Après le tournage auquel il a participé de la suite des Crevettes pailletées en Ukraine, Sasha Ivanov a pu fuir la guerre pour Paris où têtu· a rencontré ce jeune comédien âgé de 20 ans, encore plein d'espoir pour son pays.
Dans ce nouvel opus plus politique des aventures de l’équipe de water-polo gay sorti au cinéma mercredi dernier, Sasha Ivanov interprète un jeune Russe francophone enrôlé dans une thérapie de conversion et qui va servir de traducteur à la petite bande. têtu· a rencontré ce jeune comédien de 20 ans, réfugié à Paris depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, afin d’évoquer son implication dans le film mais aussi bien sûr son pays et les conséquences de cette guerre.
Quelle était votre vie avant de rejoindre l’équipe de La Revanche des Crevettes Pailletées ?
Sasha Ivanov : J’ai 20 ans et je n’ai pas encore fait beaucoup de choses mais, après l’école, je me suis inscrit à l’université pour faire des études d’architecture quand on m’a proposé de rejoindre un projet de film en tant qu’acteur. C’était passionnant et j’ai choisi de le faire en arrêtant mes études. C’était pour le film Stop-Zemlia de Kataryna Gomostai, qui a gagné l’Ours de cristal, la plus haute récompense de la section « Generation 14 plus », au festival de Berlin en 2021. C’était un drame adolescent absolument superbe inspiré d’un jeu vidéo propre à la jeunesse ukrainienne. J’avais déjà travaillé sur des projets de cinéma et là, je me suis dit que c’était vraiment un univers qui m’intéressait. Petit à petit, j’ai eu des missions de traducteur sur des projets français tournés en Ukraine qui se sont transformés en jobs d’assistant de production.
J’ai été appelé par le coproducteur ukrainien de La Revanche des Crevettes Pailletées pour traduire le scénario et le producteur m’a dit qu’il y avait peut-être un rôle pour moi, celui d’un jeune homme qui s’appelait Sasha et qui parlait français. Je ne savais pas encore précisément où j’allais, j’étais dans un mode « go with the flow » et c’est encore le cas aujourd’hui ! J’étais aussi assistant casting pour les acteurs ukrainiens du film, je leur donnais la réplique, je connaissais le scénario par cœur. J’ai moi aussi passé le casting et j’ai fait de mon mieux. Quelques semaines plus tard, j’ai rencontré Cédric Le Gallo et Maxime Govarre, les deux réalisateurs venus en repérage pour la préproduction, j’ai fait un essai et j’ai été pris. Au départ, je n’avais pas vu le premier film et quand je l’ai découvert, cela m’a aidé à comprendre cet humour un peu sarcastique et étonnant qui joue avec les genres. Le tournage s’est très bien passé malgré le grand froid, et j’ai beaucoup appris.
À lire aussi : Cédric Le Gallo nous parle de "La Revanche des Crevettes pailletées"
Dans le film, vous incarnez un jeune Russe en thérapie de conversion. Est-ce que cette homophobie institutionnalisée en Russie vous parle ? Est-ce très différent en Ukraine ?
Je savais que cela existait beaucoup mais cela faisait un moment que je ne m’intéressais plus à ce qui se passait en Russie. Je viens de la ville de Donetsk, dans le Donbass, qui était occupée par l’armée russe depuis huit ans donc je comprenais cette volonté d’oppresser la culture LGBT comme ce fut le cas dans l’histoire de la culture ukrainienne qui était oppressée. Il y a même un terme qui est "la renaissance fusillée" et qui est une référence à des auteurs, poètes et peintres ukrainiens fusillés dans les années 60 par les Soviétiques. Il y a tout ça dans mon personnage dans le film. L’Ukraine est un pays à part entière depuis 31 ans et la volonté du peuple a toujours été de rejoindre l’Union européenne. Du coup, le pays est très libre sur les questions LGBT notamment ces dernières années, avec de nombreuses institutions qui s’ouvrent et l’organisation d’une gay pride protégée par la police. Il est de plus en plus admis que les gens puissent vivre comme ils veulent et aimer qui ils veulent. Il y a de nombreux lieux comme celui qu’on voit dans le film, même si les clubs sont moins clandestins et sont ouverts à tous, surtout dans le centre de Kiev qui est divisée en de nombreux quartiers avec chacun son identité et ses lieux très libres dédiés à la jeunesse. Bien sûr, il faut faire attention car il y a toujours des opposants à la liberté, comme partout.
