Lorsque l’on évoque le couple libre, les réactions ne se font pas attendre – et les clichés non plus. Certains couples ont pourtant choisi de vivre leur amour sans être exclusifs. Pour eux, pas besoin de monogamie quand on s’aime. Ils et elles racontent.
« C’est venu assez naturellement : on avait chacun des désirs alors on a discuté de la relation libre, quelque temps avant le confinement », raconte Tom*, 29 ans, en couple depuis trois ans avec un homme. D’abord exclusifs, ils ont décidé de s’ouvrir à d’autres partenaires sexuels depuis un an. « C’était dans l’air depuis quelques mois… Lui le souhaitait depuis longtemps mais il fallait que notre histoire se consolide avant de sauter le pas. » Dès le déconfinement, les deux tourtereaux ont mis en pratique leur nouveau modèle et ont commencé à avoir des rapports sexuels en dehors de leur couple. « Depuis, on a noué des amitiés sexuelles avec d’autres personnes, notamment avec un couple d’amis que l’on voit tous les deux, ensemble ou séparément. »
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« On peut aimer quelqu’un en ayant du désir pour les autres »
Tom réussit à dissocier l’amour qu’il a pour son copain de leur sexualité. « Le couple a cet effet rassurant, protecteur. Je suis bien avec lui dans ma vie de tous les jours et je n’ai pas envie de le voir partir », raconte-t-il. « Toutefois, pour moi, on peut continuer à aimer quelqu’un en ayant du désir pour les autres ou en ayant moins de désir pour son partenaire. » Alors, quid de la fameuse jalousie ? « Mon copain n’est pas jaloux et moi non plus : on se dit tout. En soirée, on ne s’interdit rien, on peut choper qui on veut, y compris l’un devant l’autre », abonde Tom.
Entre Jean*, 26 ans, et son petit-ami Thibault*, pas de crises non plus. Ils sont ensemble depuis quelques mois et ont parlé de relation libre dès le début de leur idylle. L’avis de Jean sur l’exclusivité est tranché : « c’est plus un frein qu’une solution, je pense que ça détruit pas mal de couples ». À l’issue de leur discussion, Thibault n’était « pas forcément en adhésion » avec Jean sur le sujet, mais admettait volontiers qu’« il fantasmait de coucher avec d’autres mecs ». Finalement, ils ont pris la décision d’un commun accord peu de temps après. Quand Thibault a raconté à Jean qu’il avait couché avec un homme pendant sa pause déjeuner, Jean a tout de même mis « un petit peu de temps à le digérer… », se souvient-il. « Mais finalement, je pensais être plus jaloux, que ça serait plus compliqué à gérer. » Jean ne craint pas que son compagnon en pince pour un autre que lui après une aventure sexuelle. « Je ne pense pas que tu tombes amoureux parce que tu couches avec quelqu’un. » Pour lui, c’est même l’inverse : « la frustration crée du ressentiment, des émotions négatives dans un couple. »
Consentement et confiance
D’après Thierry Morisseau, psychanalyste et thérapeute de couple, « le couple est par définition libre, puisque c’est l’union de deux êtres différents qui sont, si ils s’en donnent les moyens internes, libres. Il ne faut pas confondre libre et libertin.» Mais pour le spécialiste, Jean a plutôt raison : « lorsqu’elle n’est pas choisie, l’exclusivité peut nourrir un élan amoureux pour quelqu’un d’autre et mener à une séparation. Dans le couple libre, à l’inverse, il existe une notion de confiance et d’engagement de chacun, on raisonne ainsi : ‘‘ce qui compte le plus pour moi, c’est cette entité du couple, dans lequel je trouve de l’amour, de la confiance, de la sexualité’’. Dans cette configuration amoureuse, on a des relations sexuelles avec des personnes, souvent des images qui correspondent à ses fantasmes. Mais ce ne sont justement pas des histoires d’amour. » C’est d’ailleurs précisément ce qu’affirme Jean : « Le but n’est pas de tisser des liens avec d’autres personnes. La priorité c’est notre couple, passer du temps ensemble quand on a envie. »
Chaque relation est singulière, comme l’explique le thérapeute de couple. Pour lui, l’essentiel dans une relation amoureuse, qu’elle soit exclusive ou pas, c’est que les deux parties consentent mutuellement. Si l’un.e des deux souffre, « ça ne va pas fonctionner ». Résultat, il y a deux solutions : « soit on rentre dans une relation sans exclusivité d’une intimité physique et chacun est d’accord avec l’idée que le couple lui-même a besoin de cette liberté sexuelle pour s’épanouir d’avantage », avance-t-il, « soit le couple s’épanouit dans sa relation exclusive, mais avec un monde fantasmatique. » Dans une configuration amoureuse comme dans l’autre, « l’important, c’est la capacité du couple à dialoguer sur les attentes de chacun : qu’est-ce qui nourrit et fait grandir le couple ? »
