Vous aviez peut-être découvert l'an dernier son témoignage "Enceint" dans l’émission Les Pieds sur Terre sur France Culture. Rencontre avec Ali, qui milite corps et âme pour qu'une protection juridique des transparentalités soit mise en œuvre.
Mariés en 2017 par les Soeurs de la Perpétuelle Indulgence (et accessoirement dans une mairie de Seine-Saint-Denis), Ali et François ont donné deux ans plus tard naissance à Salomé. Désormais "Pali" et "Doud" pour leur "petite personne", ils ont marqué un tournant décisif dans l’histoire des parentalités trans en France. En effet, militant de longue date des luttes notamment auprès de l’association Outrans, Ali est le premier homme enceint à avoir été reconnu père de l’enfant dont il a accouché.
À lire aussi : Nouvel émoji homme enceint : bingo transphobe chez Cyril Hanouna
En 2021, Ali et François ont pris la parole dans le podcast "Enceint", sur France Culture, après mûre réflexion commune. "Certes, c'est moi qui ai porté l'enfant, mais on était deux à la concevoir, on est deux à l'aimer", précise Ali, qui décrit tendrement son époux comme "le garde-fou de leur intimité". Après de nombreuses reprises dans les médias, nous avons voulu débriefer avec celui qui est devenu, un peu malgré lui, la "hotline" de la paternité trans.
À la naissance de la petite personne, François et toi n’étiez pas sûrs de prendre la parole sur votre parcours. Pourquoi ?
Ali : On nous a fait comprendre que ce serait bien qu'on n'en fasse pas quelque chose de public, pour nous, parce que l'acte était quand même attaquable en nullité. Il l'est toujours. Et ça reste une angoisse.
Finalement, en 2021, tu t’es exprimé dans 5 médias différents. Qu’est-ce qui t’a fait prendre le risque ?
On voulait montrer que c'était possible et donner de la force aux adelphes, leur montrer que ça pouvait être joyeux, aussi. Et que plus on serait nombreux à le faire, moins on serait attaquables ! Le changement d'état civil pour les personnes trans sans stérilisation a été acté en 2016, et maintenant on voudrait défaire les actes de naissance de nos enfants qui en découlent ? Notre objectif est plutôt d’obtenir du Ministère qu’il fasse une circulaire pour garantir aux parents de même sexe à l'état civil une filiation établie dans leur bon genre, en tant que parents, quand l’un·e des deux est trans.
"On doit monter au créneau sur les revendications quant aux parentalités trans : l'agenda politique, c'est nous qui devons l’imposer !"
C’était donc une décision militante ?
Oui, nous sommes activistes tous les deux depuis longtemps et raconter notre histoire, c’était un acte politique. Mais je ne représente que moi-même, et nos histoires sont si diverses... Je voudrais que ce soit une association qui prenne en charge ces questions-là. Mais les assos trans ont tellement la tête sous l'eau, et bien d'autres urgences liées à notre précarisation, que ce n’est pas leur priorité. Les assos de parents LGBT commencent à s'en emparer, ceci dit, notamment une commission trans et parentalité à l'APGL. On doit monter au créneau sur les revendications quant aux parentalités trans : l'agenda politique, c'est nous qui devons l’imposer !
À lire aussi : Transidentité : des droits, maintenant !
Tu as été en contact avec combien d’autres mecs trans désirant porter leur enfant ?
Une bonne quinzaine sur ces deux dernières années, qui voulaient des conseils. J'interviens aussi régulièrement sur des groupes Facebook de parentalité trans et queer, des groupes de personnes transmasculines.
Quels sont les retours que tu as eus à la suite de ces interviews ?
Globalement, beaucoup d'amour, d'encouragements, de soutien et de retours très valorisants. Et ma famille était méga fière ! Pour certains hétéros cis, il a pu être difficile de comprendre notre démarche. Autant faire un enfant, « aller au bout de son désir de parentalité », oui, mais le visibiliser, pourquoi ? Mais bon, de la part de personnes qui n’ont jamais eu à s’interroger sur les conséquences d’embrasser leur mec ou leur meuf dans la rue, hein...
