[Interview à retrouver dans le magazine têtu· du printemps] L’équipe so gay de water-polo des Crevettes pailletées fait son retour, et prend sa revanche, dans une suite plus maligne et plus engagée, au cinéma ce mercredi 13 avril. À voir ! En attendant, rencontre avec l'un de ses réalisateurs, Cédric Le Gallo.
Interview Franck Finance-Madureira
Photographie Audouin Desforges
On l’avait laissée en 2019, après les Gay Games en Croatie. Cette année, dans La Revanche des Crevettes pailletées, l’équipe de water-polo se prépare pour une nouvelle édition de la compétition, mais rien ne va se passer comme prévu ! On retrouve aux manettes le coréalisateur – avec Maxime Govare – du premier opus, Cédric Le Gallo, lequel s’entraîne depuis dix ans dans une équipe de water-polo gay – sa bande de potes – qui lui a servi d’inspiration.
Le Gallo fait partie de ces gens capables de déployer une énergie telle qu’ils ont toujours une tonne de projets sur le feu : journaliste pendant une quinzaine d’années, comédien, il a aussi écrit, réalisé et joué dans une mini-série. De toutes ses idées de longs-métrages, c’est finalement la plus personnelle qui a convaincu les producteurs. En résultent deux comédies feel good, queer as fuck, bon enfant, qui délivrent un message d’alerte fort sur les LGBTphobies. Rencontre.
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- Ce deuxième opus des Crevettes pailletées arrive assez rapidement. Tu avais déjà prévu déjà une suite ?
Cédric Le Gallo : Ça s’est décidé très vite ! On a évoqué l’idée d’une série, mais on est finalement partis sur un nouveau long-métrage. Après la sortie du premier film, j’ai fait la couverture de L’Équipe Magazine avec un baiser gay – c’était la première fois qu’un média sportif prenait cette initiative ! À Los Angeles, quand la directrice d’Universal Monde a vu cette une, elle a tout de suite dit à Xavier Albert, le patron de la division française : “J’espère que la suite est en route !” Nous avons donc commencé à travailler sur le deuxième volet alors que le premier était encore à l’affiche. On nous a laissé traiter des sujets qu’on voulait avec une liberté absolue, et un budget plus important. Je n’avais pas le droit de refuser ce projet !
- Tu t’es donné de nouveaux objectifs pour cette suite ?
Je ne voulais surtout pas faire un copier-coller du premier film, même si j’en suis très fier. On voulait retrouver les personnages, qui avaient bénéficié d’un accueil très chaleureux du public, et leur amitié potache et universelle, tout en approfondissant la problématique de chacun. On s’est donc débrouillés pour qu’ils ne soient pas toujours ensemble et aient plus d’aventures en parallèle. Et puis on a aussi fait évoluer le genre du film. On est passé d’un road movie à l’anglaise à un Very Bad Trip à l’américaine, avec un timing beaucoup plus resserré, frôlant parfois le James Bond. Si l’on voulait rester dans la comédie, on souhaitait aussi renforcer l’émotion et l’engagement, ne pas faire de gag toutes les deux secondes. La limite entre l’extravagance, le bon et le mauvais goût est parfois subtile à trouver, ici comme ailleurs finalement.
"Les films gays sont déjà rares, et parmi eux il y a peu de comédies..."
- La comédie n’est pas un genre courant dans le cinéma gay français...
Les films gays sont déjà rares, et parmi eux il y a peu de comédies... Par contre ce sont souvent des drames : 120 battements par minute est un film formidable, mais on est dans le drame d’époque. Côté comédie, Pédale douce a vingt ans. Depuis, la communauté a énormément évolué, et c’est important d’aborder nos problématiques et nos vies actuelles. D’ailleurs la mienne est assez joyeuse ; c’est ce que j’avais envie de raconter, et c’est ce qui m’a manqué en tant que spectateur. Quand je lis des articles sur des homos qui se font chasser de chez leurs parents, font des dépressions ou se suicident, j’ai envie de donner un souffle d’espoir. Dans le premier film, un personnage dit : “Quand je pense qu’il y en a qui n’ont pas la chance d’être pédés !” C’est une phrase d’un de mes amis du water-polo. Je l’avais trouvée géniale.
- Tu pratiques le water-polo dans une équipe LGBTQI+. C’est ta première source d’inspiration ?
La tonalité générale des films reflète l’ambiance présente dans l’équipe dont je faisais partie, au sein de l’association Outsiders, anciennement Aquahomo. Elle est extrêmement joyeuse, on blague tout le temps, on se déguise, et les tournois sont toujours très festifs. Je voulais rendre hommage à tout ça, à notre amitié, c’est pourquoi la comédie s’est imposée.
- Têtu n’avait pas été emballé par le premier film. Comment avais-tu pris la critique ?
L’article m’avait semblé un peu court, pas très étayé, mais surtout très à charge : les acteurs étaient tous mauvais, la réalisation était nulle, et le film était même homophobe ! On a évidemment le droit de ne pas aimer, mais le côté un peu gratuit et, à mes yeux, mensonger m’avait blessé. Le journaliste se plaignait qu’il n’y ait que des folles. D’une part, ce n’est pas vrai, puisqu’il y a dans le film tout une palette de personnages différents, mais quand bien même, quel serait le problème ? Les folles n’auraient pas le droit d’apparaître au cinéma alors que ce sont elles qui ont mené tous les combats ? Venant d’un magazine gay, cela m’avait profondément choqué !
