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interview"Le VIH n’empêche pas de vivre" : rencontre avec Nina Champs, artiste et activiste trans en Belgique

Par Olga Volfson le 01/12/2021
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Après quatre ans de vie commune avec le VIH, Nina Champs a décidé de prendre la parole en tant que femme trans non-binaire séropositive, aussi bien dans son art que dans le militantisme LGBTQI+ et féministe. Une représentation qui lui a manqué dans sa propre construction… Rencontre.

À seulement 24 ans, elle a déjà écrit une pièce de théâtre et investi des collectifs militants qui changent le monde, et plus particulièrement le paysage militant de Liège, en Belgique. Mais la France a pu la découvrir plus récemment, dans le métro parisien ou sur les réseaux sociaux... Nina Champs, femme trans non-binaire belge, prend en effet la parole sur sa vie avec le VIH dans la campagne du 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le VIH/sida, de l’association AIDES.

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Autrice, danseuse, DJ, metteuse en scène, comédienne, Nina a donné les trois premières représentations de sa pièce qui parle de VIH et de sérophobie, Hurler à la mer, cet automne. Sur les planches comme à la ville, c’est avec le collectif pluridisciplinaire queer Les Bastards qu’elle oeuvre à faire évoluer la vie culturelle et politique liégeoise, avec notamment la création de soirées Transpédégouines et son relai actif des groupes de parole transfem de sa ville. "On ne peut plus nous ignorer, car on fait front !", nous affirme-t-elle, émue, en parlant de sa famille choisie. Un entretien qui aura nécessité le sacrifice de plusieurs mouchoirs, pour les deux paires d’yeux présentes.

Tu es l'un des cinq visages de la campagne #leVIHnempechepas de AIDES. Qu’est-ce que ça te fait ?

Je suis très honorée. Je suis liégeoise, mais l'impact des campagnes françaises est fort en Belgique. Et quand je me sentais mal vis-à-vis du VIH, elles m’ont fait du bien. Je suis d’autant plus fière de faire partie de cette campagne à visage découvert sur les discriminations faites aux personnes séropositives en tant que femme transgenre non-binaire. Et je suis très contente de ce que AIDES a fait de nos témoignages !

Tu as déjà eu des retours sur cette campagne ?

Oui. Il y a pas mal de personne séropositives, cis ou trans, qui m'écrivent pour me remercier d’être visible.

Tu as découvert ta séropositivité a 20 ans, tu en as 24 aujourd’hui. D’où te vient cette force pour en parler aussi ouvertement, en si peu de temps ?

Quand on m'a diagnostiquée, on m'a expliqué que je pouvais devenir indétectable. Depuis, je n’ai jamais compris la violence des discriminations sérophobes. Indétectable ou non, d’ailleurs, on ne devrait pas être discriminé·es, mais le fait est que scientifiquement, il n'y a tout simplement aucun motif valable pour le faire, ni pour que j'en fasse un tabou dans ma vie. Parler a été un exutoire pour moi, puis en voyant le bien que ça faisait à d'autres personnes, j'ai eu envie de continuer. J’ai aussi voulu apporter une représentation, trop rare, de femme trans séropositive. 

Tu en as eu, toi, des représentations qui t’ont aidée dans ton parcours ?

La seule représentation positive d'une femme trans vivant avec le VIH que j'ai eue, c'est Blanca dans Pose... Mais l’histoire se passe dans les années nonante ! J'ai souvent l'impression que l'on sous-estime notre importance parmi les populations les plus exposées à l'épidémie. Il faut bien se rappeler que dans les années 80-90, les femmes trans étaient comptées comme ce qu'on appellerait aujourd'hui “HSH”, car pas considérées comme des femmes. Mais nous aussi, avons beaucoup de mortes du sida à pleurer.

Tu as donc décidé d’incarner cette représentation qui t’avait manqué ?

En quelque sorte. Vivre à la fois la transphobie et la sérophobie, c'est particulier : on n’a de respect ni pour notre identité de genre ni pour notre statut sérologique. Les deux ensemble, c'est lourd, et puis, j’ai été travailleuse du sexe, donc la putophobie, j’ai donné aussi ! Mais quand je parle avec des sœurs trans qui vivent avec le VIH, ça leur fait du bien, et à moi aussi. Cependant, je me rends bien compte que cette visibilité pourrait m'empêcher d'avoir un travail un jour, par exemple, c'est à double tranchant. Mais l'urgence du propos est plus importante que ma nécessité propre, individuelle.

