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reportagePride Family : une première édition salutaire pour les familles queers

Par Elodie Hervé le 04/04/2022
Pride Family : une première édition salutaire pour les familles queers

A Lyon, pour la première fois en France s’est tenue la Pride Family. L’occasion pour des familles LGBTQI+ de se rencontrer et de réfléchir ensemble aux futurs combats à mener.

Dehors, la neige s’accroche aux toits des voitures, mais à l’intérieur du Heat, des paillettes et des rires remplissent l’espace. Pour la première fois en France, se tenait, ce weekend, une Pride family. Pendant deux jours, à l'initiative du collectif Famille·s, des tables rondes, des ateliers pour les enfants, un spectacle de Drag Queens et un DJ set sont venus rythmer le festival. Plus de 1000 personnes avaient fait le déplacement. 

Pride Family : une première édition salutaire pour les familles queers

Parmi elleux, Axelle, 29 ans et Steph, 28 ans, venues de Suisse pour ce festival. “On veut un bébé, mais pas dans l’immédiat, raconte Stéph. On trouvait ça cool de rencontrer des couples qui sont déjà passés par là et qui pourront nous conseiller.” 

“C'était très important pour ma fille que l'on vienne ici, ajoute Stéphanie, 40 ans. Elle a besoin de voir d'autres enfants issues de familles homoparentales.” D’une main, elle lui colle un tatouage sur le ventre, de l’autre, elle la coiffe. Avec son sourire et ses paillettes, sa fille, visiblement ravie de découvrir qu’elle n’est plus la seule enfant avec deux mamans, ne tient pas en place. “Tu veux être mon amie?", lance-t-elle à une autre enfant avant de partir en courant main dans la main avec celle-ci. Un peu plus loin, des autrices de littérature jeunesse racontent les familles arc-en-ciel

Sortir de l’hétéro-normativité

"On voulait un endroit chill pour que les gens se parlent et se rencontrent, se réjouit Marie Durand, initiatrice et cofondatrice du collectif Famille·s. Je pense que c'est gagné. On est aussi là pour élargir les cases et prouver que nos familles sont légitimes. L’objectif de ce festival c’est de dire que l'on existe, que l'on est là et que ça ne changera pas.”  Derrière cet événement festif entre tombola et rires d'enfants, le collectif Famille•s souhaite notamment normaliser les parentalités LGBTQI+ pour qu'à terme inscrire son enfant en crèche ou avoir un rendez-vous gynécologique ne soit plus une source d'angoisse. 

“Beaucoup d'enfants cachent le fait d'avoir deux mamans par peur des discriminations, continue Marie. Donc iels ne parlent pas de leurs familles, n'invitent pas leurs amies à la maison. Ce qui les éloigne de toute socialisation et ça c’est plus possible, ajoute Marie. Il est nécessaire que l’on normalise nos familles.”

Pride Family : une première édition salutaire pour les familles queers

Autour d’elles, les parents échangent des conseils pour une PMA à l’étranger, parlent des petites réflexions reçues et du besoin de s’armer face aux maladresses mais aussi face à la lesbophobie de certaines personnes. “Un professionnel de santé m’a demandé une fois si j’étais pas triste que mon fils, Samuel, ressemble à ma femme, raconte Stéphanie, 34 ans. Je lui ai dit que j’aimais bien ma femme donc ça allait.” Face à elle, la salle rit. “Moi c’est dans le bus que j’ai eu le droit à une réflexion plus que désagréable, ajoute Léa. Une dame âgée m’a demandé pourquoi mon enfant avait les yeux bleus. Je lui ai répondu que c’était ma compagne qui l’avait porté. Visiblement, elle n'a pas aimé la réponse. Elle s’est levée et a changé de place.”

Ce weekend a aussi été l’occasion de réfléchir ensemble au co-allaitement, à la place du second parent dans un couple lesbien ou à la manière de réagir face à un·e notaire qui ne veut pas enclencher une reconnaissance conjointe anticipée (RCA). A terme, le collectif souhaite éditer un manifeste pour rappeler que les familles LGBTQI+ existent, qu’elles vont bien et qu’elles ne vont pas disparaître. 

