En mettant en scène, au théâtre de l'Odéon à Paris, Le Ciel de Nantes à partir de son livre éponyme, le réalisateur et auteur Christophe Honoré nous dévoile une pièce familiale particulièrement touchante, avec au casting son frère Julien ou encore Chiara Mastroianni.
On l’a découvert au début des années 2000 au cinéma avec sa délicate comédie musicale Les Chansons d’Amour ou encore avec La Belle Personne, adaptation contemporaine de la Princesse de Clèves. Artiste prolifique – films, théâtre, littérature –, on a continué de l’adorer pour son engagement de plus en plus marqué envers la communauté LGBTQI+. Avec son film Plaire Aimer et Courir vite (2018) sur deux amoureux au temps du sida, ou sa pièce Les Idoles (2018) rassemblant les dialogues imaginés de sept personnalités emportées par le sida (de l’écrivain Hervé Guibert à l’auteur de théâtre Jean-Luc Lagarce), le travail de Christophe Honoré rend hommage à cette période critique de l'histoire gay qu’il a bien connue, et à ceux qui incarnent sa famille choisie.
À lire aussi : Théâtre : trois spectacles gays à découvrir en ce moment à Paris
Le Ciel de Nantes, portrait de famille
Avec Le Ciel de Nantes, Honoré nous ouvre cette fois les portes intimes de sa famille de sang. Dans un cinéma abandonné, il en réunit sept membres – sa grand-mère, des oncles et tantes et enfin sa mère – pour leur présenter le début d’un film qu’il souhaiterait réaliser sur eux. Dialogues imagés entre vivants et morts sur trois générations, cette pièce ne propose ni règlement de comptes ni sombres secrets de famille, mais simplement les histoires telles qu’elles sont, telles qu’elles ont été, et telles qu’elles auraient dû être, peut-être, si les gens s’étaient parlé.
On découvre Mémé Odette, dite Mémé Kiki, mère de deux enfants avec le père Thimaux puis, une fois veuve, remariée au lendemain de la guerre avec l’immigré espagnol Puig, de qui elle aura huit autres enfants dont Marie-Do, la mère de Christophe Honoré, jouée par… son propre frère, Julien Honoré. Avec elles, plusieurs oncles et tantes comme la fragile Claudie (incarnée par Chiara Mastroianni), qui s’est suicidée à l’asile dans les années 90, ou encore Alain, emporté par un cancer en 2002.
Une histoire gay universelle
Dans ce vieux cinéma on se parle, on se souvient, on raconte, on s’apostrophe, on crie un peu, on pleure aussi, mais jamais on ne se fait la guerre. C’est peut-être bien cela qui nous touche autant dans cette simple mais efficace suite de dialogues fragmentés en six histoires. Les questions d’héritage et de transmission de cette famille ouvrière sont dénudées de toute critique sociale. Le Ciel de Nantes ne porte aucune revendication, aucun reproche, si ce n’est celui fait à Christophe d’être parti, d’avoir fui, un parcours qui résonne avec ceux de nombreux homosexuels de province et une thématique qui traverse la culture gay, de Jean-Luc Lagarce (Juste la fin du monde) à Didier Eribon (Retour à Reims).
Si cette question est à un moment soulevée, c'est pour en faire un touchant dialogue où la grand-mère se demande ce qui a bien pu rendre Christophe comme “ça”, à quoi celui-ci rétorque qu’elle le faisait danser enfant sur du Sheila. Profondément cinématographique, entre vidéos et déclamations aux micros, la mise en scène est émaillée de moments musicaux en forme de souvenirs d’enfance de chaque personnage, entre Joe Dassin et Spacer de Sheila.
Dans ces souvenirs qui s’accumulent et dans les discussions entre chaque membre qui se font et défont, Honoré esquisse le portrait simple et mélancolique d’une famille comme les autres, où l’on s’est autant détesté qu’aimé, où l’on convoque à la fois la Seconde Guerre mondiale que le Mondial 98, et où les morts pardonnent aux vivants, ou inversement. Profondément cathartique. On en ressort habité d’une mélancolie qu’on n’avait pas forcément prévu de vivre, mais qui donne immédiatement envie d’appeler sa famille pour dire à ses proches qu’on les aime, et qu’on les aimera, malgré tout, même absents.
>> Le Ciel de Nantes, de Christophe Honoré, jusqu'au 3 avril au Théâtre de l'Odéon
Crédit photo : théâtre de l'Odéon