De passage à Paris dans le cadre du festival Bédérama, Steven Appleby est le dessinateur trans derrière Dragman. Un roman graphique innovant et "multigenre", porté par un justicier travesti là pour casser les codes.
Tout a commencé avec une paire de bas. "Je devais avoir 18 ou 19 ans", évalue Steven Appleby. À peine majeur, le dessinateur vient d'emménager à Manchester, dans le nord de l'Angleterre, pour entreprendre des études d'art. Un week-end, ses deux colocataires s'absentent. L'appartement est déserté, l'ennui pointe le bout de son nez. "Je glissais ma main sous les coussins du canapé, comme quand j'étais enfant et que j'espérais trouver des pièces ou des bonbons, se souvient-il. C'est là que j'ai trouvé un collant. J'ai immédiatement eu envie de l'enfiler et c'est ce que j'ai fait." Comme une révélation.
L'illustrateur se rappelle de cet instant avec une étonnante vivacité. À raison, puisqu'il commence, dès cet essayage impromptu de bas féminins, à changer sa garde-robe. Exit les vêtements identifiés comme masculins : Steven Appleby investit dans des robes, des talons, des bijoux. "Ça ne m'avait jamais traversé l'esprit de m'habiller comme une fille, confie-t-il. Je rêvais surtout de me transformer en fille comme par magie." Aujourd'hui, et depuis maintenant des dizaines d'années, porter des bas est devenu quelque chose de naturel… et même d'inspirant pour l'artiste.
Dragman, héros singulier
Car c'est aussi en dénichant, un peu par hasard, une paire de collants qu'August Crimp découvre ses pouvoirs. August, c'est le nom du personnage central de son tout dernier roman graphique, Dragman, paru en 2020 et distingué au festival d'Angoulême. L'histoire d'un justicier travesti qui doit jongler entre tracas familiaux, traque de tueur en série et renversement du capitalisme. Tout un programme, pour une BD qui mêle polar, science-fiction et thématiques queers.
À l'exception de la féline Catwoman, Steven Appleby ne raffole pas des Clark Kent et consorts. Pour autant, concevoir un récit essentiellement super-héroïque s'est imposé comme une évidence. "Avec Dragman, je voulais être le plus sincère possible vis-à-vis de l'expérience trans en fonction de comment je l'ai vécue, détaille-t-il. Mais je me serais ennuyé si j'avais écrit mes mémoires. J'ai rajouté l'élément super-héroïque parce que j'ai réalisé que je connaissais autour de moi beaucoup d'hommes de mon âge qui se travestissent à temps partiel. Une fois par semaine, ils vont en club habillés en femme. Ils ont cette double identité. Comme Superman."
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De la déviance à la tolérance
L'auteur britannique dut lui aussi mener une double vie, se glissant en secret dans des tenues affriolantes. Mais il n'eut jamais vraiment à cacher cette partie-là de son quotidien à Nicola, le grand amour de sa vie. "Quand je suis tombé amoureux d'elle, je lui ai dit en l'espace de quelques semaines que j'aimais porter des vêtements féminins, explique-t-il. Un jour, on est allé acheter une perruque, du maquillage et j'ai enfilé une robe moulante. Elle m'a filmé avec une caméra. Je me suis toujours dit que j'aurais l'air stupide et que ce serait gênant. Mais en voyant la vidéo, je trouvais que ça rendait bien. Et ça a été un véritable déclic quant à ma perception de moi-même."
Steven et Nicola ne sont plus ensemble aujourd'hui mais demeurent en excellents termes, son ex s'étant notamment chargée des aquarelles dans Dragman. Et son soutien aura marqué un tournant pour le dessinateur, qui vit désormais sa féminité au grand jour. "Je me considère comme une personne trans mais je ne me vois pas comme une femme, tient-il à préciser. Je suis sur un spectre, quelque part au milieu. Ça me dérangerait de dire que je suis femme. Ce n'est pas l'expérience que j'ai vécue. Je suis une personne trans, tout simplement."
À travers les péripéties de son Dragman et les valeurs que ce héros de papier représente, Steven Appleby espère avoir une résonance dans le réel. "Je n'aime pas dire aux gens ce qu'ils doivent penser ou les sermonner, précise-t-il. Dans mon travail, j'essaie constamment d'être divertissant mais toujours avec un but. À l'époque, s'habiller avec des vêtements de femme était une déviance. Aujourd'hui, il est un peu plus facile d'être soi-même. Tout est moins figé. Le message de Dragman est un appel à la tolérance. Tout le monde devrait pouvoir être qui il souhaite être."
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>> Steven Appleby est de passage à Paris dans le cadre du Festival Bédérama, ce vendredi 15 octobre au Forum des Images. La billetterie pour assister à sa rencontre se trouve juste ici.
Crédit photo : Antonio Olmos