Apprendre à se connaître
Hugues, 55 ans, vit des histoires amoureuses en relation libre depuis ses 34 ans. Pour lui, ce fonctionnement est également une façon d’être en phase avec soi-même. « Au bout d’un an ou deux, quand arrive la perte de désir, on se pose la question : est-ce que je dois être fidèle à cette personne, ne pas être honnête avec moi-même et ne pas admettre ma perte de désir… Ou alors proposer un couple libre? »
Pour le couple de Jean et Thibault, cette décision d’être un couple libre a été salvatrice des deux côtés, comme l’explique le premier. Même s’il n’avait jamais envisagé un couple sans exclusivité, Thibault était apparemment un amateur des aventures d’un soir. « Il avait du mal à se projeter dans la vie monogame, alors la relation libre lui a permis de souffler là-dessus. » Jean, qui a lancé la discussion sur le sujet, a même trouvé d’autres bons côtés à ce modèle de couple. Il se sent notamment plus à l’aise avec l’idée que son chéri réalise des fantasmes personnels qui, lui, ne le branche pas tellement. « J’ai l’impression de pouvoir lui donner ce plaisir, c’est comme si je participais, en un sens. » Le jeune homme a également l’impression d’en apprendre plus sur son partenaire : « Il m’a raconté les détails de son plan cul, il a pu me dire ‘‘ça c’était cool, ça j’ai bien aimé’’ et ça me permet de connaître ses goûts par un autre prisme que celui de notre relation à nous. »
Jalousie et possession de l'autre
À lire ces dernières lignes, certain·es s’imaginent peut-être déjà anéanti·es à l’idée de savoir leur partenaire dans des bras inconnus. Alix, 26 ans, a connu cette jalousie. Elle est bisexuelle, en couple avec un homme depuis près de dix ans et en relation libre depuis trois ans. « Je suis assez possessive, alors au début, j’avais besoin de savoir plein de détails. De base, on se dit tout, comme des meilleurs amis. » Elle et son copain ont déjà eu des disputes. Au sujet d’« une personne qui voulait prendre ma place et qui prenait beaucoup d’espace en appelant et en envoyant de nombreux messages », explique-t-elle.
Pour Thierry Morisseau, il est cependant sain d’interroger la jalousie, « cette notion de possession de l’autre », qui est bien souvent le premier argument des opposants au couple libre. « Il faut se demander : ‘‘Pourquoi ai-je besoin de sentir que l’autre m’appartient à moi tout seul ?’’ Derrière ça, il y a de l’insécurité, la peur de l’abandon, du rejet. » La bonne nouvelle, c’est que ce sentiment de jalousie n’est « pas insurmontable », à condition de « se demander pourquoi on l’éprouve, en réfléchissant à ce qui le nourrit. » Bref, en apprenant à se connaître soi-même et en travaillant sur ses propres insécurités et peurs.
La clé de la communication
Le couple libre implique, de facto, une grande communication et donc une proximité particulière. Ce qui permet, là aussi, de se rapprocher de son partenaire – non seulement sexuellement, mais émotionnellement. C’est le constat que fait Alix : « Si tu ne parles pas avec ton partenaire, c’est compliqué, ça s’étiole. » Sa relation avec son petit-ami a donc évolué ces dernières années au fur et à mesure des discussions. Ils ont même, un temps, décidé d’être en trouple, c’est-à-dire en polyamour avec une troisième personne, avant de constater que ce mode de fonctionnement ne leur convenait pas. « Quand ça ne va pas, qu’on perd nos repères, que quelque chose a changé… On décide de se recentrer sur nous deux », précise-t-elle. « C’est un peu naturel pour nous. On sent bien quand on est dans une période où l’un de nous a besoin de rester à deux ».
Pour Hugues, 55 ans, vétéran du couple libre, « il faut parler de ses désirs avec son partenaire. Pour être au plus près d’assumer ce qu’on est. J’ai trop souffert du mensonge. » Sa première relation libre, qui a duré 13 ans, s’est dans un premier temps construite autour du silence, du tabou de ces désirs mutuels. « Quand on a commencé à en discuter, c’était sympa et, surtout, ça a réactivé le désir entre nous. »
Tout naturellement, il a donc continué à vivre des histoires d’amour libres, y compris lors de sa dernière relation, qui a duré 2 ans et demi. « Mon partenaire a fini par me dire qu’à chaque fois qu’il était en couple il trompait ses partenaires… Et donc je lui ai dit ‘‘autant se le dire dès le départ’’. C’était la première fois qu’il était confronté à ça. Ça l’a obligé à décloisonner : là, il ne pouvait pas mentir. » Avec plus de vingt ans de recul, Hugues conclut avec certitude aujourd’hui : « La possession sexuelle c’est le truc le plus con de la planète. »
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