Des droits encore flous

En revanche, toustes s’accordent sur la nécessité de sortir de ce flou administratif. L’absence de droits clairs pénalise les enfants et leurs parents. Cédric, 44 ans et Quentin, 33 ans ont passé cinq ans à se battre pour faire reconnaître le lien de parentalité avec leurs fils, Silas. 

Pride Family : une première édition salutaire pour les familles queers

On savait que ça serait compliqué de faire reconnaître nos paternités, mais sincèrement on ne s'attendait pas à ce que cela soit si difficile, raconte Cédric. Nous nous sommes heurtés à l’étroitesse d’esprit de l’état civil français. A cause de leur refus de transcrire l’acte de naissance de notre fils, on a été obligés d’assigner le procureur en justice pour faire reconnaître ses droits.” 

Non loin d’eux, les Drag Queens, Soho Kir Royal, Brookline Saint Hilaire et Nana Deon s’affairent. Dans la salle, les enfants ont sorti leurs plus beaux costumes de licornes ou de fées. Certain·es dessinent leur famille arc-en-ciel, d’autres attendent leur tour pour devenir un papillon ou un·e tigre·sse grâce au maquillage. Des selfies, des rires, des rencontres emplissent le lieu et font oublier que dehors il fait si froid. Partout, des couples divorcés, des familles recomposées, des mamans solo, des couples lesbiens, queers ou gay… 

"Ça fait tellement du bien d’être en famille et de pouvoir être juste bien” se réjouit Amandine, 28 ans. Avec Nathan, 30 ans, iels sont venu·es de Lille pour ce festival. Dans leurs bras, leur fils Arthurus s’endort. “On est dans une parentalité queer puisque je suis un homme trans, souligne Nathan, mais nous avons beaucoup d’ami·es d'hétéro dans notre entourage qui pensent que l’on est comme elleux. Alors que non, nous n’avons pas les mêmes problématiques, ne serait-ce que pour l’accès à la maternité pour moi. Être dans un endroit safe, où l’on est compris·es, c’est juste reposant et agréable.”

Des arrières grand-mères lesbiennes

Ce weekend-là a aussi été un grand moment d’émotion pour beaucoup de couples. Odile, 75 ans est venue avec sa femme. Ensemble, elles ont eu un enfant il y a plusieurs dizaines d’années. Elles sont aujourd'hui arrières grand-mères. “Si j’avais eu ce genre d'évènements à mon époque… s'émeut Odile. C’est incroyable, je me sens enfin reconnue.”

Pride Family : une première édition salutaire pour les familles queers

A une semaine de la présidentielle, beaucoup gardent aussi à l’esprit les futurs combats qu’il va falloir encore mener. “On ne sait pas ce qu'il va sortir de cette élection, souligne Stéphanie, on est complètement dans l'incertitude sur l'élargissement de nos droits.” Dans la salle, Amandine, 41 ans, se prépare à l’idée de faire une croix sur son désir d’avoir un deuxième bébé. “On a passé dix ans à attendre une loi qui ne sert à rien, lâche Amandine. On veut un deuxième bébé mais en France c’est pas possible à cause des délais d’attente et de nos âges. C’est mort pour nous, on n’a plus le luxe d’attendre.” Avec sa femme, Fanny, 43 ans, elles envisagent de partir en Espagne, mais le parcours est très coûteux. “C'est l'argent qui va nous arrêter. On se dit que l'on ne pourra pas être parents d’un ou d’une deuxième à cause de l'argent, pas parce qu'on veut pas. Sincèrement, c’est difficile à digérer.” La PMA a été ouverte aux couples lesbiens et aux femmes seules en septembre dernier. Seulement, entre les délais d’attente et les conditions d’accès, peu de parcours PMA ont commencé.

Les lumières baissent, les enfants sont couchés. Il est temps d’envahir la piste de danse. Emilie DLF, l’homme seul et Rag du collectif Barbieturix enflamment le Heat de Lyon. “A la prochaine Pride Family, il faudra louer une plus grande salle”, lâche Léa dans un rire. Le rendez-vous est pris. 

Crédit photo : Elodie Hervé