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LGBTQI+Fête des pères et des mères : comment s'organisent les familles homoparentales

Par Stéphanie Gatignol le 28/05/2021
fête des mères

L'approche de la fête des pères (ce dimanche 20 juin) après celle des pères pose des enjeux spécifiques dans les familles à deux papas ou deux mamans. Comment faire pour que le collier de pâtes fabriqué à l'école ne vienne pas perturber l’équilibre familial ? D’après nos témoins, ça se passe plutôt bien !

Céline et son épouse s’en sont "mordu les doigts". Lorsque leur fille était en grande section de maternelle, elle est revenue de l'école avec un seul cadeau pour la fête des mères (cette année, c'est le 30 mai) ; le second avait été prévu… pour la fête des pères (en 2021? c'est le 20 juin). Et voilà leur petite placée dans une situation impossible, qu'elles n'avaient pas anticipée : "Elle ne savait pas à qui le donner et ce dilemme l’a placée dans une situation hyper compliquée".

C'est pour qui, le collier de pâtes ?

Après cette déconvenue, les deux mamans ont expliqué à la maîtresse combien cette organisation les avait mises en difficultés. Tout semblait avoir été compris mais lorsque leur fils s’est retrouvé avec la même institutrice quelques années plus tard, "elle nous a refait la même !", tempête Céline qui l’a "très mal pris". "Comme elle nous connaissait et que le sujet avait déjà été évoqué, nous ne pensions pas devoir y retourner. Nous nous sommes reposées sur nos acquis et nous nous en sommes beaucoup voulu."

"Est-ce que j’offre mon cadeau à celle qui m’a portée dans son ventre, ou à l’autre ?"

Maladresse ou malveillance de la part de l’enseignante ? "Elle n’a pas pris soin d’être vigilante, elle n’en a pas fait l’effort alors qu’elle exerce dans une petite école de village où elle n’a qu’une classe à gérer, analyse la maman. Ça m’a démangé de lui offrir le livre La fête des deux mamans en guise de cadeau de fin d’année, pour qu’elle constate dans quelle confusion et dans quel désarroi elle a placé nos enfants."

La désinvolture de l'enseignante a en effet provoqué un malaise dans un moment censé n’être que joie et partage. "Elle soulevait des questions qui n’existent pas dans notre quotidien. Alors qu’il nous tient à cœur que tout le monde se sente bien dans notre famille, elle induisait une différenciation : est-ce que j’offre mon cadeau à celle qui m’a portée dans son ventre, ou à l’autre ?" Des questionnements que les deux mamans pensaient pourtant derrière elles : "A part dans un contexte médical ou lors de discussions bienveillantes, on nous demande rarement qui de nous deux est la mère biologique !"

Anticiper la fête des mères (et des pères)

Présidente de l’association Les enfants d’Arc en Ciel, Céline conseille toujours à ses adhérents d’anticiper et de discuter "de façon systématique" avec l’école afin de s’épargner cette désagréable expérience. D'ailleurs lorsque les précautions sont prises en amont, l’accueil semble plutôt de bonne volonté.

Aurélie*, qui confie avoir toujours eu "un désir viscéral d’enfant mais pas d’en porter un", n’a jamais voulu se faire appeler "Maman". a ne faisait pas écho en moi et c’était prendre le risque que je ne réponde pas quand mon enfant s’adresse à moi. Nous avons donc cherché le petit nom qui pourrait me coller à la peau." Pour Constance, la fillette de cinq ans qu’elle a eue avec Dominique, elle est donc "Baba", et la petite a pris l’habitude de lui remettre son présent le jour de la fête des pères.

Ce monde de fonctionnement, établi en concertation avec la directrice de la maison des assistantes maternelles, s’est perpétué dans l’école privée catholique où la puce est scolarisée. Et ce, sans poser le moindre problème."Je peux concevoir que cette formule puisse heurter d’autres femmes, concède Aurélie, mais moi, elle me va parfaitement. Mon titre de Maman n’est pas affecté, puisque je suis Baba et que cela convient à Constance. A partir du moment où elle est d’accord, nous le sommes aussi."

A chaque famille le choix de son système

Chez Vivian, 31 ans, papa de Mia et Lise, c’est une autre configuration. "Dès la naissance de notre première fille, mon mari et moi avions décidé qu’il me ferait un cadeau pour la fête des Mères et que je lui en ferai un pour la fête des Pères." Lorsque leur grande est entrée en maternelle, la maîtresse s’est préoccupée de savoir comment s’adapter à la géométrie familiale via le cahier de liaison. "C’est Mia qui a choisi et elle a prolongé le système que nous avions instauré."

"Il n’existe pas de formule qui marche à tous les coups, mais une réponse adaptée à des compositions familiales différentes"

Pour Vivian, ce compromis est raccord avec sa personnalité. "Je suis plutôt efféminé, je l’assume complètement au quotidien et, si l’on devait schématiser, je dirais que j’incarne plutôt la figure maternelle par mon style vestimentaire et mon caractère". Il se souvient néanmoins que cette organisation avait suscité une discussion quelque peu animée avec un couple d’amies lesbiennes. "Sur le principe, elles n’étaient pas très emballées par ces fêtes et elles avaient été un peu choquées d’apprendre que mon chéri m’offrait un cadeau pour la première. Pour elles, nous reproduisions un schéma hétéronormé. Je leur ai concédé que c’était le cas, mais un peu malgré nous et surtout, nous ne perpétuons pas l’idée qu’il faut forcément une figure plus féminine et une autre plus masculine pour bien grandir !"

