jetant des projectiles. Après avoir fait usage de gaz lacrymogène, la police est finalement parvenue à disperser les "contre-manifestants", identifiés comme proches de la Manif pour tous (LMPT).

En 2021, militer pour les droits des personnes LGBTQI+ en France n'est toujours pas une sinécure. En particulier dans les forteresses où la Manif pour tous s'est repliée après avoir perdu ses batailles nationales. Faute de parvenir à rallier une majorité de Français, l'association d'inspiration chrétienne s'y active différemment. Entre intimidations physiques, processions religieuses et manque de soutien politique, militer dans ces fiefs pour les droits LGBTQI+  s'apparente à un chemin de croix.

A Lyon, "des groupuscules neo-fascisants"

"Il y a un lien évident entre les fachos qui ont essayé de nous attaquer et la Manif pour tous", nous assure Lise (prénom modifié), militante des Lesbiennes contre le patriarcat, à l'origine de la marche lyonnaise. La militante dit avoir reconnu des individus qu'elle avait déjà croisés lors de la manifestation "Marchons enfants" organisée par LMPT contre la PMA pour toutes. "Ce sont les mêmes qui nous ont agressées alors qu'on faisait une contre-manif pacifique. Il y a des membres de Génération identitaire et de l'Action française dans le service d'ordre de la Manif pour tous à Lyon", égrène-t-elle encore.

Fin janvier, Rue89 Lyon a pu voir dans le cortège de "Marchons enfants" des bras levés correspondant à des saluts nazis. Le media lyonnais a également pu y reconnaître, notamment, un habitué d'une salle de boxe dédiée à l'activisme de l'ultra-droite. "Depuis la dissolution de Génération identitaire, des actions ont été menées par des groupuscules neo-fascisants pour s'en prendre à des militants de gauche", confirme la mairie écologiste auprès de TÊTU. Malgré cela, "il n'y a pas eu d'interpellation lors de la manifestation du 24 avril", indique la préfecture du Rhône

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Sur les sujets LGBTQI+, le maire Grégory Doucet souhaite se démarquer de son prédécesseur, Gérard Collomb, qui s'était affiché avec des soutiens LMPT. "En juin, le maire va apporter son soutien aux associations", nous assure-t-on désormais, sans plus de précisions toutefois. Un besoin vital, alors qu'on ne peut pas être soi-même partout dans Lyon. "Pendant des années, la marche des Fiertés a évité le quartier du Vieux Lyon (particulièrement fréquenté par des groupes d'extrême droite, ndlr) où il y a eu des conflits avec des assos LGBTQI+, nous indique la mairie écologiste. Ce n'est pas supportable, qu'il y ait des zones où les personnes LGBTQI+ ne puissent pas défiler." Réponse de la préfecture, en forme de balayage : "Les grands rassemblements évitent le Vieux Lyon pour des raisons de sécurité, car les rues y sont étroites contrairement à d'autres artères".

La Vendée de De Villiers

À 600 kilomètres de là, La-Roche-sur-Yon. "La Vendée est un territoire pas facile, avec une histoire compliquée liée à la tradition catholique", décrit Sébastien Verhenneman, président du Centre LGBTQI+ du département. En mai 2019, cinq étudiants avait été condamnés en première instance à deux mois de prison avec sursis et des heures de travail d'intérêt général, pour s'en être pris au stand du centre LGBTQI+ de Vendée lors de la journée mondiale de lutte contre l'homophobie et la transphobie. Une dizaine de personnes, dont certaines arborant des sweat-shirts à l'effigie de LMPT, avaient par ailleurs traversé le village en scandant "homo-folie, ça suffit !". Après avoir été bousculées par les étudiants, deux victimes avaient reçu huit et dix jours d'interruption totale de travail (ITT).

Contre toute attente, la cour d'appel de Poitiers a totalement relaxé les mis en cause. "Cette décision est évidemment décevante. Elle témoigne du manque de formation de la justice au pays du conservateur Philippe de Villiers", pointe Sébastien Verhenneman. Le fondateur du Puy-du-Fou est particulièrement connu pour son hostilité viscérale aux avancées des droits LGBTQI+. Ainsi, dans une interview à Valeurs actuelles en 2019, la figure politique locale ne mâche pas ses mots : "Ces apprentis-sorciers du 'Parent 1 – Parent 2' n’ont pas compris que le grand élan de ferveur nationale que l’on observe dans les pays de l’Est peut être comparé aux manifestations qui se sont déroulées en France contre le mariage homosexuel (sic). Dans les deux cas, il s’agit d’un sursaut qui intervient au moment où le peuple se rend compte qu’il est en danger existentiel".