"Ce n’est pas seulement un combat ukrainien mais un combat beaucoup plus global."
Où étiez-vous quand la guerre a commencé en Ukraine ?
Je vivais à Kiev mais je venais d’arriver à Paris quand tout a commencé. J’aurais sans doute préféré être là-bas mais maintenant que je suis ici, la question ne se pose plus. J’aimais beaucoup ma vie à Kiev, je vivais avec un coloc berlinois dans un milieu assez international. Je travaillais sur des traductions, des projets cinéma et je composais un peu de musique. Je développais presque malgré moi une forme de sentiment patriotique car beaucoup d’éléments m’emmenaient vers ça. Kiev est une des plus belles villes que je connaisse, avec beaucoup de parcs, une grande rivière, c’est magnifique. La menace existait depuis quelques années et mon père, qui était très inquiet avant la guerre, a insisté pour que je parte et que j’aille à Paris. Une grande partie de ma famille a pu partir mais certains ont décidé de rester pour combattre et certains sont pris au piège dans des petites villes dont ils ne peuvent pas sortir en sécurité. Notre agresseur n’a aucune empathie pour la population, ils se sentent très supérieurs à des gens qui ont pourtant beaucoup plus progressé qu’eux en termes de mentalité. On espère tous que cette escalade du conflit va enfin mener à ce que les gens dans le monde comprennent ce qu’il se passe car cela fait des années que le récit est manipulé sur ces questions. Ce n’est pas seulement un combat ukrainien mais un combat beaucoup plus global. Tout cela me brise le cœur, vraiment. Je suis optimiste, parce que ce sont des valeurs démocratiques qui sont défendues, mais je ne sais pas du tout combien de temps cela va durer.
Quels sont vos objectifs ou vos projets maintenant que vous êtes à Paris ?
C’est dur d’envisager une vie quand ton domicile est en train d’être bombardé et que tes camarades sont violés, massacrés. J’ai eu du mal à m’adapter parce que j’avais presque honte d’être en sécurité. Tout ceux qui ont fui un jour connaissent ce sentiment. J’essaie de faire le plus de choses possibles dans la journée, même si c’est un peu difficile de trouver du travail. J’ai l’avantage de parler français mais cela reste quand même difficile. J’essaie de travailler à une forme d’opposition culturelle ici à Paris. Il manque un discours fort de la part des artistes russes dans le monde, peu condamnent les crimes de leur pays. Il faudrait qu’ils refusent de rester des citoyens russes au vu de ce qui se passe. J’ai lu quelque part "Burn your passport or your art" et cela me parait intéressant. Moi je boycotte tout ce qui vient de Russie, c’est une forme d’opposition depuis plusieurs années. Regarder un film russe quand on est ukrainien, c’est comme valoriser son agresseur.
Quel est votre espoir aujourd’hui ?
Retourner à Kiev le plus vite possible ! J’adore mon pays et je rêve de le faire découvrir à tout le monde. C’est un pays dynamique, indépendant, démocratique et plein d’opportunités. La sortie du film m’a permis de faire passer ce message et d’expliquer notamment que la guerre en Ukraine existe depuis huit ans. C’est une forme d’engagement personnel qui m’anime dans les conversations que permettent le film. Je suis très heureux de faire partie de ce film qui met la lumière sur beaucoup de valeurs et qui construit une dramaturgie intelligente. C’est bien sûr une fiction mais qui concentre de nombreux thèmes majeurs. J’ai connu beaucoup de jeunes russes qui ont dû fuir leur pays pour pouvoir être ceux qu’ils sont et aimer ceux qu’ils aiment.
À lire aussi : "Les Crevettes pailletées" 2 : rencontre avec la nouvelle recrue Bilal El Atreby
Crédit photo : Yana Ysaienko