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associationLes expert·e·s de la lutte contre le VIH, un atout contre le Covid-19

Par Laure Dasinieres le 08/06/2021
Contre l'épidémie de Covid-19, il y a un vaccin

Sur le front depuis plus de 35 ans, les militants de la lutte contre le VIH/sida peinent pourtant à faire valoir leur expertise face à la pandémie de Covid-19.

« 33 millions de morts du sida depuis 1980 dans le monde entier, et des gens écrivent que le Covid est la première épidémie planétaire. C’est la première à vous empêcher d’aller dîner en ville, oui. »  Ces mots, tweetés en avril dernier, sont ceux d'Hugues Charbonneau, ancien vice-président d’Act Up, secrétaire général du Sidaction et producteur du film 120 battements par minute

Des militant·e·s sur le front depuis plus de 35 ans

Celles et ceux qui ne voient les pandémies que sous un jour purement biologique trouveront sans doute à redire à cette comparaison sida/Covid-19, mais, si l’on pense en termes de crises sanitaires mondiales et des mécaniques sociétales qu'elles engendrent, des similitudes se font jour. Et les militant·e·s de la lutte contre le VIH, sur le front depuis plus de trente-cinq ans, disposent d’une large boîte à outils et d’une expertise qui leur permettent d’appréhender cette nouvelle pandémie avec un regard des plus aiguisés. 

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« Le VIH a donné des habitudes à ces militants ; ils ont des lunettes à travers lesquelles regarder cette nouveauté qu’est le Covid-19 »,  fait ainsi valoir Gabriel Girard, sociologue de la santé, spécialiste de la prévention du VIH et de la santé des minorités sexuelles et de genre. Du côté des expert·e·s « professionnel·le·s », à savoir les infectiologues, virologues ou épidémiologistes mis sur le devant de la scène médiatique dès le début de la crise, on retrouve d'ailleurs des têtes bien connues de la « communauté sida », comme Dominique Costagliola ou Gilles Pialoux. 

Associations inaudibles et mises à l'écart

En revanche, les voix émanant des associations de lutte contre le VIH/sida ont été peu entendues, et ce n’est pas faute de s’être exprimées. Par exemple, AIDES a publié dès avril 2020 une synthèse de recommandations à l'endroit des autorités de santé et de celles, scientifiques, chargées de guider la stratégie de déconfinement. Sans écho.

Les associations issues de la société civile ont par ailleurs été mises à l'écart du Conseil scientifique et des autres instances de recommandations ou d'aide à la prise de décisions gouvernementales. « Leurs propos et arguments ne cadrent pas avec la gestion verticale de la crise par l’État, lequel a ainsi mis à l’écart des instances de démocratie sanitaires qui avaient été créées au début de l’épidémie de VIH », souligne Gabriel Girard. 

Une expertise et un savoir précieux

Gwen Fauchois, vice-présidente d'Act Up-Paris dans les années 1990, confirme : « Les réseaux de résistance créés dans la lutte contre le VIH perdurent, mais ils sont assez peu écoutés parce que le savoir qu'ils portent va à l'encontre des intérêts des classes dirigeantes. En outre, les partis politiques continuent de penser que le savoir leur appartient. »  

"Les épidémies se nourrissent des inégalités sociales, de genre, d’ethnies, et des discriminations"

Pourtant, ces associations et ces militant·e·s ont engrangé, par la force des choses, une forme d'expertise que ne possède ni le corps médical ni le corps politique. « Ce que l’on a appris de l’épidémie de sida, c’est de rester pragmatique et de ne pas perdre de vue les réalités de la vie », résume Gwen Fauchois. Et c’est là que résident leurs véritables savoirs et savoir-faire : dans la prise en compte de la dimension sociale d'une épidémie et dans l’inclusion, dans la réponse sanitaire, des populations précaires ou discriminées – dont l’exclusion du système de santé accroît la vulnérabilité. « Nous savons que les épidémies se nourrissent des inégalités sociales, de genre, d’ethnies et, plus largement, des discriminations, »  développe Gwen Fauchois.

Acceptess-T mobilisée face au Covid-19

Et le Covid l'a encore montré, car force est de constater que certaines populations sont plus à risque non seulement d’attraper le virus, mais aussi d’en subir les conséquences sociales, économiques ou psychologiques. C’est la raison pour laquelle une l'association Acceptess-T a, dès mars 2020, distribué des kits aux communautés trans, travailleur·euse.s du sexe et migrant·e·s – populations à l'écart des décisions gouvernementales –, lesquels contenaient un thermomètre, du gel hydroalcoolique, du paracétamol ainsi que les recommandations, traduites en plusieurs langues, du ministère de la santé. 

