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lesbiennesSanté sexuelle : où sont les lesbiennes ?

Par Elodie Hervé le 01/12/2021
Le sexe lesbien est peu pris en compte dans les campagnes de prévention

Laissé de côté dans la plupart des campagnes de prévention, le sexe lesbien peine aussi à exister dans les études médicales. Si les risques de transmission du VIH restent faibles, cette absence de prise en compte des lesbiennes dans les campagnes de prévention a des conséquences sur leur santé sexuelle.

Digue dentaire, préservatifs pour les sextoys, gants en latex pour les doigts et les mains… Si des moyens de prévention pour du sexe lesbien existent, ils restent peu utilisés. "Dans l’imaginaire collectif, faire du sexe entre femmes est une sous-sexualité, voire une non sexualité. C’est quelque chose qui n’existe pas et donc qui est peu pris en compte dans les études ou les campagnes de prévention", nous explique Coraline Delebarre, psychologue et sexologue. Face à ce constat, elle a lancé avec Clotilde Genon Tomber la culotte, un magazine qui s’adresse aux personnes qui font du sexe lesbien. 

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Les lesbiennes plus éloignées du soin

Une initiative salutaire car, par exemple, 68% des personnes se définissant comme lesbiennes n’ont jamais fait de frottis, selon le collectif Tomber la culotte. Ce grand coton-tige glissé dans le vagin permet de dépister, entre autres, le cancer du col de l’utérus. Sur l’ensemble de la population, ce chiffre est de 40%, selon Santé Publique France. Côté VIH, la différence est aussi frappante : 58% des lesbiennes reconnaissent ne jamais avoir fait de test, contre 33% chez les femmes hétéros.

Cette différence d’accès aux soins est un constat partagé par l’ensemble des associations lesbiennes. Toutes déplorent la difficulté à sensibiliser, en dehors des cercles militants, les lesbiennes à consulter pour leur santé sexuelle. "Beaucoup redoutent le regard du personnel médical pas ou peu formé, reprend Coraline Delebarre. Il n’est pas rare que des soignants disent à une lesbienne que les examens ne sont pas indispensables, alors que oui. Encore une fois, cela part du postulat que la sexualité lesbienne est une sexualité sans pénétration, voire une non-sexualité." Autre difficulté, la médecine hétérocentrée ne favorise pas le suivi gynécologique. Faute d’informations, beaucoup de lesbiennes considèrent ne pas être concernées car peu concernées par la contraception.

Lesbienne, un problème de définition

Plus éloignées des soins, les personnes se définissant comme lesbiennes ont aussi plus de difficulté à être considérées dans les études scientifiques. "Du côté de la recherche, il existe peu d’études sur la santé des femmes lesbiennes, admet Nathalie Lydie, responsable de l’unité santé sexuelle à Santé publique France. Mais même avant de chercher à comprendre pourquoi, il convient de définir ce qu’est une lesbienne, ce qui n’est pas si simple." 

Car depuis 1977, est considérée comme lesbienne une personne n’ayant jamais eu - au grand jamais - de relation sexuelle avec un partenaire masculin. Toutes les autres entrent dans la catégorie… "hétéro". Pour la chercheuse Brigitte Lhomond, qui a réalisé plusieurs études sur les lesbiennes et le VIH, cette définition pose un vrai problème. "Étant donné que certaines lesbiennes ont de temps en temps des rapports avec des hommes, qui désigne-t-on comme lesbiennes ? Seules celles qui n’ont des relations qu’avec des femmes ? Et dans ce cas, à partir de quelle date ?"

Pour tenter d’apporter une autre façon de dénombrer les personnes qui font du sexe lesbien, Clotilde Genon, Cécile Chartrain et Coraline Delebarre proposaient, en 2009, "d’inclure une question relative à l’auto-identification des personnes dans les enquêtes en population générale. [Cela] pourrait donner accès à des informations précieuses."

De rare cas de VIH dans la sexualité lesbienne

Sans chiffres, il est difficile de connaître avec précision combien de lesbiennes vivent avec le VIH. "Au début des années sida il y a eu des questionnements, reconnaît Brigitte Lhomond. Mais comme ça concernait des femmes et encore plus des lesbiennes, ça n’a pas beaucoup intéressé. Après, il y a eu l’effet inverse de dire que les lesbiennes étaient très à risque." Ce qui n’est pas le cas. Les études réalisées démontrent une faible prévalence du VIH chez les lesbiennes. Selon AIDES, "les données actuelles estiment à moins de 2% le nombre de femmes lesbiennes infectées par le VIH, ce qui les exclut, et c'est positif, des populations vulnérables au VIH."  

"Le risque zéro n’existe pas pour les lesbiennes."

La transmission sexuelle du virus entre femmes s'avère donc rare. "Il existe des risques théoriques que l’on a du mal à quantifier, nuance Yaël Eched, chercheuse sur le VIH et les lesbiennes. Même si ces risques restent beaucoup moins présents que pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, le risque zéro n’existe pas pour les lesbiennes." Afin d’avoir des données chiffrées, Yaël Eched s’est lancée dans une thèse, financée par Sidaction, pour comprendre comment le VIH impactait les lesbiennes, bies et pans, qu’iels soient des personnes trans ou cis.  

