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sexoLe sexe anal chez les lesbiennes, entre plaisir et tabou

Par Tessa Lanney le 02/03/2022
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Dans l'imaginaire collectif, le sexe anal est surtout associé à la prostate. Pourtant, plaisir féminin et sodomie ne sont pas incompatibles. Seulement, entre femmes, le sujet est rarement abordé. Alors parlons-en !

"Hit the Back" (ré)clamait King Princess, icône lesbienne que l'on ne présente plus. Une injonction qui lève le voile sur un tabou prégnant : l'anal dans les couples lesbiens. L'anal représente une zone de flou, un non-dit, un secret de polichinelle. Car si, comme tout acte sexuel, ce n'est en aucun cas une astreinte et nécessite le consentement des deux parties, les lesbiennes aussi peuvent prendre du plaisir sur la banquette arrière. Seulement, rares sont celles à l'assumer. On a donc demandé à Bilamé, du compte Instagram Parlons lesbiennes et à Charline, d'Orgasme et moi, de nous expliquer pourquoi, selon elles, on n'entend pas parler des fesses des lesbiennes.

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Prostate ou pas, il y a du plaisir dans l'anal

Les femmes cis n'étant pas pourvues de prostate, elles ne pourraient pas éprouver de plaisir pendant l'anal, selon un cliché persistant que Charline, également enseignante en santé sexuelle à la Sorbonne, tient à démythifier. D'une part, rappelle-t-elle, "l’anus est hyper innervé, c'est-à-dire que rien que pendant un anulingus, sans même s'aventurer à l'intérieur, avec la chaleur, les terminaisons nerveuses s’affolent…" D'autre part, il est tout à fait possible pour une personne dotée d'un vagin de ressentir du plaisir lors d'une sodomie : "L’innervation est commune entre le nerf pudendale, qui longe le rectum, et le nerf dorsal du clitoris (ou du pénis)", explique la jeune femme. En résumé, pénétrer un rectum a des répercussions sur le clitoris. Qui plus est, "stimuler le clitoris externe pendant une pénétration anale revient à stimuler le même nerf mais à deux endroits différents. Un truc de fou."

"Le sexe n'est pas un concours d'hygiène"

Face au plaisir anal, le corps répond présent. Alors d'où vient l'inimitié lesbienne envers cette pratique ? Déjà, il faut dire qu'elle a une réputation sale. "C'est la boîte à caca", explicite Charline, qui rappelle : "Le sexe n'est pas un concours d'hygiène ! Le sexe comprend des fluides. Quand on s'embrasse, il y a de la salive, quand on se fait des cunnis il y a de la mouille, du squirt, peut-être de l'urine. Et alors ? Quand tu joues avec le rectum, oui, il y a potentiellement des résidus." Et de rappeler également que l'ampoule rectale n'a pas vocation à stocker les aliments. Quand bien même, il existe des poires à lavement très simples d'utilisation.

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Un tabou féminin stéréotypé

Du fait de cette image, même quand on aime jouer avec son anus, on préfère parfois le garder pour soi. C'est le cas de Lenna, qui malgré la complicité qu'elle entretient avec son plan cul régulier, n'ose pas lui parler de ce point particulier. "On parle souvent de nos fantasmes, on en a réalisé pas mal ensemble, confie l'étudiante de 24 ans. Mais elle m'a déjà dit en plaisantant que c'était probablement le seul truc qu'elle ne ferait jamais, avant de préciser que si un jour j'avais envie d'essayer, elle n'y verrait cependant pas d’inconvénient." À ce moment-là, Lenna répond pourtant qu'elle ne l'a jamais envisagé et que ça ne l'attire pas…

"J’ai l’impression que ça me ferait passer à un autre stade en termes de sexualité."

