Parolière inspirée et militante assumée, P.R2B incarne le nouveau souffle lesbien dont la variété française avait besoin. Rencontre.
Lorsqu’on lui demande en quel·le artiste elle se reconnaît, P.R2B refuse de trancher. Pour cause, la chanteuse berruyère se veut autant fille spirituelle de Catherine Ringer que de Brigitte Fontaine. La première “pour l’incarnation et la voix, chaude et sans retenue”, la seconde “pour la radicalité des choix musicaux”. Des traits que l’on discerne dans Rayons gamma, son premier album aux influences plurielles et à la poésie ciselée. Sachez une chose : Pauline Rambeau de Baralon – son nom à l’état civil – s’exprime avec autant d’agilité en chanson que lors d’une discussion décontractée autour d’un café. Ses idées sont fluides, concises, et ses valeurs brandies avec une fierté revigorante. À 30 ans, elle sait ce qu’elle veut, et encore mieux ce qu’elle représente. Mais derrière les envolées lyriques et les sourires échangés, la jeune musicienne est en pleine ébullition.
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C’est en étant exposé à des rayons gamma que Hulk obtient sa force surhumaine. Écouter ton album, ça va faire de nous des super-héros ?
P.R2B : J’espère ! Pour moi, son titre désigne un peu cette transformation : la puissance passe toujours par une souffrance. C’est ce que j’ai envie de faire ressentir avec cet album. C’est une mise en puissance de soi, en passant par toutes les émotions possibles.
Niveau émotions, on décèle dans une majorité des morceaux une rage palpable...
Je crois que je bouillonne ! C’est une rage liée au constat que le monde n’est pas toujours très beau. Je vois, je vis, je parle avec mes ami·es, j’observe le monde, et tout ça peut être transcendé. C’est comme le rayon gamma et Hulk. On passe d’un constat à une rage qui a besoin d’exploser. À mes yeux, c’est ça la musique. Le live représente la finalité suprême, quand on transcende ça tous ensemble. J’ai besoin de cette catharsis pour vivre.
Rayons gamma est un album qui modernise à sa manière la variété française. C’est ton genre de prédilection ?
J’ai effectivement une culture de la chanson française, ayant grandi avec des icônes pop comme Mylène Farmer, Brigitte Fontaine, Barbara... Ce sont des artistes qui effleuraient toujours d’autres genres. Par la suite, je me suis mise à écouter beaucoup de musiques sans texte. Du jazz ou de l’électro. Mes chansons se sont structurées autour de cette dualité : une écriture extrêmement chantée et une pratique du son très peu fondée sur la variété française. “La Chanson du bal” est le meilleur exemple de cette alliance.
La figure de la mère occupe une place majeure dans ton univers musical. Comme dans la vie finalement !
Mon vrai opposant dans la vie, ça a toujours été la société. Dans le monde dans lequel mes parents m’ont éduquée, l’art pouvait tout sauver, et personne ne pouvait se faire attaquer tant qu’il y avait de l’amour. Puis je suis arrivée au collège et j’ai réalisé que, non, ça ne marchait pas comme ça. Quand je convoque l’image de la mère, c’est aussi ce sentiment de fracture que je veux souligner : le passage de la rêverie au concret. Il y a dans ma musique quelque chose de nébuleux et de terrien à la fois. Le rapport que j’ai avec ma mère est celui qui transfigure le plus ce décalage-là.
Ton père aussi est présent, notamment dans le titre “Lettre à P.”, comme un hommage. C’est lui qui t’a inculqué le goût de la composition ?
Mon père était guitariste. Je l’ai beaucoup vu travailler. On trouvait beaucoup de plaisir à faire de la musique ensemble ; je venais, je bidouillais. Dans la maison qu’on avait, à Bourges, il avait sa pièce, dont les portes étaient insonorisées. C’était un espace à part, sans fenêtre, une sorte de bulle faite pour créer. Je m’y suis retrouvée à plein de moments, c’était comme un bunker où je me sentais protégée du monde.
J’ai aussi remarqué que le gin était plusieurs fois mentionné dans tes chansons. Avoue, c’est ton alcool préféré !
En vrai, je prends toujours des gin-tonics en club, donc il y a quand même un truc. (Rires.) Mais, sinon, c’est pour la sonorité du mot et les autres sens qu’il invoque. On pense aux djinns, aux démons, par exemple. J’adore quand il y a de l’ambivalence dans les mots.