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Car si des travaux de recherches commencent à voir le jour à l’étranger, côté français, aucune étude ne semble avoir été publiée. "Cela vient aussi de l’histoire du VIH-sida, souligne Yaël Eched. Les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ont été les premiers touchés et pendant longtemps, le VIH-sida a été perçu comme un virus qui ne touchait qu’une partie de la population, à savoir ceux que l’on nommait les 'marginaux', c'est-à-dire les homosexuels et les consommateurs de stupéfiants. Cette analyse a laissé de côté toute une partie de la population mondiale. Par exemple, pour les femmes, la première étude publiée, c’était en 1992, sur la transmission de la mère à l’enfant. Ce qui en dit long sur l’intérêt que peut avoir la recherche sur le corps des femmes."

Le rôle social laissé de côté 

Dès 1990, la chercheuse Brigitte Lhomond établit malgré tout que le VIH, s’il est présent chez les lesbiennes, est "moins sexuel que social". C’est aussi la thèse développée par Yaël Eched : "La vulnérabilité des lesbiennes n’est pas que physique et la manière dont les études construisent les risques reste problématique", souligne-t-elle. Les chercheuses soulignent que, pour les lesbiennes, les contacts avec le VIH viennent plus des comportements annexes, qui sont moins pris en compte par les études, que par les relations sexuelles. De fait, peu de solutions sont proposées aux personnes concernées. 

Pourtant, selon l’enquête Virage (Violences et rapports de genre) de l’Ined, les femmes bies et lesbiennes seraient quatre à cinq fois plus victimes de violences sexuelles au sein de leur famille que les hétéros. En détail : 47% des femmes bies et lesbiennes ont déclaré au moins un fait de violence de la part d’un membre de la famille, contre 19% pour les hétéros. Côté garçons, ce chiffre est de 36% pour les bis, 30% pour les gays et 13,5% pour les hétéros.  Pour Brigitte Lhomond, cette surreprésentation des lesbiennes dans les statistiques de violences peut aussi s’expliquer par une parole plus libre que celle des hétéros.

Face à ces violences sexuelles, le Sidaction a mis en place des programmes de prévention à destination des femmes lesbiennes, bies et pans dans certains pays africains, souligne Cécile Chartrain, responsable financements et suivi de projets au Sidaction. "Le manque de considération accordée aux femmes ayant des relations sexuelles avec des femmes s’explique par différents facteurs, notamment le caractère impensable de la sexualité (et donc du risque sexuel) entre femmes, explique-t-elle. Alors que dans des pays où l’homosexualité doit être cachée, les femmes subissent des violences punitives et se servent de l’hétérosexualité comme d’une couverture."

Un sentiment d’immunité face au VIH

Selon une étude du Queer African Youth Network Centre réalisée dans quatre pays africains en 2015, seules un tiers des femmes ayant des relations sexuelles avec des femmes avaient déjà eu un rendez-vous gynécologique. Cette étude conclut aussi que les informations sur le VIH n’arrivent pas jusqu’à leurs oreilles. "On peine à mobiliser sur cette thématique", admet Cécile Chartrain. 

De fait, "il est important de garder à l’esprit que les parcours de vie des gais et des lesbiennes, leur socialisation, le vécu des violences et discriminations (sexisme, LGBTphobies, hétéronormativité), ne sont pas exactement superposables, expliquent Clotilde Genon, Cécile Chartrain et Coraline Delebarre. Ce qui induit un rapport différencié à la santé et au risque et la nécessité d’une prise en charge spécifique. Il n’en demeure pas moins qu’une mobilisation communautaire solidaire est possible sur ces sujets."

Au-delà des violences, les études mettent en avant une socialisation bien différente. Par exemple, les femmes se définissant comme bies, pan ou lesbiennes ont plus de relation sexuelles que les hétéros, en moyenne. Et plus de relations sexuelles avec des hommes bis, gays ou pans. Pourtant, si la communauté gay est sensibilisée aux moyens de prévention contre le VIH, côté lesbiennes, c’est peu le cas. "En gros, les lesbiennes n’existent pas comme un groupe considéré, poursuit Coraline Delebarre. Les hommes gays ont payé un lourd tribu avec le VIH et ce ne sont clairement pas les mêmes enjeux pour les lesbiennes. Seulement, cette invisibilisation a pour conséquence de créer un sentiment d’immunité qui peut être très problématique."

"Il est temps que l’on parle de santé sexuelle plus que de risques."

De fait, si les cas avérés sont rares et les études tout autant, ce "sentiment d’immunité" qui s’est installé peut avoir de graves conséquences sur la santé sexuelle des lesbiennes. La construction sociale de l’immunité des lesbiennes eu égard au VIH a été intériorisée, et véhiculée aussi bien par les chercheur·ses et les services de santé que par les femmes concernées. C’est une des raisons qui éloignent du soin les lesbiennes. Alors, pour faire exister les personnes qui font du sexe entre femmes, les associations plaident pour sortir de cette logique de risques. "Il est temps que l’on parle de santé sexuelle plus que de risques, que l’on parle de plaisir et de socialisation plutôt que de moyens de prévention, souligne Coraline Delebarre. Cela permettrait d’être plus inclusif mais aussi de mettre en place une vraie campagne de santé sexuelle à destination des lesbiennes". Parce qu’au-delà du VIH, ce sentiment d’immunité est un terreau fertile pour d'autres problèmes de santé sexuelle.

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