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Depuis le poste d’observation que lui procure son association, Céline tient à apporter de la tempérance à ce débat. "Il y a des familles auxquelles le fait d’avoir un cadeau à la fête des mères et un à la fête des pères convient bien. C’est aussi important de le prendre en compte. Il n’existe pas de formule qui marche à tous les coups, mais une réponse adaptée à des compositions familiales différentes et à la façon dont chacun y conçoit sa place." En liberté, et en accord familial.

Faire de la pédagogie avec l'école

Quoi qu'il en soit, se concerter avec les enseignants pour s’entendre sur la bonne "stratégie" est un gage de sérénité de part et d’autre. D’autant que bien souvent, les instit "veulent marquer une attention mais ne savent pas forcément comment s’y prendre", constate Caroline, maman de jumeaux de 9 ans. "Chez ceux avec lesquels j’ai pu discuter, il y a plus de méconnaissance que la volonté de nuire".

"Les garçons se sont organisés comme ils le sentaient"

Pour Noah et Nathéo, scolarisés dans une école privée près d’Annecy, tout s’est toujours bien déroulé. Pour la fête des mères, chacun a fait son cadeau à l'une des mamans, sans avoir à se torturer les méninges pour choisir laquelle des deux. "Ils se mettaient d’accord et changeaient d’une année sur l’autre. Quand ils voulaient offrir tous les deux à chaque maman, ils confectionnaient leurs créations en double. Les garçons se sont organisés comme ils le sentaient."

Finalement, les garçons avaient bien du pain sur la planche, puisque la maîtresse avait aussi suggéré d’offrir à un présent pour la fête des pères à un homme qui comptait pour eux. "Nous avons toujours eu affaire à des enseignants qui s’adaptaient et qui étaient dans une démarche de discussion. Quand ils ont abordé en classe la façon de concevoir les bébés, ils nous ont demandé notre avis, ils voulaient savoir comment nous envisagions les choses."

Une tradition désuète… mais so cute !

En 2021, les mamans sont à l’honneur le 30 mai, les papas le 20 juin. Et aucun des parents rencontrés ne boudera son plaisir de recevoir des poèmes, des porte-clés artisanaux, des cendriers en pâte à sel et autres surprises "made in love" dont le secret aura été jalousement gardé… ou éventé ! "Un petit cadeau pour dire je t’aime à sa maman, c’est toujours mignon, sourie Mélanie, mère de Maëlle. Et on voit nos enfants grandir d'année en année à travers ces petits cadeaux..."

Sous le toit d’Amélie, la carte de la fête des Babas est toujours aimantée sur le frigo. "Chacun a son anecdote du collier de nouilles ou du bougeoir qui ressemble à un popo de chien, s’amuse-t-elle, mais ce qui se passe à cette occasion est magique !" Dans son cas, l’événement s’accompagne de flashbacks heureux. "La fête des mères me renvoie aux jours où mon épouse m’a dit qu’elle était enceinte, où notre fille est née, où je l’ai prise contre moi…"

"Voir ma fille si heureuse, j’ai trouvé ça chouette !"

Vivian pensait que ces célébrations inscrites dans le calendrier scolaire étaient d’un autre âge. "Avec les nouveaux modèles parentaux, je pensais naïvement que ça ne se faisait plus ! . Pour autant, il s'est trouvé très ému de recevoir un tableau avec une photo de sa puce et des dessins autour. "Elle l’avait réalisé avec ses propres mains, elle s’était donné du mal, elle était fière de me le remettre. Voir ma fille si heureuse, j’ai trouvé ça chouette !"

Touchés par les bouilles radieuses et les yeux qui brillent, tous nos parents sacrifient donc à cette sacro-sainte tradition tout en la jugeant, pour certains, un peu désuète. "On reste dans quelque chose de très binaire, qui n’est plus tellement en phase avec la réalité des familles et pas seulement homoparentales, estime Cécile. Pour un gosse qui a perdu l’un de ses parents, par exemple, c’est un moment qui peut être compliqué. En plus, certains enseignants aiment faire cette activité avec leurs élèves, mais d’autres s’y obligent. Il faudrait pouvoir faire bouger tout ça."

Des alternatives plus inclusives

Certains établissements ont déjà exploré des pistes plus inclusives, comme la fête des Parents ou des Gens qu’on aime, souvent plébiscitée. La crèche où étaient inscrits Noah et Nathéo avait opté pour cette dernière. "Elle répondait à plein de situations différentes, celle des petits qui vivaient chez leurs grands-parents, d’autres seuls avec leur maman..., se souvient Caroline. En plus, elle replaçait l’enfant au centre de la démarche : le fait qu’il puisse vraiment offrir ce cadeau à qui il voulait nous semblait plutôt intéressante."

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Si des cafouillages existent, les deux dates du calendrier suscitent finalement de belles histoires dans les familles. Dans la commune de 1.100 habitants où vivent Mélanie et Aude, une association du village a organisé un atelier fête des Mères avec les bouts de choux. Maëlle qui y participait, avait du coup deux travaux à confectionner… "Comme le temps qui lui était imparti était un peu court, les autres enfants lui ont dit : on va te donner un coup de main parce qu’il faut vraiment que tu aies tes deux cadeaux ! Elle s’est sentie soutenue et c’était super bien !" Doublement pétrie d’amour filial et de fraternité, la surprise ne pouvait alors que toucher sa cible. 

*les prénoms ont été modifiés. 

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Crédit photo : Some Tale on Unsplash