"Les militant·e·s savent négocier avec ceux qui sont dans le déni"

Julien Martinez, infirmier en psychiatrie à Lyon, militant associatif en santé sexuelle communautaire et membre de la CoreVIH Arc-Alpin, analyse : « Moi, j’ai une compétence technique, et les militant·e·s ont une expérience et un savoir pratique que l’on ne voit pas forcément ailleurs. Avec le VIH, on a compris, pour la première fois, que la maladie n’était pas qu’une question médicale, mais aussi sociétale. » Il remarque également combien ils/elles savent dialoguer avec des comportements qui s’avèrent être, dans ces situations, des constantes : « Les militant·e·s savent négocier avec les négationnistes, ceux qui sont dans le déni, ceux qui s'en foutent, ceux qui sont dans l’hypercontrôle et ne sortent plus de chez eux… Ce sont des comportements que l’on connaît déjà du fait de la pandémie de VIH. »

Accompagnement à la vaccination et à l'isolement

Mieux que quiconque, ces militant·e·s savent agir en faveur de la conscientisation, un atout essentiel dès lors qu’il s’agit de travailler sur la prévention, les freins au dépistage, le recours aux traitements… ou, dans le cas du Covid-19, sur la vaccination.

Les militant·e·s sont également vigilant·e·s à ce que personne ne soit laissé de côté : cela passe par un accès aidé à la vaccination pour les personnes les plus fragiles et les plus précaires, lesquelles n’ont pas nécessairement accès à l’information ni aux outils numériques de prise de rendez-vous. Cela passe aussi par des aides accrues à l’isolement lorsqu’une personne est testée positive et que ses conditions de vie ne lui permettent pas d’effectuer correctement une quarantaine.  

Une vaste connaissance des labos

Enfin, les militant·e·s de la lutte contre le VIH ont développé une importante connaissance du milieu des laboratoires pharmaceutiques, et une conscience élevée du poids qu'ils représentent dans la gestion d’une crise sanitaire. Parmi leurs recommandations concrètes, on retrouve un certain nombre de constantes du VIH au Covid-19 : la levée des brevets sur les vaccins, afin de permettre une santé accessible à tous, la protection des libertés individuelles et, en particulier, la mise en garde contre les mesures coercitives et la pénalisation des comportements – comme les amendes infligées à tour de bras en France dans la gestion du Covid. Ils/elles prônent également une vigilance particulière sur les applis de traçage et récusent l’obligation vaccinale ou de dépistage. 

Critiques envers la com du gouvernement

Leur expertise vaut également concernant les initiatives de proximité, comme distribuer des équipements de protection à toutes les populations, ou encore informer ces dernières en face à face. Ils/elles sont par conséquent très critiques envers la communication gouvernementale, jugée peu pédagogique et culpabilisante, alors qu'ils/elles savent de longue date que, dans une logique de réduction des risques, l’objectif est de donner aux gens une information fiable et complète, sans jugement ni désignation de coupables. Enfin, ces militant·e·s ont chèrement acquis une expérience des rites et rituels funéraires, lesquels doivent veiller à ne pas invisibiliser les morts et à permettre aux familles et aux proches de se recueillir, même si les conditions habituelles ne sont pas réunies. 

"Ce que je vois de plus proche des "communautés sida" est ce qui se joue autour du Covid long"

Reste à essayer de comprendre pourquoi ils/elles ont été ignoré·e·s. Gabriel Girard avance des hypothèses : « Il est possible que le fait que le sida soit une maladie relativement spécifique n’aide pas les instances dirigeantes à comprendre que ces militant·e·s puissent apporter des réponses concernant quelque chose de plus global. Par ailleurs, la lutte contre le VIH repose sur un aspect communautaire fort. Or, que sont les communautés du Covid ? »

Le sociologue conclut : « Ce que je vois de plus proche des "communautés sida" est ce qui se joue autour du Covid long. Il y a de la part des patient·e·s une véritable envie de comprendre ce qui s’est passé concernant d’autres pathologies, de faire avancer les choses en tant que patient·e·s expert·e·s uni·e·s dans une communauté de destins. » La crise sanitaire du Covid étant encore loin d'avoir éteint ses feux, ils est encore temps de mieux les écouter.

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