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bande dessinéeLe webtoon, terreau fertile pour les représentations LGBTQI+

Par Tessa Lanney le 11/03/2022
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L'apparition récente des webtoons en France a permis de mettre en lumière le travail de nombreux contenus queers. Liberté des auteurs, accessibilité… têtu· s'est penché sur les facteurs qui font émerger de nouvelles représentations dans ce format de bande dessinée en ligne.

Une réserve de BD queers dans le creux de sa main, c'est ce que permet d'obtenir le webtoon, ce format de bande dessinée en ligne venu de Corée du Sud (où la bande dessinée s'appelle manhwa, l'équivalent de manga au Japon). Si le mot "webtoon" désigne avant tout un format, celui-ci a émergé via Naver, le géant de la tech du sud-est asiatique. Le concept est importé en France en 2019, où il rallie désormais plus de deux millions de lecteurs mensuels sur 82 millions dans le monde. L'appli Webtoon de Naver comporte bien sûr les traductions des succès coréens et américains, mais les auteurs français y signent de plus en plus de contrats d'édition.

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Ainsi, sur environ 300 séries originales Naver, 50 sont françaises. Parmi les webtoons anglophones, on retrouve de nombeaux "boyslove" et "girlslove" comme Boyfriends, qui suit une histoire de polyamour entre quatre garçons. Les auteurs français ne sont pas les derniers à intégrer des intrigues queers à leurs oeuvres. Et pour cause, il est bien plus simple de faire publier un webtoon avec des sujets LGBTQI+ que dans le monde de l'édition papier. Sur la plateforme, on peut notamment citer des oeuvres comme Because I can't love you, Day Dreamer, Porte-bonheur, Amour en équation, Sex drugs and RER ou encore Vampires Anonymes.

Webtoon plus accessible que la BD papier

Pascal Lafine, créateur de Verytoon et éditeur des collections Kbooks et Delcourt/Tonkam le reconnaît, "il est beaucoup plus simple pour les auteurs de publier un webtoon". Auparavant, un jeune auteur de BD devait envoyer ses planches à un éditeur qui décidait où non de le publier. Or, sur le marché de la BD, "certains genres étaient mis de côté". Cela vaut pour le boyslove par exemple. "En France, peu d'auteurs en place vont prendre le parti de les publier, reprend le créateur. La BD française actuelle, c'est la BD à papa, destinée à un public assez âgé." Les amateurs de webtoons, eux, ont plutôt entre 15 et 30 ans.

Ce manque de renouvellement du public entraîne une certaine frilosité de la part des éditeurs papier qui auront tendance à considérer les histoires queers comme "des sujets de niche"."Beaucoup d’éditeurs essayent d'importer des oeuvres comme avec Citrus, le yuri (girlslove) qui a eu le plus gros succès au Japon." Mais en France, les ventes ne sont pas à la hauteur du succès japonais. Pascal Lafine salue toutefois les initiatives de maisons d'édition comme Akata, spécialisée dans le genre LGBTQI+.

"En moyenne, il faut trois épisodes à un lecteur pour décider de continuer ou d'abandonner."

Le modèle économique de Naver avec Webtoon repose sur l'économie de l'attention et sur la publicité. Le but est de garder le lecteur le plus longtemps possible sur la plateforme, en échange de quoi il profite d'un accès gratuit. Ce qui compte pour les éditeurs de webtoon, c'est donc le "cliffhanger, la capacité de l'auteur à générer le suspense, à donner envie de lire la suite", confirme Émilie Coudrat, directrice marketing de Naver. Au niveau de l'intrigue et des personnage, le créateur jouit en revanche d'une grande liberté.

