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justiceMeurtre homophobe d’un homme rencontré sur un tchat gay : 20 ans de prison pour le tueur

Par Hugo Wintrebert le 11/09/2021
meurtre homophobe

La cour d’assises du Val-d’Oise a déclaré Mohamed E., 22 ans, coupable du meurtre de Michel S., un père de famille de 55 ans connu via le site de tchat gay coco. L'altération du discernement a été retenue, mais aussi le caractère homophobe du crime.

Après une semaine d’âpres débats et cinq heures de délibérés, la cour d’assises du Val-d’Oise a condamné ce vendredi 10 septembre Mohamed E. à vingt ans de réclusion criminelle pour le meurtre de Michel S., qu’il avait connu via le site de tchat gay coco.fr. Le matin même, l’avocate générale, Chloé Audureau, avait requis 25 ans de prison à l’encontre de l’accusé, assortis d’une période de sûreté des deux tiers.

À l’énoncé du verdict, Mohamed E. est resté calme et silencieux, le corps vouté, le regard tourné vers le sol. Une attitude qu’il a conservée tout au long des cinq jours de débats. L’accusé était renvoyé pour assassinat et encourait la réclusion criminelle à perpétuité.

Son procès a laissé un goût d’inachevé. Le condamné est reparti en prison en emportant avec lui une part du mystère qui continue de planer sur cette affaire complexe. Quand la présidente de la cour, Inès Da-Camara, lui avait demandé les motivations de son geste criminel, Mohamed E. avait simplement expliqué avoir entendu des voix lui intimer : « Tue-le, c’est le démon ».

Débats sur la préméditation

La culpabilité de Mohamed E. ne faisait pas de doute. Les enquêteurs ont vite retrouvé sa trace, trahie par ses échanges téléphoniques, le GPS de la voiture de la victime qu’il avait volée et les nombreuses empreintes ADN retrouvées sur la scène de crime. Interpellé trois jours après la découverte du corps de la victime, le mis en cause a vite reconnu être à l’origine de la mort du comptable de 55 ans à son domicile de Jouy-le-Moutier (Val-d’Oise), le 21 janvier 2018.

Les débats, se sont donc cristallisés sur la potentielle altération du discernement de l’accusé au moment des faits et sur le degré de préméditation de son crime. Deux thèses irréconciliables se sont affrontées. D’un côté Mohamed E. était décrit comme l’auteur d’un macabre guet-apens homophobe. De l’autre, il était dépeint comme un garçon torturé par son homosexualité qui a tué au moment où la possibilité d’un rapport sexuel avec un autre homme s’est présentée.

Des SMS et des empreintes

La préméditation d’abord. Pour l’accusation, elle était évidente. Quand il a contacté Michel S. pour lui donner rendez-vous, l’accusé a pris soin d’utiliser une carte SIM prépayée qui permet à son utilisateur de rester anonyme. La veille du meurtre, il a aussi recherché sur Google : « Machine pour aiguiser les couteaux ». Et le jour même, il s’est présenté au rendez-vous muni de gants, alors qu’il ne faisait que 11 degrés cet après-midi-là.

Me Caty Richard, avocate des parties civiles, a même avancé l’idée d’une « trajectoire criminelle ». Car Mohamed E. est aussi accusé dans une autre affaire d’avoir tendu des guet-apens ultra-violents à au moins deux homosexuels, rencontrés sur le même site, dans le but de les dépouiller. Et cela, quelques semaines avant la mort de Michel S. D’ailleurs, quand il a commencé à parler avec Michel S. le 31 décembre 2017, soit vingt jours avant son meurtre, l’accusé avait dans la foulée envoyé un message à l’un de ses complices présumés : « T la y’a un mec j’lui ai donné rdv ». Ses amis n’étant pas disponibles, Mohamed E. se rendra seul à cette première rencontre avec sa future victime.

Mais ce rendez-vous s’est bien passé. On le sait puisque Michel S. a recontacté Mohamed E. quelques jours plus tard en lui envoyant un « cc » par sms, resté sans réponse. Pour la défense, c’était la preuve que Mohamed E. n’allait pas voir le comptable de 55 ans dans l’idée de lui tendre un piège.

L’accusé a aussi laissé plus de sept empreintes ADN au domicile de sa victime après son crime. Quand il s’est lavé les mains pleines de sang, il n’a même pas pris soin d’emporter le torchon avec lequel il s’était essuyé. Il n’avait pas non plus pris la peine de jeter plusieurs de ses vêtements ensanglantés, retrouvés par les policiers lors de son arrestation à son domicile d’Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) quatre jours après les faits. « Est-ce vraiment le comportement d’un homme qui a préparé son crime ? », s’est interrogée son avocate, Me Schmelck. La préméditation n’a pas été retenue par la cour.

