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homosexualitéEn couple, comment faire durer la sexualité

Après plusieurs années passées avec la même personne, on pourrait croire que le désir s’étiole : les corps et les libidos changent, la routine se crée. Le couple aura-t-il forcément la peau du sexe ? Pour beaucoup, une belle histoire d’amour, c’est d’abord une belle histoire de fesses. Au risque de croire que, si le…

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Après plusieurs années passées avec la même personne, on pourrait croire que le désir s’étiole : les corps et les libidos changent, la routine se crée. Le couple aura-t-il forcément la peau du sexe ?

Pour beaucoup, une belle histoire d’amour, c’est d’abord une belle histoire de fesses. Au risque de croire que, si le désir dans le couple faiblit avec le temps, c’est que l’amour est égale­ment sur le point de faillir.

Le désir, en perpétuel mouvement

Rien ne dit pourtant que la sexualité est condamnée à disparaître au sein des ménages, car, fatalement, périssable. Seulement, elle évolue. Et quand bien même, quelquefois, s’éclipse-t-elle totale­ment, cela n’empêche évidemment pas les couples de continuer à s’aimer.

À 63 ans, Peio* se souvient de ses es­capades amoureuses avec son mari, au début de leur relation, il y a quatorze ans : "En montagne, pendant les randonnées, c’était assez chaud. Vous crapahutez, vous sentez le désir monter ; autour de vous, c’est le calme, les Pyrénées." Au fil du temps,"l’incendie des premières années se métamorphose", note­-t-­il. Les flammes se sont transformées en "petits feux follets sympathiques". Cyril*, en couple depuis dix­-neuf ans, dresse le même constat. "Avec les années, ça se dégrade. L’amour est toujours là, mais l’envie, elle, n’est plus forcément présente", regrette-­t-­il.

"La découverte, le doute et l’incertitude sont les moteurs du désir, prévient Axelle Romby, sexologue LGBT­friendly. Une fois que le couple s’installe, ces moteurs disparaissent. Autre chose doit prendre le relais." Seule certitude : dans les couples qui durent, le temps n’im­mobilise pas le désir. Plutôt qu’un decrescendo annoncé, la sexualité connaît des varia­tions. Chacun y va de sa petite recette pour entretenir la flamme en trouvant un nouveau combustible.

Ouvrir sa relation ?

"Avec Nick*, on utilise Grindr et on se rend au sauna, mais toujours ensemble, raconte Serge*, 53 ans. Ces expériences empêchent la routine de s’installer, puisqu’on peut toujours avoir des surprises." Lors de leur première rencontre, Serge a expliqué à son fu­tur mari : "J’ai besoin de voir d’autres gens, et ce n’est pas un manque de respect, c’est un renouvellement du plaisir sexuel." Il a tiré cette le­çon de ses précédentes histoires : "Avec le recul, j’aurais dû être plus clair sur mes désirs et sur mes frustrations, assume-­t-­il. Si tu transiges sur tes besoins sexuels, t’es mal barré. Tu vas créer des désordres, partir dans des relations clandestines, et tu te feras chopper parce que tu lui mens mal et que tu n’es pas à l’aise avec ça"

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Pour expliquer à son compagnon qu’un autre homme a fréquenté le lit conjugal, Cyril use d’euphémismes : "Je lui dis que j’ai quelqu’un qui est passé. Ça reste mon jardin secret." Comme son ami travaille la nuit, il profite du soir pour accueillir des visiteurs. Après presque vingt ans de couple, "c’est le jour et la nuit" ques­tion désir. "Les cinq premières années, ce n’était même pas envisageable d’aller voir ailleurs. Au bout de six ans, on s’est séparés, puis on s’est remis ensemble, raconte Cyril. Je n’arrivais plus à être fidèle." Son com­pagnon ferme les yeux sur ses aventures.

Attention aux rôles sexuels figés

Avant d’en arriver là, surveiller les logiques de pénétrant­-pénétré peut s’avérer utile. La réciprocité dans le plaisir peut pécher par une distribution rigide des rôles pendant la construction du couple, et l’un ou l’autre peut finale­ment ne pas y trouver son compte. "Au début, ils se disent qu’ils vont trouver un moyen pour que l’un des deux fasse le chemin et s’adapte à son partenaire", précise Axelle Romby. Si tel n’est pas le cas, les amants risquent un "appauvrissement progressif, parce qu’aucun n’arrive à faire face", note la sexologue. Tout l’amour du monde peut ainsi, parfois, se retrouver confronté à un pro­blème d’apparence technique.

