Il y a 40 ans, une maladie inconnue était pour la première fois décrite aux États-Unis : le sida. Depuis, l'épidémie est mieux maîtrisée, faute d'avoir éradiqué le virus responsable. Entretien avec le président d'AIDES, association de lutte contre le VIH.
Le 5 juin 1981, les premiers cas de sida étaient décrits aux États-Unis. À l'époque, les associations de lutte contre le VIH n'avaient même pas le droit de mettre en place des affiches promouvant le préservatif. Quarante ans plus tard, beaucoup de chemin a heureusement été parcouru, et elles ont obtenu que les médecins généralistes puissent prescrire la PrEP en première intention.
En 2019, le monde comptait encore 38 millions de personnes vivant avec le VIH dont 1,8 million d'enfants. En France, les personnes séropositives sont entre 130.000 et 160.000, dont 25.000 ne sont pas encore diagnostiquées. Si dans les années 1980, le virus était associé au sida et à la mort, l'espérance de vie des personnes vivant avec le VIH sous traitement est aujourd'hui équivalente à la population générale.
En 2021, vivre avec le VIH, c'est donc être en bonne santé. Sous traitement, une personne porteuse du virus devient d'ailleurs indétectable et ne peut pas transmettre le virus, même lors d'une relation sexuelle non protégée. Retour sur 40 ans d'épidémie, de luttes et ce qu'il reste à faire, avec Aurélien Beaucamp, président de AIDES.
En 40 ans, la lutte contre le VIH/sida a énormément avancée. Est-ce qu'on peut dire que l'épidémie est derrière nous ?
Nous n'avons toujours pas de vaccin. Certes, on a des traitements efficaces qui permettent de très bien vivre avec le VIH. Il faut rappeler que lorsque notre charge virale est indétectable, on ne transmet pas le virus. Car même si les outils sont très efficaces en terme de prévention et de traitement, ils ne sont pas assez diffusés. Année après année, nous avons le sentiment qu'il y a une banalisation du VIH, avec beaucoup de personnes qui pensent qu'on guérit du sida alors que ce n'est pas le cas.
"L'épidémie de Covid nous a fait perdre du temps dans la lutte contre le VIH"
L'objectif de fin de l'épidémie en 2030 est-il tenable ?
Nous sommes encore loin de l'objectif "zéro nouvelles contaminations en 2030". On n'a toujours pas de grande communication sur l'existence de la PrEP, qui permettrait de démocratiser réellement son accès. Le dépistage répété associé à la PrEP est très efficace. L'épidémie de Covid nous a fait perdre du temps dans la lutte contre le VIH. Il faut de la communication, de l'information et de la prévention. Il faut faire comprendre que le préservatif, c'est un outil... parmi d'autres qui sont trop méconnus ! Et puis, il n'y a pas de secret, il faut de l'argent.
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Il y a 40 ans, on parlait du VIH comme d'un "cancer gay". Aujourd'hui, est-ce que les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes (HSH) sont encore des populations vulnérables ?
Les gays, les usagers de drogue ou les travailleur·se·s du sexe, sont des communautés où le virus circule énormément. Parce qu'elles font face à des discriminations beaucoup plus prégnantes, il y a une plus forte précarité que la population générale, un éloignement du soin et de l'accès au droit. Le risque d'être confronté au VIH est donc beaucoup plus important. Il ne faut pas pour autant stigmatiser une population : tu n'es pas sujet à risque parce que tu es gay, mais parce que tu fais partie d'une communauté qui souffre de discrimination et de précarité.
AIDES lance une campagne de dons pour financer un centre de santé sexuelle. Aujourd'hui, les Cegidd (centres gratuits) ne suffisent pas ?
Les Cegidd sont des structures médicalisées. Il n'y a pas de logique d'interaction entre pairs, comme dans les centres de santé sexuelle. L'idée, c'est d'avoir une proximité avec des centres qui permettent une forme de convivialité. La personne doit sentir qu'elle peut parler librement de sa sexualité, de sa gestion du risque et d'autres problématiques comme les addictions. Pour cela, il faut un accueil bienveillant et non jugeant. Les chiffres montrent que ces structures sont particulièrement efficaces. À Londres en 2018, on a perçu une baisse des nouveaux diagnostics de plus de 50% avec la mise à disposition de la PrEP et le dépistage répété.
"Pour inclure un maximum de personnes, la réalité de la sexualité ne peut pas passer que par le préservatif"
Récemment, on a obtenu que les médecins généralistes puissent prescrire la PrEP en première intention. Qu'est-ce que cela va changer ?
Pour pouvoir avoir un effet à la baisse du VIH chez les HSH, on a estimé qu'il faut 40.000 personnes sous PrEP. Dans les faits, on atteint difficilement les 28.000 personnes parce qu'il y a trop peu de centres qui la prescrivent en primo-prescription. Certains services refusent pour des questions morales, en arguant qu'on devrait utiliser la capote. Mais pour inclure un maximum de personnes, la réalité de la sexualité ne peut pas passer seulement par le préservatif.
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Où en est-on dans la recherche pour un vaccin ?
On n'a évidemment pas encore de vaccin. Quelques pistes sont intéressantes du côté de l'ARN messager. Mais je préfère rester prudent, nous sommes sur un test de phase 1. De nombreux vaccins-tests n'ont pas passé la première phase. La PrEP sur la longue durée est également prometteur. On parle d'une injection et d'un implant tous les trois mois pour remplacer le cachet quotidien. C'est génial de pouvoir avoir le choix.
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