Non loin du Vieux-Port de Marseille, le Mucem ouvre ses portes à la mémoire des luttes contre le VIH-sida à travers l’exposition "VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie !". Une exposition dense et émouvante qui revient sur les 40 années d’évolutions, de doutes et d’espoir.
À l’entrée, un compteur affiche "127". Ce nombre qui ne cesse de grossir symbolise en temps réel celles et ceux qui se découvrent séropositives dans le monde. Soit une personne toutes les 19 secondes. Pour la première fois en France, un musée national retrace l’histoire du VIH-sida à travers les premiers cas, les mouvements de lutte mais aussi des témoignages et un cahier de doléances des travailleuses du sexe. Le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), à Marseille, accueille cette histoire jusqu’au 2 mai 2022.
Dans les allée,s des souvenirs, des œuvres d’art et des vidéos. "Ce que l’on a vécu, ce n’est pas rien", souffle Nathalie Le Conte, 51 ans. Elle qui vit avec le VIH depuis 1991 a participé à la mise en place de l’exposition. "On ne s'est pas battu pour rien. J’ai vu tous mes copains partir. Puis j’ai vu les premiers traitements arriver. Aujourd’hui, je suis très fière de cette exposition qui nous sort du silence, qui nous sort de l’ombre."
Intégrer le récit personnel au récit collectif
Son histoire, face caméra, ouvre l’exposition. Dans une ambiance intimiste, la vidéo nous emmène dans les rues de Marseille où l’on écoute un poème de femmes séropositives, et des témoignages. Beaucoup font le récit pour la première fois de leur séropositivité.
Un fin rideau sépare ces vécus de la première pièce. Ici se mêlent des photos d’artistes comme Andres Serrano aux unes de presse datant des années 1980-1990. Le reflet d’une époque pas si lointaine où Libération parlait de "cancer gay", quand Le Nouvel Observateur (devenu L’Obs) s’inquiétait que "la menace s’étend[e] aux hétéros".
"À travers cette exposition, nous voulions poser des problèmes contemporains et intégrer le récit personnel dans le récit collectif", souligne Françoise Loux, anthropologue et directrice de recherches au CNRS. "Nous sommes partis des militant·es, ajoute Stéphane Abriol, anthropologue et artiste. Nous leur avons demandé ce qui leur était important et nous avons construit cette exposition à partir de là." Lui a réalisé une œuvre qui se nomme "Triptyque : nécessaire de survie du séropositif au VIH".
Les pièces exposées proviennent, en partie, d’une collecte de 12.000 objets à travers 40 pays dans les années 2000 par le Musée des arts et traditions populaires. Après la fermeture de ce musée, cette histoire s’est retrouvée dans les réserves du Mucem, ouvert en 2013. Qu’en faire ? Quelle place leur donner ? Comment faire pour les mettre en valeur sans "muséifier" le VIH–sida ? Pour répondre à ces problématiques, il aura fallu quatre ans de travail. Résultat : une exposition dense, pédagogique et très touchante.
"Nous ne voulions surtout pas faire du sida un objet de musée, souligne Vincent Douris. Nous voulions que les personnes qui voient cette exposition comprennent que ce n’est pas un objet du passé mais qu’il reste encore beaucoup de luttes à mener. Notamment pour les droits des travailleur.ses du sexe (TDS) et des personnes migrantes."
VIH : l'inégal accès aux traitements
Viennent ensuite les photographies de ceux qui vivaient avec le VIH. Comme Jean-Louis, photographié en 1987 par Jane Evelyn Atwood pour Paris Match. Ici, par de voyeurisme mais la volonté de témoigner d’un vécu. Jean-Louis avait lui-même demandé la publication de ces clichés. À côté de ses images, des lettres d’une lycéenne qui raconte son désarroi à la mort de Jean-Louis.
Aujourd’hui, plus de trente ans plus tard, une personne positive au VIH et qui est sous traitement ne peut plus le transmettre. Son espérance de vie se rapproche même de celle d’une personne séronégative. Cependant, à ce jour, presque 30% des personnes qui vivent avec le VIH n’ont pas accès aux traitements, rappelle l’exposition.
Au fil de la déambulation, les photos laissent place aux luttes. Celles d’Act-up principalement. Des tee-shirts sont suspendus pour symboliser une manifestation. Les mots de Françoise Baranne, infirmière dans les années 1990, résonnent aussi. Elle décrit dans une lettre son travail auprès des personnes qui mourraient du sida à cette époque. Tout près, ce cadeau fait par la mère d’une patiente, morte depuis à cause du sida : un pendentif en forme de cœur. "J’entrais dans une relation très proche avec ces patients, reconnaît-elle. Je me rendais aux mises en bière et j’accompagnais souvent, avec ma collègue, le cercueil jusqu’au départ pour leur dire au revoir." Suit la lettre de Daniel Defert qui explique pourquoi il a voulu lancer l'association Aides.
Une mémoire fragile
"La mémoire des associations est fragile, explique Renaud Chantraine, anthropologue. L’idée de cette exposition est de rendre hommage à ses combats, de donner une mémoire aux luttes. En général, le temps des luttes empêche les associations de conserver cette mémoire pourtant indispensable à notre histoire collective."
Renaud Chantraine est l’un des huit commissaires de l’exposition. Comme Sandrine Musso, anthropologue décédée l’été dernier, ou Vincent Douris, responsable des recherches opérationnelles au Sidaction. À leur expertise s’ajoute celle des personnes issues de la société civile – pas moins de 90 personnes ont participé aux six journées d’études faites entre 2017 et 2019 –, faisant de cette exposition une oeuvre collective.
Seul bémol, la partie réservée aux personnes migrantes est un peu à l’écart. "Nous avons essayé d’équilibrer avec tout ce que l’on a reçu, mais ce n’était pas évident, souligne Caroline Chenu, chargée des collections du Mucem. Je regrette un peu la place de ce mur, même si les œuvres et les histoires des personnes migrantes se retrouvent tout au long de l’exposition."
À l’entrée, des fleurs ont été déposées mais aucun ministre n’a fait le déplacement pour l'inauguration. Ce que déplorent les associations, qui espéraient pouvoir parler santé sexuelle et prévention du VIH en ce début de campagne électorale. "Ce que j’attends de cette exposition, en dehors des politiques, c’est qu’une seule personne aille se faire dépister, continue Nathalie Le Conte. Si une seule personne va se faire dépister après cette exposition et découvre sa séropositivité, on sera là et on pourra lui dire qu’elle n’est pas seule et qu’elle va pouvoir vivre. Qu’on ne s’est pas battu pour rien."
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La visite se termine sur une sirène qui envahit l’espace. Une voix humaine hurle dans le musée pour rappeler l’urgence de la situation. Celle de mettre un terme à l’épidémie. Celle de dépister le plus largement possible et de permettre ensuite d’avoir accès à des traitements. Ce qui permettra, à terme, d’éradiquer ce virus qui continue de se propager. À l’entrée de l’exposition, le compteur affiche désormais "380".
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Crédit photo : Mucem/Marianne Kuhn