"Les couples gays ne sont pas épargnés par les stéréotypes de genre, qui peuvent affecter la sexualité"

Jérôme Couduriès a soutenu une thèse de doctorat sur la conjugalité gay en France, publiée sous le titre Être en couple (gay). Lors de ses recherches, un homme lui a confié qu’"il n’était pas très heureux dans sa sexualité et envisageait de plus en plus de devenir actif. Il avait essayé d’en parler avec son mec, mais ce dernier ne voulait rien entendre."

Ce manque d’ouverture peut témoigner de problèmes plus pro­ fonds dans le couple. "Il s’occupait de la maison, gagnait moins bien sa vie que son mec, chef d’entreprise, se rappelle l’anthro­pologue. Il m’a assuré : 'Ne va pas t’ima­giner que c’est moi qui fais la femme!' avant de réaliser qu’il avait énoncé des caractéristiques de la domination masculine. Les questions de genre traversent les couples gays, comme tous les autres, et à n’importe quel moment de leur vie conjugale. Ils ne sont pas épargnés par les stéréotypes de genre, qui peuvent affecter la sexualité."

Le poids des années n'est pas une fatalité

Face au temps qui passe, et pour faire durer le plaisir, il faut également accep­ter de voir l’autre, et notamment son corps, changer. "Mon mari est toujours aussi désirable qu’il l’était le premier jour. Je me sens bien avec lui. C’est physique, assure Peio. Même s’il a pu prendre quelques rondeurs, c’est un corps que j’aime." De son côté, après huit ans de vie commune, Andrew ap­précie l’effet des années sur les courbes d’Olivier : "Nos corps ont beaucoup changé. On a pris pas mal de poids. Mais, moi, j’aime qu’il ait grossi. Il est mieux charpenté, et son cul est plus sympa."

"On est ensemble depuis longtemps, mais on s'amuse mieux"

Quand on connaît bien le corps de l’autre, habitude ne rime plus avec las­situde. On parcourt dès lors sa peau comme une ruelle que l’on connaît par cœur. Les kilos témoignent des années et deviennent un appui douillet. "L’excitation est moindre, bien sûr, note Andrew. On est ensemble depuis longtemps, mais le confort est plus agréable. Je suis plus à l’aise avec mon corps. On s’amuse mieux. Au début, on essayait de nouvelles choses ; maintenant, on sait ce qu’on doit faire."

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Partager ses fantasmes

Car notre anatomie change, indubi­tablement. Son fonctionnement n’est d’ailleurs plus le même passé la tren­taine. "Entre 15 et 30 ans, il peut y avoir chez les hommes une sexualité relativement brute, réflexe, une capacité à avoir une érection sans stimulation psychique. Cette compétence chute avec les années. Les hommes doivent alors investir leur sexualité de manière plus cérébrale", ex­plique Axelle Romby.

Pour éviter que la chair ne dicte son rythme aux ébats, il faut redonner du poids aux mots, aux jeux complices. Une nouvelle option s’offre dès lors aux partenaires : s’ouvrir à leurs propres fantasmes et à ceux de l’autre. On peut envisager de "se servir de l’imaginaire érotique. Parler de ses fantasmes, c’est vraiment se dévoiler. On peut, par exemple, faire des lectures érotiques ensemble pour voir ce qui parle à l’un et à l’autre", liste la psycho­logue. Si la timidité empêche de se livrer à certains penchants, un autre support peut alors libérer la parole.

Pour Cyril et son partenaire, c’était le porno. Inspirés par des vidéos qu’ils re­gardaient ensemble, ils se sont procuré godes, laisses et harnais. "On commençait une soirée à 21 h, on la finissait le matin, à 8 h, se souvient Cyril. Ça a pimenté notre sexualité pendant cinq ou six ans. Au bout d’un moment, c’est redevenu comme si on faisait l’amour normalement." Pour donner un coup de fouet au désir, la chambre du couple peut ainsi héber­ger une collection d’accessoires, parfois destinés à saturer le placard.