"Mes chansons sont faites pour être chantées à des gens qui ne viennent pas forcément de Paris intra-muros."
Tu te décris en chanson comme une “petite fille de province”. Beaucoup d’artistes essaient de gommer leurs origines. Toi, c’est le contraire ?
Si je n’étais pas née à Bourges, dans cette famille, si je n’avais pas eu cette éducation, je ne ferais pas ce que je fais aujourd’hui. Tout le monde n’est pas né à Paris. J’ai grandi dans le Cher, où tout est plat, où le vide est roi. Tout te paraît très calme. Et de ce calme naît beaucoup de rage. C’est intéressant de témoigner de ça. Mes chansons sont faites pour être chantées à des gens qui ne viennent pas forcément de Paris intra-muros.
As-tu l’impression qu’avoir grandi en dehors de Paris a été un frein à ta carrière ?
Ça reste un frein car tu es toujours perçue comme un cul-terreux qui ne connaît pas le langage, et c’est difficile de se détacher de cette image. Ça, c’est sûr. Après, je pense qu’on est quand même parvenu à déboulonner cette figure de l’artiste parisien branché. C’est épuisé, aujourd’hui.
"Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il faut justifier le nombre croissant d’artistes gouines."
Et ton homosexualité, c’était un obstacle ?
Je pense que mon homosexualité a été un combat au long cours. Je me suis blindée, donc quand je suis arrivée dans le milieu de la musique, je n’allais pas me prendre une déflagration. J’avais une armure depuis un certain nombre d’années. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il faut justifier le nombre croissant d’artistes gouines. Et l’homophobie se trouve aussi là-dedans. On nous dit : “Avant, vous n’existiez pas, et, maintenant, vous êtes partout.” Comme si c’était une affaire de colonisation. Comme si l’homosexualité était un effet de mode. Cette idée me rend folle parce qu’elle n’est pas vraie.
D’ailleurs, ce mot, “gouine”, l’utiliser dans une chanson francophone, c’est quand même fort !
Ça n’a pas été une grande question. Je dis “gouine comme un nuage dans le ciel”. C’est l’image d’une chose qui dérange. Il m’a été adressé, donc il fallait que ce mot soit là. “Qui sont les coupables” est une chanson politique. Ça me fait toujours quelque chose de la chanter sur scène. C’est une vraie chanson de prise de pouvoir. Tout ce que j’y dis est fait pour percuter. C’est un titre fait pour danser, certes, mais qui dans ce qu’il exprime au fond me fait l’effet d’un combat de boxe.
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Sur cette même chanson, tu dis : “L’enfer, c’est que sans rien faire, ça dérange déjà pas mal de personnes.” As-tu déjà été confrontée à l’homophobie ?
Pendant longtemps, j’ai géré l’homophobie par le détachement en me disant “ça ne me touche pas”. Et j’avoue en avoir marre. (Rires.) C’est dingue d’avoir été éduquée avec cette idée que la réponse noble, c’est le silence. Je n’y crois plus. L’homophobie, j’ai beaucoup eu à m’en défendre, mais il faut aussi défendre les autres. Et, pour ça, il est nécessaire d’ouvrir sa gueule. Il faut digérer la honte et s’en servir pour contre-attaquer.
Comment penses-tu représenter la communauté lesbienne ?
Je suis lesbienne et je l’assume. Mes titres “Ma meilleure vie” et “La Chanson du bal” sont des chansons d’amour avec un propos universel, mais ce sont aussi des chansons de gouines. C’est un postulat auquel je ne dérogerai pas. Ça ne me dérange pas qu’on me renvoie à quelque chose qui fait partie de moi. C’est pile là, maintenant, alors que les choses bougent, qu’il faut être militant.
Bon nombre d’artistes out essaient au contraire de faire en sorte que cette partie de leur identité ne soit pas trop visible...
Parce que, pendant longtemps, ça a été tellement dur. Et puis il y a cette peur d’être catalogué. Mais moi, maintenant, je me dis que ceux qui cataloguent sont des gros cons. Et est-ce que je fais de la musique pour les gros cons ? Non. Si les gens sont intelligents, ils comprendront bien que je ne me réduis pas à ma sexualité. Quant aux autres, tant pis pour eux. (Rires.)
>> Rayons gamma, de P.R2B. Déjà disponible en CD et vinyle.
Crédit photo : Audoin Desforges (remerciements À la folie Paris pour le décor)