"Mes voisins ne souhaitent même pas me dire bonjour parce que j'ai un enfant issu d'une GPA..."

Dans son dernier livre dont il assure largement la promotion sur les plateaux télé, l'ancien député raconte un dîner avec Brigitte et Emmanuel Macron pendant lequel il aurait tenté de les convaincre de renoncer à la PMA pour toutes. "Lorsque votre figure locale, c'est Philippe de Villiers, ça envoie un message. Mes voisins ne souhaitent même pas me dire bonjour parce que j'ai un enfant issu d'une GPA...", déplore le président du Centre LGBTQI+ de Vendée.

A La-Roche-sur-Yon, la première marche des Fiertés a pu se tenir le 10 octobre dernier. "C'était important pour nous de montrer qu'il y a des personnes LGBTQI+ en Vendée et qu'il y a une alternative au discours porté par les conservateurs, appuie Sébastien Verhenneman. Mais quand on manifeste pour la PMA pour toutes, en face, les opposants font des retraites aux flambeaux avec des gros cierges qui ressemblent à des processions…". Michèle Jossier, conseillère municipale de La Roche-sur-Yon en charge de lutte contre les discriminations, assure n'avoir jamais vu de telle procession dans sa ville. Elle dit regretter "à titre personnel" la relaxe des étudiants homophobes, qui selon elle "ne représentent que quelques individus". Est-ce un hasard, s'ils étaient étudiants de l'Institut catholique de Vendée, fondé par... Philippe de Villiers ? Quoi qu'il en soit, ils ont été exclus de l'école.

Compiègne, "ville amie" pour Ludovine de la Rochère

"À Compiègne, notre discours à une vraie résonance. C'est une ville amie. Il est important de venir encourager les Compiégnois et leurs élus. Regardez comme ils sont nombreux, toutes ces familles. Ici, il y a une vraie conviction", déclamait en octobre Ludovine de la Rochère, l'égérie de LMPT citée par Le Parisien. Dans cette sous-préfecture de l'Oise (Hauts-de-France), quelque 300 personnes se sont rassemblées à l'appel de la Manif pour tous le 10 octobre. Parmi elles, de nombreux élus proches du maire, Philippe Marini (LR), qui affirme refuser de célébrer des mariages de couples de même sexe "par conviction personnelle".

En février, la ministre en charge de l'Égalite s'était rendue dans la cité picarde pour parler des discriminations que subissent les personnes LGBTQI+. À l'époque, le maire n'avait pas voulu se déplacer pour accueillir la ministre, refusant même de se faire représenter. "Je déplore que la mairie de Compiègne invisibilise les associations et les militants", écrivait Élisabeth Moreno sur les réseaux sociaux à l'issue de la visite. "Nous n'avons pas été conviés, j'ai appris dans le journal qu'elle était en déplacement chez nous", justifie auprès de TÊTU Françoise Troussel, adjointe à la communication.

Reste qu'à Compiègne, les militants LGBTQI+ témoignent de bien des difficultés pour militer. "Lorsque j'ai demandé à la mairie si je pouvais héberger notre association au sein de l'hôtel de ville, comme d'autres, j'ai reçu une fin de non-recevoir en 24 heures", regrette par exemple Claire Lequièvre, présidente de Clin d'œil. La mairie a tout de même subventionné l'association, "à hauteur de 200 euros sur les 1.500 que l'on a demandés en 2020". Là encore, Françoise Troussel assure : "On ne m'a jamais fait part de situation où des personnes ont été victimes d'homophobie à Compiègne". Avant d'ajouter : "À Compiègne, les gens vivent bien leur chose". Leur "chose", donc : peut-être le problème est-il dans cette vision de l'homosexualité…

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Crédit photo : Capture d'écran YouTube / Le Courrier de l'Ouest