documentaire"L'homo invisible", le documentaire qui revient sur 100 ans de représentations d'homosexualité

Par Tessa Lanney le 29/03/2022
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L'homo invisible, documentaire France.tv diffusé lundi 28 mars, nous propose une sélection d'artistes qui ont participé à faire avancer les droits LGBTQI+.

L'art comme "une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l'histoire". C'est ainsi que le décrivait Leon Battista Alberti dans son traité De Pictura en 1435. Une fenêtre parfois voilée ou à demi-ouverte, selon les époques et les sujets, et surtout lorsqu'il s'agit d'homosexualité. Le documentaire L'homo invisible, diffusé lundi 28 mars sur France 5 et disponible sur France.tv jusqu'au 27 mai, revient sur les artistes et les oeuvres en lien étroit avec la conquête des droits LGBTQI+. De l'homosexualité cachée, suggérée, à celle qui se revendique fièrement, les réalisatrices Julie Delettre et Caroline Halazy retracent le parcours chronologique de la représentation de l'homosexualité, influencée par les époques mais aussi par la libération des moeurs. Si vous n'aviez jamais entendu parler de ces artistes, c'est probablement, comme l'expliquait au magazine têtu· Hugo Spini, du compte Instagram @whereverhugo_, parce que l'histoire de l'art à tendance à effacer la queerness du paysage artistique.

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L'homo invisible nous fait reculer jusqu'en 1900, dans un contexte où l'homosexualité est considérée comme une maladie mentale et réprimée par la police des moeurs. Mais déjà à l'époque, c'est dans les salons littéraires que les esprits libres comme Natalie Clifford Barney pensent l'homosexualité. On découvre des artistes comme l'écrivaine Colette, qui offre l'un des tous premiers personnages lesbiens de la littérature dans Claudine à l'École, retraçant un amour saphique au pensionnat. En peinture, on retrouve Tamara de Lempicka, lesbienne et pionnière de la représentation homo-érotique. On lui doit notamment "Les deux amies", peint en 1923, ou encore le portrait d'une de ses amantes en 1935. L'amante en question, Suzy Solidor, apporte elle-même sa pierre à l'édifice en tant que chanteuse de cabaret. Sur scène, elle exprime son désir pour les femmes. À chaque époque, des photographes comme Brassaï n'ont eu de cesse de documenter la vie de cette marge.

Des oeuvres pleines de métaphores

Une marge qui ne se revendique pas toujours, préférant suggérer au moyen de métaphores. Il suffit de se plonger dans l'oeuvre de Jean Cocteau, de porter un oeil attentif au regard porté sur sa muse, l'acteur Jean Marais. Le sang du poète, Orphée, La Belle et la Bête de 1946. Les allégories ne manquent pas. De même, lorsque l'on connaît la vie d'Andersen - rejeté après avoir déclaré son amour à un homme qui ne partageait pas ses sentiments - La Petite Sirène prend un tout autre sens.

Le documentaire s'aventure aussi dans les années 50, quand l'homosexualité est plus ou moins singée, moquée, stéréotypée. L'image de la "folle" est en complète contradiction avec les valeurs viriliste qui restent du régime de Vichy, criminalisant l'homosexualité. Un regard méconnu sur l'époque, qui souffre cependant d'une approximation lorsque l'on évoque le terme d'"étoile rose", faisant en fait référence au triangle rose que portaient les déportés homosexuels. Dans ce contexte, la clandestinité est le maître mot et les cinéastes, comme Marcel Carné, s'en amusent, en intégrant par exemple un personnage gay dans "Hôtel du Nord".

L'homosexualité, un "fléau social"

Après le durcissement de la loi qui classe l'homosexualité comme "fléau social" en 1960 (merci Paul Mirguet), c'est par les sous-textes que l'époque dénonce le manque de visibilité. Le film cite le chanteur Jean Claude Pascal avec la chanson "Nous les amoureux" de 1961 ou "Le jardin extraordinaire" de Charles Trenet - qui parle en fait du jardin des Tuileries, lieu de cruising bien connu de la communauté gay. Ce que permet le documentaire, c'est également de montrer que même certains spécialistes interrogés n'étaient pas forcément au courant de ses sous-textes.

Et puis, c'est la "libération" sexuelle, et avec elle, la libération de l'art homo. De grandes figures émergent des années 70 comme David Bowie ou Pierre et Gilles à la fin de la période. Des artistes qui bouleversent les codes, font bouger les lignes et proposent d'autres modèles auxquelles s'identifier.

Un parallèle avec la jeune génération

Mais L'homo invisible s'intéresse aussi de près à l'influence de l'épidémie de sida chez les artistes et sur l'opinion publique. L'homosexualité se retrouve affublée de nouveaux stigmates et les artistes vont tout mettre en oeuvre pour documenter cette période, pour témoigner, dans l'urgence. Ce sera le cas d'Hérvé Guibert, écrivain et photographe, qui utilisera l'autofiction pour mettre la maladie à nue et entraîner des prises de consciences sur ce que vit la communauté gay. Autre bémol toutefois, la date de retrait de l'homosexualité de la liste des maladies mentales par l'OMS. Ce n'est pas en 1993 mais bien en 1990, puis en 1992, la France ne considère plus l’homosexualité comme une pathologie psychiatrique.

Il est intéressant de connaître le point de vue des deux artistes contemporains qui interviennent dans L'homo invisible, Suzane et Eddy de Pretto. Deux icônes visibles qui utilisent leur voix pour raconter leurs histoires d'amour, pour permettre au public queer de s'identifier et de trouver du réconfort dans leurs morceau. Et pourtant, assumer d'écrire une chanson queer est toujours une profonde angoisse, comme le raconte l'interprète de Kid. Comme quoi, après cent ans de représentations, c'est encore loin d'être évident.

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Crédit photo : France.tv