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interview"Désirer à tout prix" : rencontre avec Tal Madesta pour son livre sur nos intimités

Par têtu· le 28/04/2022
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Tal Madesta livre avec Désirer à tout prix une réflexion sur la place accordée dans nos sociétés au désir ou à l'absence de désir, décryptant leur pathologisation et les normes imposées, pour proposer d'autres récits d'intimités possibles.

Avec son premier essai Désirer à tout prix (Binge éditions), le journaliste et auteur trans Tal Madesta signe un plaidoyer pour reconsidérer la place que l’on accorde au sexe dans nos vies. Loin d’écrire “un manuel sex-negative”, l’auteur s’interroge au contraire sur les manières de vivre d’autres formes d’intimité et de repenser nos relations amoureuses, amicales et familiales. Dans son livre, s'interroger sur nos sexualités c’est d’abord y questionner la place du capitalisme et des notions de performance, mais aussi penser la pathologisation des désirs, le sexe hétéronormé érigé comme norme quand le reste des sexualités, voire l'absence de sexualité, sont socialement prohibés. Court et percutant, l’essai illumine de sa clarté et de sa pertinence nos réflexions sur le désir. Rencontre. 

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Est-ce que Désirer à tout prix est un livre sur l’amour ?

Tal Madesta : Oui, clairement ! Ce n’est pas un livre contre le sexe, c’est une ode à l’amour, aux différentes formes d’amour et différentes manières de créer de l’intimité. L’idée est de valoriser l’amour dans toutes ses possibilités, et non pas d’en proposer une vision moraliste. 

Est-ce qu’il existe selon toi une honte, ou en tout cas un opprobre social avec le fait de ne pas pratiquer de sexe ? 

Tout à fait, c’est le concept de sexualité obligatoire que je développe dans le livre. C’est une manière de décrire la sexualité non pas comme une simple activité récréative mais comme un système de valeurs qui vient ratifier ce qui est une bonne sexualité, ou une mauvaise dans le cas des personnes LGBTI+. C’est sous cet angle que j’aborde le sujet dans le livre. Donc oui, il existe de la honte car c’est un système qui crée des normes et donc des sanctions sociales pour celles et ceux qui en sortent. 

Est-ce compliqué selon toi, au sein des communautés LGBTI+ actuelles, de proposer un discours sur le désir et surtout l’absence de désir qui sorte du prisme individuel ? 

Je comprends l’intérêt communautaire de s’identifier en tant qu’asexuel, c’est important de mettre des mots sur des vécus. Mais c’est une approche individuelle qui omet de s’intéresser au système qui englobe les sexualités. Dans le livre, je préfère plutôt l’angle anticapitaliste, économique et matérialiste. 

"Les sexualités LGBTI+ sont encore et toujours analysées sous le prisme de la corruption des enfants, ou de la minorité qui doit se cacher."

Tu fais la différence entre la sexualité hétérosexuelle vendu comme désirable, et celles au contraire diabolisées des LGBTI+. Est-ce qu’en 2022 on n'a pas dépassé cette dichotomie ?

On pourrait le croire mais dans les faits, non. Le système légal vient encore différencier le rapport à l’intime, la sexualité et la famille chez les personnes LGBTI+. On voit bien que les façons de faire famille et de faire couple sont encore stigmatisées et différenciées selon si l’on est cisgenre et hétéro ou non. Outre la loi, du point de vue de la morale, les sexualités LGBTI+ sont encore et toujours analysées sous le prisme de la corruption des enfants, ou de la minorité qui doit se cacher. On a l’impression qu’il y a une relative meilleure représentation des personnes LGBTI+ mais soyons honnêtes, il ne s’agit que d’une seule partie de la communauté, celle blanche et cisgenre. 

Tu parles notamment du glissement des marques vers les communautés LGBTI+, cibles vers lesquelles elles investissent de plus en plus d’argent. Comment s’explique ce nouvel intérêt économique pour les LGBTI+ ? 

C’est un nouveau canal super intéressant, financièrement parlant, car ce sont des sujets beaucoup plus présents dans les médias. Comme on peut lui appliquer un vernis de pinkwashing très très facilement, plein de marques s’emparent de cet angle pour faire avancer des intérêts économiques, sous le soi-disant progrès social.  

Tu formules une critique du monde médical qui pousse à pathologiser puis soigner les corps non désirants : est-ce qu’on peut y voir un parallèle avec l’obsession pour les corps LGBTI+ considérés comme monstrueux, notamment les corps trans ? 

Oui complètement, tout l’objectif du monde médical est de faire rentrer dans la norme. Les parcours trans médicalisés c’est ça, le but est de les corriger car ils sont considérés comme déviants. Sur la question de la sexualité, c’est la même chose, le seul horizon envisagé par les médecins ou sexologues c’est faire re-rentrer les individus dans la “bonne” sexualité qui relève de la norme. 

"Tisser une toile de différents récits, et montrer qu’il existe une histoire alternative de l’intimité."

On fait comment pour écrire des histoires d’intimité autrement ? 

Il faut faire parler d’autres personnes comme je le fais dans le livre, pour tisser une toile de différents récits, et montrer qu’il existe une histoire alternative de l’intimité. Je n’ai pas une approche scientifique de la question, c’est du témoignage, mais je trouve ça important de pouvoir s’identifier à d’autres récits. 

Tu suggères de regarder vers les travaux des lesbiennes radicales, en citant Audre Lordre ou Adrienne Rich. Peux-tu expliquer le principe du continuum lesbien ? 

Le continuum lesbien, c’est un concept développé par Adrienne Rich dans son ouvrage La contrainte à l’hétérosexualité, qui envisage le lesbianisme au-delà des questions d’attirance ou de sexualité. On parle ici de s’identifier à d’autres femmes, et de comment on crée des solidarités et intimités entre femmes. C’est un concept super intéressant car il permet de se penser et de construire des pensées idéologiquement indépendantes des hommes. 

On parlait beaucoup l’année dernière de “grande révolution romantique”, est-ce que c’est le projet que tu portes ? 

Non, c’est un leurre, pour moi ça remet la tâche de “déconstruire le couple” sur les femmes et notamment les plus précaires. C’est une nouvelle charge de travail supplémentaire. Ce sont des discours qui aident en individuel mais qui détournent des sujets économiques. Mon livre n’est pas révolutionnaire, il fait du bien c’est tout, je n’ai pas de projet à atteindre car de toute façon, la révolution ne se fera pas avec un livre. 

Tu parles des frontières poreuses entre famille, amour et amitié, est-ce que les personnes LGBTI+ sont à l’avant-garde des redéfinitions de ces contours ? 

Oui bien sûr, pour beaucoup d’entre nous, les violences vécues ont forcé à recomposer des communautés, poussé à sortir de la famille nucléaire. On n'a pas le choix de faire famille autrement.

>> Désirer à tout prix, de Tal Madesta, Binge éditions, 15 euros

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