- Ça n’avait pas empêché son succès populaire...
Il y a eu près de 600.000 entrées en France. Le film a été vendu dans 33 pays, je crois. On a eu pas mal de prix dans des festivals étrangers, notamment LGBTQI+. C’était super qu’une histoire comme celle-ci voyage à ce point et touche autant de monde. Le but des Crevettes, c’était que le public gay s’y retrouve, même si nous n’avions pas la prétention de représenter tous les gays. Dans une soirée, un jeune mec m’a dit : “Merci d’avoir fait ce film, je peux enfin montrer à mes parents à quoi ressemble ma vie !” Il ne faisait pas de water-polo, mais il avait, lui aussi, ce genre d’amitiés festives. Le but était de ne pas être excluant et d’ouvrir la porte à ceux qui ne connaissaient pas ce monde-là.
"Tout l’ADN des Crevettes est de s’autoriser à rire des sujets les plus graves."
- Est-ce vraiment possible de faire une comédie gay en plaçant l’action en Russie ?
On n’est pas là pour faire des leçons de morale, mais il y a beaucoup moins de scènes de water-polo que dans Les Crevettes pailletées ! Dès le départ, on a imaginé faire arriver l’équipe dans un pays hostile. On avait pensé au Brésil de Bolsonaro, mais, pour contraster avec le premier film, qui était très solaire, on a finalement opté pour l’ambiance neigeuse de la Russie. On aborde donc les problèmes rencontrés là-bas, où l’homophobie de la société et celle de l’État sont très fortes – une loi qu’ils appellent “anti-propagande LGBT” interdit toute démonstration publique et permet aux homophobes qui vont casser du pédé de ne pas être inquiétés. On traite aussi de l’homophobie intériorisée et des “thérapies de conversion”. Dans celle qui est mise en scène, les participants sont volontaires. Ils ne se rendent pas compte que c’est impossible de guérir de l’homosexualité, puisque ce n’est pas une maladie ! On a regardé beaucoup de reportages sur ces thérapies, qu’on a trouvées tellement risibles qu’on a choisi de s’en moquer, en y ajoutant même un peu d’homoérotisation. Tout l’ADN des Crevettes étant de s’autoriser à rire des sujets les plus graves.
- Pourquoi avoir fait une suite aussi politique ?
Pour le tournage, nous avons passé plus de trois mois en Ukraine, où nous avons découvert une communauté queer très engagée, et une scène underground festive et très militante. Cela a réveillé en nous tous quelque chose de fort, que symbolise le personnage de Joël, un ancien d’Act Up. Quand on voit ce que certains politiques proposent en France dans le cadre des élections présidentielles, on se dit que rien n’est jamais acquis et que cela peut très vite basculer. On ne peut pas se reposer sur nos lauriers concernant ces sujets-là. Je pense qu’on a réussi à aborder des thèmes graves tout en faisant un film très divertissant !
"Un ami m’a dit que le premier film se focalisait sur l’amitié, et que celui-ci parlait plus d’amour."
- Chaque personnage a été plus approfondi, notamment Fred, qui vit un moment charnière...
C’est très vrai pour Fred, en effet, qui est portée par une dynamique nouvelle puisqu’elle prend conscience, en tant que femme en transition, du poids du passé et de la difficulté de faire table rase. Dans le précédent volet, elle était beaucoup plus légère et extravagante. Un ami m’a dit que le premier film se focalisait sur l’amitié, et que celui-ci parlait plus d’amour. Cette fois, de nombreux personnages sont en couple, et la question de l’amour est présente partout. On évoque les problématiques des couples par rapport aux bandes d’ami·es, le fait d’avoir une vie rangée ou pas, etc. L’amour, et comment le vivre sans être frustré, est une question importante du film.
- Apparaît aussi Sélim, interprété par Bilal El Atreby, la révélation du film...
On voulait créer un personnage vivant en banlieue, dont la famille serait musulmane. Le coach intègre Sélim à l’équipe des Crevettes pailletées pour essayer de leur faire gagner quelques matchs, tout en pensant qu’il est gay mais qu’il ne l’assume pas. C’est en réalité un peu plus compliqué, mais ça nous a permis d’aborder les difficultés des gays en banlieue.
- Ton prochain projet est une série se déroulant dans un cabaret parisien de travestis pendant l’Occupation. Tu changes complètement de thème ?
Il y aura là aussi un mélange entre des problématiques graves et la légèreté inhérente à la vie d’un cabaret de travestis, à la folle envie de vivre qui s’en dégage. Durant cette période, tout le monde s’y mélangeait ; artistes, résistants, collabos et nazis se trouvaient au même endroit, au même moment. Il y aura des histoires d’amour interdites, des mensonges, des actes de bravoure ou de trahison, un cocktail détonnant ! La série devrait s’appeler Liberty’s. J’ai également un projet de comédie dramatique sur le suicide assisté. Dans tout ce qui m’anime, il y a cette volonté de traiter de sujets sérieux avec légèreté.
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>> La Revanche des Crevettes pailletées, de Cédric Le Gallo et Maxime Govare. En salles le mercredi 13 avril.