Comme demandé dans son duo avec Mylène Farmer, on n’a pas oublié LP. L'artiste revient avec un nouvel album, Churches, et un nouveau pronom : iel. N'en déplaise à Jean-Michel Blanquer.
>> Cette interview est à lire dans le numéro d'hiver de TÊTU en kiosque
En 2018, LP avait conquis le public français avec “N’oublie pas”, son duo vibrant avec Mylène Farmer. Depuis, le coup de foudre s’est mué en relation stable avec, en mars, une date à la salle Pleyel, et un passage à l’Alhambra cet automne. Ouvertement lesbienne et de genre neutre, l’artiste américain·e a longtemps écrit pour les plus grandes pop stars de la planète, comme Cher, Rihanna ou Christina Aguilera, avant de faire entendre sa propre voix – à la fois haut perchée et rauque – et de connaître le succès avec “Lost on you”, en 2015. À l’approche de la sortie de son sixième opus, Churches, nous l’avons rencontré·e à Paris, le 8 octobre – date de la Journée internationale des lesbiennes, ça ne s’invente pas...
Ton album s’appelle Churches, et ton dernier single “Angels”. C’est un retour au spirituel ?
Ce titre m’est venu quand j’étais dans une période très spirituelle, où je priais et méditais beaucoup. D’habitude, j’écris plutôt sur les meufs, l’amour, et je pense que “Churches” est la chanson la plus politique qu’il m’ait été donné d’écrire jusqu’ici. Quand je dis “my church is you” (“mon église, c’est toi”), je pense à mes ami·es, à mes fans, aux gens en général, à tout le monde !
Tu es croyant·e ?
Je ne veux pas dire que je n’aime pas les religions organisées, car je ne veux pas critiquer les croyances de qui que ce soit. On a tous·tes une église en nous, que ce soit ton équipe de foot préférée ou quoi que ce soit d’autre qui te fait être la meilleure version de toi-même. Du moment que ça ne fait de mal à personne, si c’est ça qui te connecte à dieu, c’est ce que je te souhaite, car je ne veux priver personne d’une relation divine. La mienne enrichit ma vie, me fait me sentir bien, et je n’ai aucune envie qu’un·e athée vienne me dire qu’“il n’y a pas de dieu”. De la même manière, je refuse que mes parents me disent que le père Noël n’existe pas : je sais qu’il existe !
Ton duo avec Mylène Farmer est resté numéro 1 des charts pendant trois semaines...
Tout le monde me demande : “Comment elle est en vrai ?” Mais vous croyez vraiment que je vais vous le dire ? Déjà, elle me tuerait. Mylène Farmer, c’est comme Las Vegas, ce qui se passe chez elle reste chez elle. C’est comme si elle effaçait ma mémoire avant chacun de mes départs.
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Vous vous voyez toujours ?
Oui, d’ailleurs nous allons dîner ensemble demain soir.
En 2020, tu as sorti un live à Moscou, enregistré l’année d’avant. Pourquoi là-bas ?
Si l’on m’avait dit il y a quinze ans que je jouerais devant plus de 7 000 personnes dans la capitale russe, je ne l’au- rais jamais cru. Et ma carrière continue de me surprendre, même si j’ai énormément travaillé en ce sens. Donc, pour- quoi Moscou ? Parce que pourquoi pas !
Malgré le climat et les lois LGBTphobes ?
Et je n’ai pas non plus vérifié les opinions politiques des personnes à l’entrée de la salle de concert. J’essaie tou- jours de traiter les gens avec respect, car je tiens à montrer comment j’aimerais que l’on me traite, moi. Là-bas, j’ai été reçu·e avec beaucoup de gentillesse, peut-être est-ce à cause de mon statut d’artiste ou de ma musique, mais j’es- saie de ne pas trop m’en inquiéter, et de rester ouvert·e. Et puis j’aime l’idée d’être cette petite graine dans l’esprit de quelqu’un qui se souviendra que j’ai été sympa et qui, du coup, changera peut-être d’avis sur sa cousine lesbienne. Je crois vraiment à l’effet papillon.
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Si ça ne te dérange pas d’en parler, tu as évoqué plusieurs fois ton rapport à ton genre, neutre, et un certain niveau d’inconfort sur la question des pronoms. Est-ce toujours le cas ?
Ces derniers temps, je comprends de mieux en mieux les néopronoms, grâce à un·e ami·e qui a réussi à me les ex- pliquer d’une manière qui a fait écho en moi, alors que les 800 fois d’avant ne m’avaient pas convaincu·e. Jusqu’ici, je me disais que ce n’était pas mon combat. Comme j’avais déjà réussi à faire en sorte que tout le monde m’appelle LP, je me voyais mal, en plus, reprendre les gens sur mon pronom. Même si je n’ai pas de problème avec le féminin, que je m’approprie aussi à ma manière, aujourd’hui j’aime le neutre, vers lequel je vais de plus en plus. Je sens que je l’investis.
Pour cette interview, tu veux que j’utilise “elle” pour “she” ou “iel” pour “them” ?
Utilise ”iel” ! Grave, commençons.
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Et une victoire de plus pour le lobby non-binaire !
Carrément. Et puis je le suis pas mal, quand même, non-bi- naire, alors autant y aller à fond ! C’est inspirant de voir toute une nouvelle scène queer gérer son identité avec beaucoup de grâce : on est là, que vous le vouliez ou non. Ça me remplit de joie de me dire que le chemin est plus facile pour les jeunes générations, qu’ils perdent moins de temps et d’énergie avant de commencer à vivre réellement !
Penses-tu avoir manqué de modèles queers ?
Heureusement, j’ai eu Freddie Mercury, David Bowie, mais aussi Melissa Etheridge et Tracy Chapman, parolières et chanteuses exceptionnelles qui ont vraiment fait bouger les lignes en tant que lesbiennes présentes sur la scène musi- cale. La manière dont ces artistes ne s’excusaient pas d’être elleux-mêmes m’a beaucoup marqué·e. J’ai longtemps dé- testé le mot “lesbienne”, mais maintenant je m’en fous. Si les gens ne voient pas que je le suis dans les cinq premières secondes, alors je suis vraiment désolé·e pour eux et leur vi- sion bien étroite du monde ! Je n’ai besoin de la permission de personne pour être et faire ce que je veux, et bonne chance à qui voudra essayer de me forcer à quoi que ce soit...
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Crédit photo : Shervin Lainez