Communiquer, à défaut de...

Si le sexe dans le couple parvient à échapper aux effets du temps, le ma­riage et les enfants seraient-­ils l’ultime épreuve à surmonter ? Encore une fois, rien dans notre boule de cristal ne pré­sage d’un tel désastre libidinal. "C’est possible que les gays et les lesbiennes qui se marient et fondent une famille soient moins disposés et disponibles mécaniquement, et peut-être psychiquement, à vivre autre chose, constate Jérôme Courduriès. Et, en même temps, j’ai rencontré des gays qui vivent en couple depuis de nombreuses années, qui ont une vie familiale, des enfants, et qui continuent à avoir une sexualité active, dans leur couple comme à l’extérieur."

"Quand ça faisait longtemps qu’on n’avait pas couché ensemble, je me demandais s’il y avait un problème entre nous"

Et si l’angoisse provoquée par la baisse du désir n’était qu’une maladie imagi­naire ? "Quand ça faisait longtemps qu’on n’avait pas couché ensemble, je me demandais s’il y avait un problème entre nous. Je me disais que nos sentiments n’étaient peut-être plus aussi forts", se rappelle Andrew. Aucun drame pourtant, selon Axelle Romby, si du moins ces appréhensions trouvent à s’exprimer. "C’est une question de dialogue et de choix, explique-­t-­elle. Un couple qui ne baise pas et qui n’en parle pas, ça crée une forme d’injonction à changer quelque chose. S’ils arrivent à se dire que ce n’est pas grave, tout ira bien." Et puis, en dehors du sexe, gardez à l’esprit qu’il est toujours possible de partager des gestes tendres...

*  Les prénoms ont été modifiés

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Quentin & Théo 24 ans tous les deux

"On couchait ensemble direct"

Ils étaient dans la même classe, le même internat, la même chambre. Quentin et Théo ne s’étaient pas effleurés pen­dant trois ans, avant de se sauter dessus pour la première fois à la dernière soirée du lycée. Ils sont leur premier amour. Ils passent l’été ensemble avant que le brun ne parte étudier à Strasbourg, et que le blond ne rejoigne Angoulême. Quelque 800 km séparent alors les deux corps encore échaudés. Le désir s’installe : l’éloignement devient synonyme de longévité. Pendant sept ans, et jusqu’à récemment, la distance tempé­rait leur relation, qui, d’après Théo, aurait fané très vite en raison de leur jeune âge. Au départ, les nombreuses semaines passées loin l’un de l’autre accentuent le plaisir de se retrou­ver : "On se sautait dessus et on couchait ensemble direct."

Pour profiter de leurs 18 ans, le contrat est celui du couple libre. Mais il faut attendre un an pour que Quentin embrasse un autre garçon et en parle à Théo, qui a peur que leurs senti­ments ne s’étiolent. "Ça a renforcé mon désir pour Théo et confirmé qu’avec lui c’était unique", souligne Quentin. De plus, l’exté­rieur leur procure une versatilité qu’ils n’ont toujours pas en­ semble. Comme il n’a jamais été pénétré par Théo, Quentin découvre avec d’autres le plaisir d’être passif.

Les années qui passent accentuent leur intimité : "Avec le temps, t’es plus à l’aise avec ton corps et avec celui de l’autre", estime Théo. Mais, au fil des allers-­retours, leurs retrouvailles sont toutefois plus diffi­ciles. "Je faisais presque face à un étranger. Et je me demandais si c’était vraiment la personne dont j’étais amoureux", raconte Quentin. "Chaque fois, avant de s’apprivoiser à nouveau, on ne baisait pas, ou moins passionnément. Souvent, c’était lié aux longues périodes de séparation", se souvient Théo. Pas de "sexe médicament" entre eux. Quand le cœur n’allait pas, le cul non plus. Entre Marseille, New York et Istanbul, leurs entrevues sont de courtes durées, avant qu’ils n’emménagent ensemble, à Paris, en septembre 2019. Et maintenant? Les regards se croisent dans le café du 18e arrondissement : "On verra bien."

