LGBTphobieIl y a 60 ans, l'amendement Mirguet définissait l'homosexualité comme "fléau social"

Par Nicolas Scheffer le 18/07/2020
amendement

Le 18 juillet 1960, l'Assemblée nationale votait l'amendement Mirguet. Le texte demandait au gouvernement de prendre à bras le corps le "fléau social" que représentait à ses yeux l'homosexualité.

"Je pense qu'il est inutile d'insister longuement, car vous êtes tous conscients de la gravité de ce fléau qu'est l'homosexualité, fléau contre lequel nous avons le devoir de protéger nos enfants". Il y a 60 ans, Paul Mirguet, député gaulliste, exposait les motifs de son amendement à l'Assemblée nationale. L'homosexualité devait être combattue comme un "fléau social", au même titre que la tuberculose, l'alcoolisme ou encore la prostitution.

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À l'époque, l'homosexualité n'est pas un délit. Mais les relations homosexuelles sont réprimées, notamment lorsqu'elles impliquent un majeur et un mineur. Sous Vichy et son "Travail, Famille, Patrie", une première incrimination apparaît en août 1942. Elle est maintenue à la Libération. "Quiconque aura commis un acte impudique ou contre-nature avec un individu de mineur de même sexe" peut être poursuivi, écrit la loi.

Une majorité sexuelle différenciée

Surtout, la "majorité sexuelle" est différente selon s'il s'agit d'une relation homo ou hétéro : 13 ans (puis 15 ans à partir de 1945) pour donner son consentement à une relation hétérosexuelle contre 21 ans (18 ans à partir de 1974) pour une relation homosexuelle. "Le ou la partenaire était susceptible de poursuites", rappelle l'historien Antoine Idier, auteur de Les Alinéas au placard. L’abrogation du délit d’homosexualité (1977-1982).

"Au moment où notre civilisation dangereusement minoritaire dans un monde en pleine évolution devient si vulnérable, nous devons lutter contre tout ce qui peut diminuer son prestige", poursuit en 1960 le député devant des parlementaires hilares. Au moment de son adoption, Arcadie, la seule association homosexuelle de France, a écrit une lettre au député pour qu'il revienne sur la porté de son amendement.

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"Le texte que vous avez fait approuver par l'Assemblée Nationale risque (...) de condamner à des tourments sans fin des centaines de milliers d'êtres qui mènent une vie digne, qui sont des citoyens respectueux des lois, et qui, déjà, souffrent de l'incompréhension à laquelle les condamne la confusion courante entre 'l'homosexualité' et 'vice'", écrivent les militants. En d'autres termes, ils demandent au député de ne pas faire l'amalgame avec "la prostitution masculine", "la débauche publique" (le cruising) et "la corruption des enfants".

9.000 condamnations pour homosexualité

Le but de cet amendement est de demander au gouvernement de limiter les pratiques homosexuelles. Quelques mois après, une nouvelle incrimination pénale est votée : l'outrage public à la pudeur est aggravé lorsqu'il "consiste en un acte contre nature avec un individu du même sexe (sic)". L'historienne Florence Tamagne compte 9.000 condamnations en métropole pour "homosexualité" entre 1945 et 1982 dont une écrasante majorité concerne des hommes. "Si dans 90% des cas, une peine de prison est prononcée, c’est avec sursis dans 47% des cas", pointe-t-elle dans Libération. "C'est sans compter les contrôles, les arrestations, le harcèlement sur les lieux de drague, qui ne sont pas nécessairement suivis de condamnations, mais aussi de chantage, de nécessités de double vie, etc", remarque Antoine Idier.

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Malgré tout, "il y a toujours eu une vie homosexuelle, ou plutôt des vies homosexuelles… y compris dans les périodes de répression. Des vies qui ont cherché à créer des espaces de résistance, des contre-cultures, pour essayer d’aménager des espaces de liberté à l’intérieur d’une société hostile – d’où l’importance de certains lieux, bars ou boîtes, ou encore de la culture. L’homosexualité a pu aussi avoir une forte visibilité dans la littérature, dans le cinéma, dans les arts, dans la culture populaire… parfois de manière extrêmement homophobe, parfois non", poursuit l'historien.

Supprimé sous Raymond Barre

L'amendement Mirguet est finalement supprimé en novembre 1980 par le gouvernement Raymond Barre, gaulliste). L'année suivante, l'élection de François Mitterrand conduit à la fin des contrôles de police, l'arrêt de la reconnaissance de l'homosexualité comme maladie mentale et la disparition de la brigade anti-homosexualité de la préfecture de police de Paris. "L'amendement Mirguet réaffirmait dans la loi l'homophobie qui caractérisait la société. L'aggravation de l'outrage public à la pudeur la traduisait dans la répression policière et judiciaire", conclut Antoine Idier.

Crédit photo : Wikimedia Commons / Claude Truong-Ngoc