"Parfois, on ne sait pas où l'histoire va aller, s'amuse l'éditrice. Il y a un côté très instantané." Les créateurs sont signés pour une première saison dans un premier temps, puis pour une seconde en fonction du succès de la première, "un peu à la manière de Netflix". Au minimum, les éditeurs demandent trois épisodes aboutis ainsi qu'un synopsis comportant les grandes lignes de l'histoire et les enjeux soulevés. "En moyenne, il faut trois épisodes à un lecteur pour décider de continuer ou d'abandonner. Une fois les grands principes de l'histoire validés les grands principes, le détail appartient aux auteurs", résume Émilie Coudrat.

Et puisqu'une déception ne coûtera rien d'autre au lecteur que du temps, l'esprit d'aventure prend facilement le dessus. Une bande dessinée qui allie musculation et aristocratie ? Banco, vous tombez finalement sur une critique sociale qui philosophe sur le muscle et le poids des apparences. L'audace est libérée lorsqu'on n'a rien à perdre et donc tout à gagner. Contrairement à Webtoon, le contenu n'est pas gratuit sur Verytoon ou encore Delitoon, sauf pour les premiers épisodes. En revanche, le concept reste le même et le filtre permet de s'ouvrir à une grande variété de sujets. Ainsi Delitoon propose également un très riche catalogue Boyslove.

Des fictions LGBT personnelles

Pour se démarquer en marquant, les plateformes recherchent l'unicité des histoires. "C'est exactement ce qu'ont compris les créatrices de Colossale qui combinent des sujets parlant à tout le monde comme la critique sociale, le mépris de classe, avec un concept original : une héritière passionnée de musculation", souligne l'éditrice Webtoon. C'est l'occasion pour les auteurs et les artistes, notamment LGBTQI+, de s'exprimer en créant des oeuvres personnelles qui sortent du lot. C'est le cas pour Tacmela qui a publié Porte-Bonheur, où l'on suit les pérégrinations de Clément, un jeune garçon déprimé qui a du mal à affronter son quotidien teinté d'angoisse. Petite particularité, il est accompagné d'un fantôme sarcastique du nom d'Angst.

"Comme on est très libres, on peut mettre plus de soi."

"Clément a un crush sur un autre garçon et beaucoup de commentaires étaient contents de la tournure que prenait l’histoire, se réjouit l'auteur. Comme les relations hétéros sont la norme, ça change pour les lecteurs d’avoir d’autres représentations." Ce qu'il voulait, c'était offrir un modèle qui ne soit pas cliché ou le fruit d'un fétichisme des relations homosexuelles : "Je voulais que ce soit deux garçons qui s’entendent bien avec une possibilité de déboucher sur plus. On retrouve ce schéma dans des relations hétéros mais beaucoup moins dans les histoires queers." Au fur et à mesure, il introduit également la transidentité de son personnage. "Les lecteurs s'attachent à Clément et, en les confrontant aux réactions auxquelles il a dû faire face, ça les encourage à ne pas les reproduire", détaille-t-il. D'autre part, "ça me permet aussi de me questionner sur ma propre anxiété, de faire des introspections sur les sujets que je traite. Comme on est très libres et qu'on peut s'exprimer, on peut mettre plus de soi et faire une oeuvre très personnelle."

Si les fictions queers fleurissent chez les auteurs officiels, ce n'est que la partie émergée de l'iceberg puisque derrière existe Canvas, la catégorie Webtoon consacrée à celles et ceux qui souhaitent créer leur bande dessinée. Le fonctionnement est analogue à celui de Wattpad, ce réseau social où tout écrivain en herbe pouvait partager ses récits. Il a été racheté par Naver l'année dernière et Canvas France compte aujourd'hui environ 5.000 créateurs. "Il y a une forte attente de boyslove et de girlslove sur cet espace, affirme Émilie Coudrat. On a un public qui nous vient beaucoup du manga et historiquement, le manga est marqué par une certaine hétéronormativité et un male gaze assez prégnant, alors nous sommes ravi de voir ces nouvelles créations qui répondent à un véritable besoin." Idem !

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Crédit photo : Tacmela, StillUnderworld, Natacha Ratto, Clara Lang via captures Webtoon