 

Florian et Aubin 30 et 25 ans

"On arrive plus facilement à dialoguer"

Dans un bar hétéro sur le port de Caen, il y a six ans, Florian se moque d’Au­bin, qui danse mal. En guise de réponse, Aubin l’embrasse. Quelques jours plus tard, l’affaire se règle sur le canapé de Florian. Avant même de passer à l’acte, ils savent qu’ils sont compatibles. Quelques échanges par SMS avaient déjà distribué les rôles : "S’il avait été passif, ça l’aurait pas fait", se rappelle Florian. De leurs pre­mières fois, il se souvient, concernant Aubin : "Ce n’était pas que pour lui qu’il faisait l’amour, il le faisait pour donner du plaisir à l’autre."

Leur désir n’a dès lors cessé d’être renouvelé par la surprise et la confiance. Six mois plus tard, ils livrent leurs fan­tasmes sur l’oreiller en imaginant partager leurs ébats avec un troisième homme. "Bien qu’aujourd’hui on ne l’ait toujours pas fait", précise Aubin. Quelques visites sur Grindr n’ont toujours pas permis de trouver leur futur hôte. Mais ils gardent cette option en tête. Plus tard, Aubin a confié à son partenaire son goût pour les parfums et les odeurs naturels. Depuis, la douche a lieu après l’acte, et non plus avant.

Les an­nées passant, chacun explore désormais sa versatilité. Florian accompagne Aubin dans cette démarche : "J’ai pu lui faire part de mon expérience en tant que passif. Ça se passe beaucoup dans la tête. Dans un couple stable, on dialogue plus facilement au sujet de ce qui fait plaisir à l’autre." Un jour, sans crier gare, Aubin est rentré à la maison, déguisé en électricien. "Je suis allé voir mon mec et le prendre sans retirer mes vêtements." Le jeu de rôles fonctionne, l’habitude se maintient. Entre les plages et les forêts, où les amants aiment se retrouver, ils font désormais des projets de parentalité.

Olaf et Jacques 47 et 73 ans

"L’important, c’est la vie qu’on a ensemble"

Après vingt-­cinq ans d’amour, plus grand-­chose ne res­semble à l’été 1995. "Il faut trouver d’autres choses, parce qu’on n’a pas la même excitation qu’au début", note Olaf. "On s’est un peu endormis", avoue Jacques. Quand les deux hommes se rencontrent à Majorque, Olaf, Allemand d’origine au français balbutiant, et Jacques, de vingt-­cinq ans son cadet, passent des moments torrides. Rapidement, Jacques conseille à Olaf, qui avait à peine la vingtaine, de profiter de sa jeunesse : "Il m’a toujours fait comprendre que je pouvais avoir des aventures ailleurs. Il prenait en compte notre écart d’âge et le fait que j’avais moins d’expérience." Mais, au début, Olaf refuse de sau­ter le pas : "À l’époque, j’étais très fleur bleue." Il faudra dix ans pour qu’ils décident de partager leurs étreintes avec d’autres hommes, d’abord ensemble et "à quatre, pas plus". C’est le film Peindre ou faire l’amour, des frères Larrieu, qui l’a convaincu.

Six ans plus tard, ils s’autorisent à butiner chacun de leur côté. Le cul peut aller voir ailleurs si le cœur reste à la maison. "Ce qui est important, c’est la vie qu’on a ensemble, et ce qu’on construit ensemble", estime Jacques. Si ses prothèses aux genoux l’em­pêchent d’adopter certaines positions, qu’importe. Puis, quand une opération de la prostate risque d’abîmer sa sexualité, alors Olaf le soutient inconditionnellement. Jacques a par la suite une jouissance "beaucoup plus intérieure". C’est alors le cul qui s’adapte au cœur.

En 2015, sur proposition d’un ami, les douches se dorent parfois. Des "petits plans uro", devenus réguliers depuis. De quoi pimenter leur relation. Aujourd’hui, les époux font presque tout à deux, sauf l’amour. Voilà plusieurs mois qu’ils n’ont pas eu de rapport juste entre eux deux. "J’aime quand on fait l’amour à plusieurs, parce qu’on se retrouve aussi, lui et moi, à ce moment-là", confie Jacques.

 

Par Tom Umbdenstock le 02/07/2021