Comment es-tu passée du stigmate de "la maladie honteuse" à la sérofierté ?

La maladie de la honte, c'est l'idée collective qui la transmet, aussi bien aux personnes touchées par le VIH qu'aux séronegs, parce que c'est un virus qui est sexuellement transmissible. À la découverte de ma séropositivité, j’ai sombré dans la dépression. Mais un jour, un ami m’a dit "Je suis la somme de mes expériences". J'ai alors compris que je n'avais pas à avoir honte d'être séropo, et j'ai pu passer à la sérofierté. Ensuite, quand j'ai commencé ma transition, il a été crucial de me dire "je m’aime", et le VIH faisait partie de ce que je devais chérir, dans la la somme de mes expériences.

Tu auras vécu deux phases de transition très proches, finalement…

Oui, ma séroconversion a été violente, mais elle m'a donné de la force pour transitionner parce que mon regard sur la vie, et sur moi-même, avait changé. Je suis fière de mon parcours parce que je n'ai jamais été aussi heureuse de ma vie que là, à cet instant T !

"Le VIH n’empêche pas de vivre" : rencontre avec Nina Champs, artiste et activiste trans en Belgique

Pourquoi y a-t-il si peu de visibilité femme et trans sur le VIH ?

Historiquement, on a qualifié l'épidémie de "cancer gay" et c’est une image qui persiste. Les HSH sont extrêmement touchés, bien sûr, mais j'ai l'impression que c'est ce qu'on retient de la majorité des campagnes de prévention. Mais qui dit public isolé, dit public plus propice à la contamination. Et en tant que femmes séropositives, cis ou trans, on se sent souvent bien seules. C’est est pour ça aussi que je suis si heureuse de faire partie de la campagne #leVIHnempeche pas de AIDES : on a deux femmes cisgenres, dont une femme noire et une femme blanche bientôt soixantenaire, et une femme transgenre... en plus de deux profils d'hommes gays. Ça inclut vraiment les publics concernés !

Les luttes féministes et queer abordent-elles assez la question du VIH ?

Clairement pas. Notamment dans les questions de harcèlement sexuel, de viol, on ne parle pas du VIH. Quand une personne est violée, on lui donne le TPE, mais pourquoi on n'en parle pas dans les revendications féministes ? Où est la mobilisation pour les droits des femmes séropositives ?

Qu’aimerais-tu voir comme mobilisation sur le sujet ?

J'aurais besoin d'entendre des femmes dire qu'elles ont le VIH. J'aimerais que les jeunes soient beaucoup plus informé·es. La génération Z tiktok, je les adore, iels développent une queerness que moi, à leur âge je n'avais pas… Mais j'ai parfois l'impression que pour elleux, le VIH, c'est loin. Sauf que ce n'est pas le cas. J'en sais quelque chose : je suis tombée des nues à mon diagnostic.

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C’est différent sur ces sujets en Belgique ?

Je travaille avec des assos en Belgique mais je me sens plus proche de ce qui se fait en France, aussi bien sur le VIH que sur les sujets trans. La ferveur que vous avez pour vous battre pour vos idées en France est impressionnante, sans doute parce que les clivages sont plus importants qu’en Belgique, où nous n’avons ni une Le Pen à 20% ni un Zemmour en train de monter. Ici, une asso dont je tairai le nom m'a fermé la porte pour faire de la prévention car je n'étais plus un homme gay !

Pardon ?

Eh oui. "Not all" mecs cis gays, mais j’aimerais vraiment qu'ils soient plus alliés. J'ai l'impression que leurs privilèges d'hommes leur fait penser parfois qu'ils sont les seules victimes de l’épidémie et des discriminations. Certes, il n'y a pas à mesurer et comparer les souffrances, mais vous n'êtes pas les seuls !

Et la sérophobie, tu as la sensation qu'on en parle plus aujourd’hui ?