Sauf qu'"un jour, je me masturbais et j'ai eu envie de pénétration. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais l’anal m’est passé par la tête, pas comme une possibilité mais en mode pop-up. Je me suis demandée ce que ça faisait. Sauf que j’étais déjà très excitée alors la curiosité s’est transformée en envie et j’ai sauté le pas sans vraiment réfléchir." Avant cela, la jeune femme associait plutôt la sodomie à la douleur, à quelque chose de désagréable. Si depuis, elle a retenté l'expérience une ou deux fois, elle n'est pas prête à assumer ce désir avec quelqu'un d'autre. "Pour l’instant, seule, ça me suffit. Je pense que je serais beaucoup trop gênée. Je sais que c’est bête mais j’ai l’impression que ça me ferait passer à un autre stade en termes de sexualité."

Une attitude que Charline, d'Orgasme et moi, explique notamment par les stéréotypes de genre. Elle appelle cela le "syndrome de la princesse". "Pourquoi les filles ne font pas caca à l’école ou chez leur date ? Pourquoi les filles ne pètent pas ?" interroge-t-elle. Il y a quelque chose de l’ordre de la gêne qu’on peut supposer plus forte chez les femmes." "C’est probablement encore plus difficile à aborder entre meufs", conclut-elle. Pour se sentir à l'aise avec l'idée d'explorer cette voie, il y a donc un vrai travail de déconstruction à faire en amont, dans la tête.

Une image de domination véhiculée par le porno

Un avis partagé par Bilamé, qui à travers son compte Insta "Parlons lesbiennes" aborde de nombreuses questions de sexualité avec sa communauté. Ce qu'elle constate, c'est qu'il y a un "aspect avilissant induit par la domination patriarcale. Les femmes qui pratiquent l’anal n'ont pas bonne réputation." Un stigmate dû selon elle au porno : "Ce qui vient à l'esprit, c'est quelque chose de très violent avec un homme au pénis gigantesque qui pénètre sa partenaire par tous les orifices". Résultat, "ça fait peur, on est bien loin des mini-plugs dont beaucoup ne connaissent pas l'existence". À travers ses posts, elle aimerait "casser l’idée de domination de la personne qui reçoit. Moi je vois l’anal comme quelque chose qui peut être accessoire, comme un glaçon dans la bouche pendant un cunni, par exemple."

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Charline se montre optimiste quand à la fin prochaine de ce tabou et observe que la pratique gagne du terrain. "J’ai rencontré une femme avec qui on avait prévu un moment intime, raconte-t-elle. Elle est partie acheter des jouets et elle est revenue avec un chapelet anal, comme si c’était un non-sujet." Si Bilamé avait l'impression "qu’aucune femme lesbienne de [sa] communauté ne le pratique", elle a tenu à en avoir le coeur net en lançant un sondage à destination de celles qui la suivent. Avant toute chose, elle s'est intéressée à la propension de femmes qui utilisent des objets pénétrants lors de leurs rapports. Sur les 448 personnes qui ont répondu à cette question, c'est une égalité parfaite entre les deux camps. Concernant la pénétration anale en revanche, sur les 483 réponses, le nombre de pratiquantes baisse à 27%. Pourtant, le sujet éveille la curiosité de nombreuses femmes puisqu'elles sont 59% sur 379 répondantes à vouloir que Bilamé en parle davantage sur son compte.

"Tu ne vois jamais, dans une série, une meuf dire à sa copine 'j’ai très envie de ton cul'…"

Afin de lever le tabou pour pouvoir enfin en parler sans rougir, Charline pense qu'une augmentation des représentations est nécessaire. "Je me rends compte que l’imaginaire érotique des gens n’est pas énorme et qu’on est influencés par nos représentations. Or, tu ne vois jamais, dans une série, une meuf dire à sa copine 'j’ai très envie de ton cul'… Ce sera plutôt 'j’ai très envie de te lécher ou j’ai très envie de ta chatte', alors ce n’est pas rare du tout d’entendre un mec réclamer la sodomie dans un couple de série hétéro", déplore-t-elle. L'anal, un des nouveaux enjeux du cinéma post-lesbien ?

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Crédit photo : Deon Black via Unsplash