"Une grossesse n'est pas forcément féminine... ce qui est un des non-dits des transmasculinités."
Pas trop de débats relous ou de trolls ?
On aurait pu penser que c'était une discussion en marge, mais face aux réactions, je réalise combien ça questionne à la fois notre communauté et nos allié·e·s. Les rageux ne changeront pas d'avis. Mais les gens qui étaient entre deux ont pu prendre conscience des injustices en place, réaliser qu'une grossesse n'est pas forcément féminine... ce qui est un des non-dits des transmasculinités.
Et dans la vie de tous les jours ?
Il y a un couple de voisines qui sait, on s'entend bien, et personne d'autre ne nous en parle dans l’immeuble. À la crèche, la directrice et le personnel ont été incroyables, touché·e·s et en demande de ressources. On s’est même retrouvés à leur donner une liste de livres aux représentations diversifiées ! Sinon, on a souvent la question "Je ne voudrais pas être indiscret, mais comment vous l'avez eue aussi jeune ?". On répond que ça nous regarde, parce qu’on ne va pas raconter notre vie à tout le monde. Mais parfois, on fait une exception, comme quand cette dame périgourdine nous a dit que son fils pédé voulait faire un enfant avec son amoureux… et ce sont de beaux échanges.
L’ouverture de la PMA est passée, mais la loi exclut les personnes trans. Penses-tu que vos cas pourront faire évoluer le cadre légal des filiations et transparentalités à terme ?
Oui, il le faut. Mais on ne change pas un cadre légal comme ça. Je le sais d’expérience personnelle, puisque j’ai fait partie des premiers dossiers avant qu'il y ait la loi sur le changement d'état civil sans stérilisation en 2016. Cette loi, on l’a obtenue grâce aux nombreux dossiers de plaidoyer qu'on a montés avec des assos trans. Et avant cette loi, sous Sarkozy, il y a eu une circulaire par Michèle Alliot-Marie qui disait aux tribunaux d'accepter les changements d'état civil sans stérilisation forcée.
"L'autre gros enjeu, c'est penser les réparations pour les personnes trans que l'on a fait stériliser de force, avant le passage de la loi."
Les institutions veulent bien se bouger, mais seulement devant les faits accomplis, du coup ?
Ben ouais. Ce sont les cas qui font loi ! C'est aussi l'abolition de la mention de sexe à l'état civil qu'on veut, mais tant qu’on n’y est pas, c’est cette circulaire pour la reconnaissance des parentalités trans dans le bon genre à l'état civil qui doit suivre. L'autre gros enjeu, c'est penser les réparations pour les personnes trans que l'on a fait stériliser de force, avant le passage de la loi en 2016. Ne serait-ce que des excuses publiques quant au sabotage des corps des personnes trans pour les faire correspondre à une idée bien réac’ des normes de genre.
Tu as dit avoir adoré ta grossesse. Tu songes, vous songez, à une deuxième ?
Tout le temps ! Mais on n'arrive pas encore à se décider, car ça bouleverse quand même beaucoup de choses d'accueillir et d’élever un enfant. Ça demande beaucoup d'amour, de patience, de repos, de communication. On verra...
Qu'as-tu envie de dire aux personnes trans qui envisagent de fonder une famille mais qui ont peur de se lancer ?
Faites votre cocon avec la personnes avec qui vous décidez de concevoir un enfant, entourez-vous bien... Puis blindez-vous d'informations juridiques avec un bon avocat, et auprès d'une asso, pour y aller bien préparé·e·s. Et aussi, n'essayez pas d'éduquer les gens à tout prix, c'est très fatigant et avec un enfant, vous aurez de vraies jolies choses sur lesquelles vous concentrer !
À lire aussi : Transidentité : des droits, maintenant !
Crédit photo : Løop @letireurdeportraits