Oui, ça bouge. Personnellement, depuis que j'en parle, je vis beaucoup moins de sérophobie, et j'ai des ami·e·s qui révèlent leur statut. Cette prise de parole permet un cercle vertueux, et pour moi, ce sont des victoires ! Après, c’est délicat de jauger, en tant que personne visiblement séropositive, j’entends souvent "génial, j'ai appris plein de choses !", mais ces gens vont-ils les appliquer dans leur quotidien ? La visibilité est là, mais les actes ? Je pense qu'il faut surtout retourner faire de la prévention dans les écoles, parce que c'est l'avenir et que c'est en misant sur l'avenir qu'on viendra à bout de ce virus et de la sérophobie.

En ce moment, tu as une autre grosse actu : ta pièce de théâtre sur le VIH, Hurler à la mer, qui a eu ses premières représentations à Liège. Quels sont les retours du public ?

Les gens ont été touchés par ce travail de mémoire sur le VIH. La pièce, qui est inspirée de mon parcours sans être romancée, contient des passages très lourds, pour que les personnes non-concernées puissent faire face à la violence qui émaille nos parcours de séropos et la comprendre. À la troisième représentation, on avait organisé un débat et on m’a posé beaucoup de questions sur la Prep, le traitement comme prévention, le TPE... On nous a dit qu’elle devait être vue, y compris dans les écoles. On a le sentiment d’avoir été entendu·es. 

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Mission accomplie !

Oui. Et il y a aussi eu un femme, cis et hétéro, qui s’est levée à la fin d’une représentation et qui a dit qu’elle vivait avec le VIH depuis 1987. On s’est vues, on en a parlé, et quelques semaines après, elle a fini par le dire à sa fille, née en 2003 ! Aujourd’hui, elle se sent prête à parler de sa vie de séropositive, et on va le faire ensemble.

"Le VIH n’empêche pas de vivre" : rencontre avec Nina Champs, artiste et activiste trans en Belgique

Pourquoi avoir intégré des passages dansés dans cette pièce ?

Le corps peut parfois exprimer des choses que les mots ne peuvent pas dire. Et mon rapport au corps est particulier parce que j'ai perdu du poids suite à mon diagnostic, que je suis en transition et que la danse a été un échappatoire après la dépression qui a suivi ma séroconverstion. Pour certains passages, c’est aussi de la pudeur : j’ai préféré faire danser que d’énoncer. Et si tout avait été dit, sans danse, là, ça aurait été extrêmement lourd. La danse est un espace de respiration dans cette œuvre, grâce à la chorégraphie de Mathilde Bosquet.

Ce qui interpelle aussi beaucoup, c'est que tu joues ton propre rôle, y compris pré-transition... Comment gères-tu cela ?

J'avais besoin de dire au revoir à cette partie-là de ma vie, à mes traumas. J’ai d’ailleurs fait un travail de posture pour cette partie du rôle : j'ai demandé à mes proches comment je me tenais pré-transition et j'étais en position recroquevillée, la tête vers le bas, constamment. Le premier soir a été difficile. Mais ça a été un vrai exutoire et pour ma séropositivité et pour ma transidentité mais je pense que c’était la plus belle manière de sublimer cette partie de mon histoire. Et puis, qui d'autres de mieux que moi pour jouer ce rôle ? Après, ça deviendra peut-être délicat quand mes seins auront poussé, nous verrons bien.

On va voir cette pièce en France bientôt ?

On y travaille. Notre objectif est entre autres de pouvoir jouer certaines dates dont les bénéfices pourront être reversés à des assos de lutte contre le VIH. On a monté ce projet avec 5.000 euros pour 10 comédien·nes : je crois en cette troupe !

Quel message voudrais-tu faire passer aux personnes séropositives ?

Vous n'êtes pas responsables d'avoir contracté ce virus. Vous n'avez pas à avoir honte et personne n'a le droit de vous le faire croire. Vous êtes magnifiques et vous méritez le plus bel amour qu'il y a sur Terre. Vivez, réalisez vos rêves, car le VIH ne vous empêche pas de vivre !

Et aux séronégatif·ves ?

Informez-vous. Soyez empathiques. Écoutez et respectez les personnes qui vivent avec le VIH. Ne les jugez pas, et n'essayez pas de me faire croire que vous n'avez jamais zappé de mettre une capote, hein ! Ce virus concerne tout le monde.

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Crédit photo : Laetitia Bica