Violence de la scène de crime

La folie ensuite. L’accusé a assommé la cour d’interprétations ésotériques au moment de retracer sa vie et d’expliquer son crime. Des psychiatres ont bien décelé chez lui « une psychose paraphrénique » qui le poussait à se considérer comme « le nouveau messie », « la résurrection d’Israel », « le troisième antéchrist ». Toute la question était de savoir si elle préexistait au drame.

« On a tous envie de s’accrocher à ça. Même pour nous, ça aurait pu être rassurant », a avancé Me Caty Richard, avocate des parties civiles, tout en dénonçant une « stratégie de défense ». Ni l’accusé, ni ses proches n’avaient fait mention de quelconques problèmes mentaux avant la fin de l’instruction.

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Pour la défense au contraire, la violence de la scène de crime semblait balayer toute hypothèse d’un acte prémédité ou d’un meurtre crapuleux. « Il y a nécessairement eu un phénomène psychique » au moment où l’accusé a tué, a avancé son avocate, Me Schmelck. Le corps de Michel S. a été retrouvé baignant dans une mare de sang, lardé « d’un nombre de lésions difficilement quantifiable », ont rapporté les médecins légistes. Il présentait plusieurs coups de couteau au niveau du cou et du thorax, deux os fracturés et plusieurs dents fracassées.

Si troubles psychiques il y avait, étaient-ils cette histoire de démon, de « djinns » ou de forces obscures ? Ou pouvaient-ils résulter de l’intensité du refoulement de l’homosexualité de Mohamed E. ? « Cet intense questionnement sur son orientation sexuelle a pu influencer le comportement de l’accusé », a reconnu l’avocate générale, reprenant les analyses des psychiatres et psychologues appelés à la barre. L’altération du discernement a été retenue par la cour, ouvrant la voie à une réduction de la peine encourue d’un tiers.

Le refoulement examiné

Après cette semaine de débat devant la cour d’assises, c’est finalement la version donnée par Mohamed E. au début de l’enquête qui semble la plus plausible. Le jeune homme n’a jamais reconnu son homosexualité mais il a tout de même avoué s’être inscrit sur coco.fr dans l’idée de « se renseigner sur l’homosexualité ». Après avoir échangé avec Michel S., il l’a rencontré une première fois le 31 décembre 2017, au domicile de ce dernier. Selon ses dires, ils ont discuté de sport et de musique. « Il m’a aussi raconté comment il a su qu’il était homosexuel. »

Mohamed E. a ensuite proposé de le revoir quinze jours plus tard. Comme la première fois, ils se sont retrouvés à la gare de Pontoise, puis sont allés au domicile du comptable en voiture. « Je me suis assis sur le canapé. Michel S. était à coté : pendant tout ce moment-là j’étais rempli de stress, tétanisé », s’est souvenu le mis en cause pendant l’instruction. Entrevoit-il alors un rapport sexuel, ce qui le fait disjoncter ? Selon l’accusé, Michel S. aurait posé une main sur sa cuisse. Une bagarre aurait éclaté et Mohamed E. se serait muni d’un couteau trouvé dans la cuisine de son hôte.

"La société pleure aussi le constat que toutes les avancées pour la normalisation de l'orientation homosexuelle ne suffisent pas à enrayer le maintien d’un rejet par certains"

« Si Michel S. est parvenu à vivre sa sexualité, c’est la voie criminelle que Mohamed E. a choisie pour refouler son orientation sexuelle », a résumé l’avocate générale. Unis par leur homosexualité, ils avaient en effet eu deux trajectoires bien distinctes d’acceptation de soi.

D’un côté, il y avait Mohamed E, tout juste 18 ans à l’époque des faits. Né dans une famille musulmane, il ne pouvait manifestement ni évoquer son homosexualité, ni même se l’avouer. Il était sujet à un furieux désordre des sentiments, avec de l’attirance pour les hommes et de la haine contre les homosexuels. Il en a agressé plusieurs, et finira par en tuer un.

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De l’autre, il y avait Michel S., 55 ans, divorcé depuis plus de dix ans, père de quatre enfants. Il habitait seul, cachait son orientation à son entourage mais vivait une sexualité épanouie depuis qu’il pouvait recevoir des hommes chez lui. Certaines rencontres ont débouché sur de longues amitiés. Plusieurs de ses amants se sont succédé à la barre pour dire toute la bonté dont il faisait preuve.

« La société pleure Michel S.. La société pleure aussi le constat que toutes les avancées pour la normalisation de l'orientation homosexuelle ne suffisent pas à enrayer le maintien d’un rejet par certains », a déploré l’avocate générale. Le caractère homophobe du crime a été retenu. C’est parce qu’il était gay que ce père de famille a été tué, après avoir fait une mauvaise rencontre.

Crédit photo : CC, Wikipedia